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CHAPITRE VIII

FEMMES INSTRUITES ET FEMMES PÉDANTES

I

La question de l'ignorance et de l'instruction chez les femmes a été souvent discutée et résolue de façons différentes par ceux qui ont soutenu les opinions contraires. La cause est toujours pendante, et il ne semble pas que le procès soit près d'être terminé entre les partisans et les adversaires des femmes instruites. Cette question a été débattue dans les livres; elle fut posée au théâtre par Molière dans les Femmes savantes.

En quel sens l'a-t-il tranchée? Est-il, comme on semble le croire, l'ennemi de la culture d'esprit chez les femmes? Pour le savoir, il n'y a qu'à laisser parler les personnages de sa comédie, et à écouter ce qu'ils disent sur ce grave sujet.

Molière a été frappé d'un travers de son temps, quand il a raillé, dans les Précieuses ridicules, le

jargon qu'avait adopté une portion aristocratique de la société. Il combattit ensuite la pédanterie par la comédie des Femmes savantes, qualification qui annonçait et renfermait une critique. Lorsque l'on dit d'un homme qu'il est savant, cette épithète n'a pour personne la signification d'un blâme. Il en est tout autrement des femmes, et il est généralement admis que, chez elles, le savoir touche de près à la pédanterie. Une femme à laquelle on donnera le nom de « bas bleu » sera condamnée sans appel, et une femme ignorante n'est pas non plus l'idéal de tous les hommes. Il y a donc des frontières qu'il importe de tracer, une mesure variable selon les temps, selon les milieux, et sur laquelle on doit faire en sorte de ne pas se tromper, dans l'intérêt de la famille, où s'exerce l'influence de la femme, dans celui de la société, où son empire n'est pas moins réel et incontesté.

Molière a pris soin de donner un tel relief aux caractères de ses personnages qu'il a rendu toute équivoque impossible. Philaminte, Bélise et Armande représentent, avec Trissotin, la préciosité, le bel esprit ridicule et maniéré, la fausse science et la pédanterie, la prétention et le mauvais goût, l'amour exagéré de la culture intellectuelle négligeant les devoirs essentiels de la vie réelle, et devenant les fléaux de l'intérieur.

Chrysale, au contraire, est le prosaïsme poussé jusqu'à l'excès. Pour lui une bonne ménagère est l'idéal de la femme, et toute la science féminine doit se réduire aux préceptes de la Cuisinière bourgeoise. Il nous fait sa profession de foi:

Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfants.
Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses gens,
Et régler la dépense avec économie,

Doit être son étude et sa philosophie.

Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés,
Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez
Quand la capacité de son esprit se hausse

A connaître un pourpoint d'avec un haut de chausse.
Les leurs ne lisaient point; mais elles vivaient bien;
Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,
Et leurs livres un dé, du fil et des aiguilles,

Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles (1).

La femme rêvée par Chrysale, c'est la femme ignorante; et rien de plus naturel, puisque la sienne, Philaminte, est une pédante insupportable, puisque Armande, une de ses filles, et que Bélise, sa sœur, partagent le travers dont il a tant à souffrir. Quand sa servante, Martine, est congédiée pour avoir offensé la grammaire, on comprend qu'il perde patience et s'écrie:

Je vis de bonne soupe et non de beau langage.

(1) Acte II, sc. VII.

4

Son horreur des livres et de l'instruction est justifiée; mais elle n'est pas juste. A un excès il oppose un excès contraire. Pas plus que les femmes pédantes qui sont le supplice de son existence, il n'est dans le vrai.

Le type de la femme, telle qu'elle doit être, a été défini par Clitandre dans des vers qui pourraient servir d'épigraphe à un traité d'éducation :

Je consens qu'une femme ait des clartés de tout;
Mais je ne lui veux point la passion choquante
De se rendre savante, afin d'être savante,
Et j'aime que souvent, aux questions qu'on fait,
Elle sache ignorer les choses qu'elle sait;
De son étude enfin je veux qu'elle se cache,

Et qu'elle ait du savoir sans vouloir qu'on le sache,
Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots,
Et clouer de l'esprit à ses moindres propos (1).

Il était impossible de mieux préciser une question controversée, de tracer avec plus de mesure et de bon sens les limites assignées à l'instruction féminine. Ne pas étaler son savoir, être instruite sans chercher à le paraître, éviter également l'ignorance et la pédanterie, posséder ce degré de culture intellectuelle qui permet de ne pas rester étrangère à la science d'autrui, avoir des clartés de tout, voilà bien la femme que l'on doit proposer pour modèle.

(1) Acte I, sc. III.

Lorsque Philaminte accuse Clitandre de «< chérir l'ignorance » et de « haïr l'esprit et la science », il lui répond :

Cette vérité veut quelque adoucissement.
Je m'explique, madame, et je hais seulement
La science et l'esprit qui gâtent les personnes.
Ce sont choses de soi qui sont belles et bonnes;
Mais j'aimerais mieux être au rang des ignorants
Que de me voir savant comme certaines gens (1).

L'ignorance est, en effet, préférable à la fausse science et à la pédanterie. Les défauts du bel esprit orgueilleux et dépourvu de bon sens apparaissent dans les caractères, dans la conduite et les propos de Philaminte, de Bélise et d'Armande.

Henriette, au contraire, joint la sagesse et la raison aux grâces et aux vertus de la jeune fille. Il y a une fine ironie dans la façon dont elle répond aux théories d'Armande, sa sœur, dont les prétentions au savoir lui font mépriser les occupations et les devoirs de la vie domestique :

Le ciel, dont nous voyons que l'ordre est tout-puissant,
Pour différents emplois nous fabrique en naissant;
Et tout esprit n'est pas composé d'une étoffe
Qui se trouve taillée à faire un philosophe.

Si le vôtre est né propre aux élévations
Où montent des savants les spéculations,

(1) Acte IV, sc. III.

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