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Oh! de la liberté vieille et sainte patrie,10
Terre autrefois féconde en sublimes vertus,
Sous d'indignes Césars" maintenant asservie,
Ton empire est tombé, tes héros ne sont plus!
Mais dans ton sein l'âme agrandie

Croit sur leurs monuments respirer leur génie,
Comme on respire encor dans un temple aboli
La majesté du Dieu dont il était rempli.

Mais n'interrogeons pas vos cendres généreuses,
Vieux Romains, fiers Catons, mânes des deux Bru-

tus;

Allons redemander à ces murs abattus

Des souvenirs plus doux, des ombres plus heureuses.

Horace, dans ce frais séjour,12
Dans une retraite embellie
Par les plaisirs et le génie,
Fuyait les pompes de la cour;
Properce y visitait Cynthie,
Et sous les regards de Délie

Tibulle y modulait les soupirs de l'amour;
Plus loin, voici l'asile où vint chanter le Tasse,
Quand, victime à la fois du génie et du sort,
Errant dans l'univers, sans refuge et sans port,
La pitié recueillit son illustre disgrâce.

Non loin des mêmes bords, plus tard il vint mourir ;
La gloire l'appelait, il arrive, il succombe:
La palme qui l'attend devant lui semble fuir,
Et son laurier tardif n'ombrage que sa tombe.
Colline de Baya poétique séjour,

Voluptueux vallon qu'habita tour à tour

Tout ce qui fut grand dans le monde, Tu ne retentis plus de gloire ni d'amour. Pas une voix qui me réponde,

Que le bruit plaintif de cette onde, Ou l'écho réveillé des débris d'alentour!

Ainsi tout change, ainsi tout passe;
Ainsi nous-mêmes nous passons,
Hélas! sans laisser plus de trace
Que cette barque où nous glissons
Sur cette mer où tout s'efface.

§ 75. DELAVIGNE, 1794–1843.

J. F. CASIMIR DELAVIGNE, poète et auteur dramatique distingué, membre de l'Académie française, naquit au Havre en 1793. Ses principaux ouvrages sont: Le Paria, Marino Faliero, les Vêpres siciliennes, Louis XI et les Enfants d'Édouard, tragédies; l'École des vieillards, comédie; et poésies diverses, parmi lesquelles on remarque les Messéniennes.

MORT DE JEANNE D'ARC.

A qui réserve-t-on ces apprêts meurtriers 1?
Pour qui ces torches qu'on excite?

L'airain sacré tremble et s'agite....

D'où vient ce bruit lugubre? où courent ces guerriers,
Dont la foule à longs flots roule et se précipite?

La joie éclate sur leurs traits;

Sans doute l'honneur les enflamme,

Ils vont pour un assaut former leurs rangs épais?
Non, ces guerriers sont des Anglais

Qui vont voir mourir une femme.

Qu'ils sont nobles dans leur courroux!

Qu'il est beau d'insulter au bras chargé d'entraves!
La voyant sans défense, ils s'écriaient, ces braves:

2

66 Qu'elle meure! elle a contre nous

Des esprits infernaux suscité la magie. . . .3"
Lâches, que lui reprochez-vous?

D'un courage inspiré la brûlante énergie,
L'amour du nom français, le mépris du danger,
Voilà sa magie et ses charmes:

En faut-il d'autres que des armes

Pour combattre, pour vaincre et punir l'étranger?

Du Christ, avec ardeur, Jeanne baisait l'image;
Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents:
Au pied de l'échafaud, sans changer de visage,
Elle avançait à pas lents.

Tranquille elle y monta; quand, debout sur le faîte,
Elle vit ce bûcher qui l'allait dévorer,

Les bourreaux en suspens, la flamme déjà prête,
Sentant son cœur faillir, elle baissa la tête,

Et se prit à pleurer.

Ah! pleure, fille infortunée!

Ta jeunesse va se flétrir,

Dans sa fleur trop tôt moissonnée !

Adieu, beau ciel, il faut mourir !

