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mondains, et elle était abonnée à la Gazette de France, journal officiel qui paraissait seulement une fois par semaine. Elle pouvait donc accorder à la lecture des livres les heures de loisir qu'absorbent souvent parmi nous les revues et les feuilles politiques. De son temps, on lisait moins de livres; mais on les lisait mieux, et l'on retirait plus de profit des chefs-d'œuvre dont le siècle de Louis XIV a été prodigue.

La bibliothèque de Mme de Sévigné pourrait paraître insuffisante à bien des gens. Et cependant elle supposerait la connaissance de toute l'antiquité classique, familière à la célèbre marquise. Parmi les femmes instruites de nos jours, en est-il beaucoup qui, comme elle, liraient Virgile dans le texte latin?

En voyant quelles étaient les lectures de Mme de Sévigné, on est frappé de l'étendue de son savoir sans pédanterie, et l'on admire une érudition qui n'ôte rien aux grâces légères de son esprit.

Cet esprit s'échappe de ses lettres à la fois si fines et si sensées, modèles du genre et inimitables en ce genre où elle a excellé. Après les avoir lues, on les relira encore, et elles paraîtront toujours nouvelles. Quoiqu'elles portent la marque d'une époque, elles n'ont rien d'antique et de suranné; elles ont la jeunesse des choses ailées qui traversent les siècles.

Mme de Sévigné n'est pas une femme auteur, car elle n'a pas composé d'ouvrages destinés à la publicité; mais c'est un grand écrivain. Elle est devenue, sans y prétendre, une de nos gloires littéraires; elle a conquis, en se jouant, l'immortalité.

De tous les livres qu'elle aimait à lire, il n'en est pas de plus attrayant que celui qu'elle a écrit, sans le savoir. Et quand on voudra passer des heures agréables et se procurer de délicates jouissances, on ira chercher, sur les rayons de la bibliothèque, ces aimables volumes qui s'appellent les Lettres de Mme de Sévigné.

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Les moralistes sont gens d'esprit morose et d'humeur chagrine. De l'homme ou de la société qu'ils étudient, ils ne voient guère que les défauts. Ce sont des pessimistes. La Rochefoucauld et La Bruyère justifieraient cette affirmation. Il n'y aurait d'exception que pour Vauvenargues.

Cette disposition au scepticisme, à la critique, au mécontentement, provient-elle du métier de psychologue, ou faut-il l'imputer à la nature des observateurs, au milieu où ils ont vécu, aux conditions dans lesquelles ils étaient placés? Leur œuvre, expression réfléchie de leur jugement, n'est-elle pas

(1) La Rochefoucauld, par J. BOURDEAU. La Bruyère, par Maurice PELLISSON. - La Bruyère dans la maison de Condé, par Étienne ALLAIRE. - Vauvenargues, par Michel PALÉOLogue.

surtout l'image de leur caractère et le reflet de leur propre vie?

Trois moralistes offrent, à ce point de vue, le sujet d'une étude et d'un rapprochement : La Rochefoucauld, un grand seigneur; La Bruyère, un bourgeois; Vauvenargues, un gentilhomme de province. Tous trois ont analysé le cœur humain; tous trois nous ont laissé des écrits dans lesquels, en peignant les hommes de leur temps, ils se sont peints

eux-mêmes.

François, duc de La Rochefoucauld, prince de Marcillac, né à Paris, en 1613, était l'aîné de quatorze enfants. Marié à quinze ans à Mlle de Vivonne, fille d'un grand fauconnier de France, il entrait l'année suivante dans la carrière des armes, servait en qualité de mestre de camp du régiment d'Auvergne, dans la campagne d'Italie, puis s'engageait quelques années plus tard comme volontaire pour combattre les Espagnols en Flandre. Il se trouva bientôt mêlé aux intrigues de Cour, et fut tenu en suspicion par le cardinal de Richelieu, dont la mort réveilla les ambitions et les convoitises de la noblesse. La régence d'Anne d'Autriche les rendit plus audacieuses, et autour de Louis XIV enfant s'agitèrent ces rivalités, ces compétitions dont la Fronde fut la manifestation armée.

La Rochefoucauld fut entraîné dans cette révolte

par des ambitions déçues, et devenu inséparable de la belle duchesse de Longueville, sœur du prince de Condé, suivit dans ses phases la Fronde, où l'aristocratie, ne poursuivant que la satisfaction de puériles vanités, vit finir sa puissance politique et justifia la monarchie absolue, qui n'eut pas de peine à se l'attacher par des honneurs de Cour.

Tour à tour combattant et négociateur, le rôle de La Rochefoucauld se termine avec cette équipée sans gloire et sans grandeur. Il en sort mécontent, à demi ruiné, et ne rétablit sa fortune que grâce à l'habileté de Gourville qui, devenu son intendant, après avoir été son maître d'hôtel et porté sa livrée, finit par épouser une de ses sœurs (1).

Un émail de Petitot représente La Rochefoucauld à l'âge des conquêtes. Une expression de fatuité distingue le visage aristocratique, qu'éclairent de beaux yeux et sur lequel se dessine un nez aquilin. Ce portrait confirme le jugement de Mme de Maintenon sur l'auteur des Maximes, qui avait, dit-elle, <«< une physionomie heureuse, l'air grand, beaucoup d'esprit et peu de savoir ».

Il a lui-même fait son portrait, et il est permis de croire qu'il s'y est flatté. Il y indique sommairement et discrètement les raisons qu'il aurait de « pouvoir

(1) Il a laissé des Mémoires qui ont été nouvellement réimprimés.

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