Tu ne reverras plus tes riantes montagnes,
Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs;
Et ta chaumière, et tes compagnes,

Et ton père expirant sous le poids des douleurs.

Après quelques instants d'un horrible silence,
Tout à coup le feu brille, il s'irrite, il s'élance. . . .
Le cœur de la guerrière alors s'est ranimé;
A travers les vapeurs d'une fumée ardente,
Jeanne, encore menaçante,

Montre aux Anglais son bras à demi consumé.
Pourquoi reculer d'épouvante,

Anglais? son bras est désarmé;

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La flamme l'environne, et sa voix expirante
Murmure encore: "O France! ô mon roi bien-aimé!"

Qu'un monument s'élève au lieu de ta naissance,
O toi qui des vainqueurs renversas les projets!
La France y portera son deuil et ses regrets,
Sa tardive reconnaissance;

Elle y viendra gémir sous de jeunes cyprès :
Puissent croître avec eux ta gloire et sa puissance!

Que sur l'airain funèbre, on grave des combats,
Des étendards anglais fuyant devant tes pas,
Dieu vengeant par tes mains la plus juste des causes.
Venez, jeunes beautés, venez braves soldats:
Semez sur son tombeau les lauriers et les roses!
Qu'un jour, le voyageur en parcourant ces bois,
Cueille un rameau sacré, l'y dépose, et s'écrie:
"A celle qui sauva le trône et la patrie,

Et n'obtint qu'un tombeau, pour prix de ses exploits."

§ 76. DE VIGNY, 1799–1863.

ALFRED-VICTOR, COMTE DE VIGNY, poète français, membre de l'Institut, naquit à Loches, le 27 mars 1799.

Il débuta dans la carrière des lettres par des poésies qui furent accueillies avec faveur. Son roman de Cinq-Mars, publié en 1826, se distingue de la foule des compositions du même genre que l'on voit, chaque année, naître et mourir.

M. de Vigny a publié d'autres écrits empreints du même talent, mais qui ont obtenu moins de succès.

En 1855, il remplaça Étienne à l'Académie française.

LA FILLE DE JEPHTÉ.

Voilà ce qu'ont chanté les filles d'Israel,1

Et leur pleurs ont coulé sur l'herbe du Carmel :

-Jephté de Galaad a ravagé trois villes;
Abel! la flame a lui sur tes vignes fertiles!

Aroër sous la cendre éteignit ses chansons!

Et Mennith s'est assise en pleurant ses moissons!

Tous les guerriers d'Ammon sont détruits, et leur terre
Du Seigneur notre Dieu reste la tributaire.
Israel est vainqueur, et par ses cris perçants
Reconnaît du Très-haut les secours tout puissants.

A l'hymne universel que le désert répète
Se mêle en longs éclats le son de la trompette,
Et l'armée, en marchant vers les tours de Maspha,
Leur raconte de loin que Jephté triompha;

Le peuple tout entier tressaille de la fête.

Mais le sombre vainqueur marche en baissant la tête;
Sourd à ce bruit de gloire, et seul, silencieux,
Tout à coup il s'arrête, il a fermé ses yeux.

Il a fermé ses yeux; car au loin, de la ville,
Les vierges, en chantant, d'un pas lent et tranquille
Venaient; il entrevoit le chœur religieux,

C'est pourquoi, plein de crainte, il a fermé ses yeux.

Il entend le concert qui s'approche et l'honore ;
La harpe harmonieuse et le tambour sonore,
Et la lyre aux dix voix, et le Kinnor léger,
Et les sons argentins du Nebel étranger;

Puis, de plus près, les chants, leur paroles pieuses,

Et les pas mesurés en des danses joyeuses,

Et, par des bruits flatteurs, les mains frappant les mains, Et de rameaux fleuris parfumant les chemins.

Ses genoux ont tremblé sous le poids de ses armes;

Sa paupière s'entr'ouvre à ses premières larmes :

C'est que, parmi les voix, le père a reconnu
La voix la plus aimée à ce chant ingénu:

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