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M. JOURD. U, U. U, U. Cela est vrai. Ah! que n'ai-je étudié plus tôt pour savoir tout cela!

LE M. DE PHIL. Demain nous verrons les autres lettres, qui sont les consonnes.

M. JOURD.

celles-ci?

Est-ce qu'il y a des choses aussi curieuses qu'à

LE M. DE PHIL. Sans doute. La consonne D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au-dessus des dents d'en haut, DA.

M. JOURD. DA, DA. Oui. Ah! les belles choses! les belles choses!

LE M. DE PHIL. L'F, en appuyant les dents d'en haut sur la lèvre de dessous, FA.

M. JOURD. FA, FA. C'est la vérité. Ah! mon père et ma mère, que je vous veux de mal!

LE M. DE PHIL. Et I'R, en portant le bout de la langue jusqu'au haut du palais; de sorte qu'étant frôlée par l'air qui sort avec force, elle lui cède et revient toujours au même endroit, faisant une manière de tremblement, R, RA.

M. JOURD. R, R, RA; R, R, R, R, R, RA. Cela est vrai. Ah! l'habile homme que vous êtes! et que j'ai perdu de temps! R, R, R, RA.

LE M. DE PHIL. Je vous expliquerai à fond toutes ces curiosités.

M. JOURD. Je vous en prie. Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d'une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m'aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds.

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LE M. DE PHIL. Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?

M. JOURD. Non, non, point de vers.

LE M. DE PHIL.

Vous ne voulez que

de la prose? M. JOURD. Non, je ne veux ni prose ni vers.

LE M. DE PHIL. Il faut bien que ce soit l'un ou l'autre.

M. JOURD. Pourquoi ?

LE M. DE PHIL. Par la raison, monsieur, qu'il n'y a pour s'exprimer que la prose ou les vers.

M. JOURD. Il n'y a que la prose ou les vers?

LE M. DE PHIL. Non, monsieur. Tout ce qui n'est point prose est vers, et tout ce qui n'est point vers est prose.

M. JOURD. Et comme l'on parle, qu'est-ce que c'est donc que cela?

LE M. DE PHIL.

De la prose.

M. JOURD. Quoi! quand je dis: Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit, c'est de la prose?

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M. JOURD. Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien; et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet: Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour: mais je voudrais que cela fût mis d'une manière galante, que cela fût tourné gentiment.

LE M. DE PHIL. Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un . . .

M. JOURD. Non, non, non; je ne veux point tout cela. Je ne veux que ce que je vous ai dit: Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.

LE M. DE PHIL. Il faut bien étendre un peu la chose.

M. JOURD. Non, vous dis-je; je ne veux que ces seules paroles-là dans le billet, mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre.

LE M. DE PHIL. On peut les mettre premièrement comme vous avez dit: Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien: D'amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux. Ou bien: Vos yeux beaux d'amour me font, belle marquise, mourir. Ou bien: Mourir vos beaux yeux, belle marquise, d'amour me font. Ou bien: Me font vos yeux beaux mourir, belle marquise, d'amour.

M. JOURD. Mais de toutes ces façons-là laquelle est la meilleure?

LE M. DE PHIL. Celle que vous avez dite: Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.

M. JOURD. Cependant je n'ai point étudié, et j'ai fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon cœur, et je vous prie de venir demain de bonne heure.

LE M. DE PHIL. Je n'y manquerai pas.

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COV.

de vous.

CLÉONTE, amant de la fille de M. Jourdain.
COVIELLE, valet de Cléonte.

SCENE V.

M. JOURDAIN, COVIELLE, déguisé.

Monsieur, je ne sais pas si j'ai l'honneur d'être connu

M. JOURD. Non, monsieur.

cov., étendant la main à un pied de terre. Je vous ai vu que vous n'étiez pas plus grand que cela.

M. JOURD. Moi?

COV. Oui. Vous étiez le plus bel enfant du monde, et toutes les dames vous prenaient dans leurs bras pour vous baiser.

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COV. Oui. J'étais grand ami de feu monsieur votre père. De feu monsieur mon père?

M. JOURD.

cov. Oui. C'était un fort honnête gentilhomme.

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cov. Je dis que c'était un fort honnête gentilhomme. Mon père?

M. JOURD.

COV. Oui.

M. JOURD.

COV.

Vous l'avez fort connu?

Assurément.

M. JOURD. Et vous l'avez connu pour gentilhomme?

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M. JOURD.

Je ne sais donc pas comment le monde est fait. COV. Comment?

M. JOURD. Il y a de sottes gens qui me veulent dire qu'il a été marchand.

cov. Lui, marchand? c'est pure médisance, il ne l'a jamais été. Tout ce qu'il faisait, c'est qu'il était fort obligeant, fort officieux; et, comme il se connaissait fort bien en étoffes, il en allait choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui, et en donnait à ses amis pour de l'argent.

M. JOURD. Je suis ravi de vous connaître, afin que vous rendiez ce témoignage-là, que mon père était gentilhomme. COV. Je le soutiendrai devant tout le monde.

M. JOURD.

Vous m'obligerez. Quel sujet vous amène?

cov. Depuis avoir connu feu monsieur votre père, honnête gentilhomme, comme je vous ai dit, j'ai voyagé par tout le monde.

M. JOURD.

COV. Oui.

M. JOURD.

Par tout le monde ?

Je pense qu'il y a bien loin en ce pays-là. COV. Assurément. Je ne suis revenu de tous mes longs voyages que depuis quatre jours; et, par l'intérêt que je prends à tout ce qui vous touche, je viens vous annoncer la meilleure nouvelle du monde.

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COV. Vous savez que le fils du grand Turc est ici?

M. JOURD. Moi? non.

COV. Comment! il a un train tout à fait magnifique; tout le monde le va voir, et il a été reçu en ce pays comme un seigneur d'importance.

M. JOURD.

Par ma foi, je ne savais pas cela.

COV. Ce qu'il y a d'avantageux pour vous, c'est qu'il est amoureux de votre fille.

M. JOURD. Le fils du grand Turc?

cov. Oui; et il veut être votre gendre.

M. JOURD. Mon gendre, le fils du grand Turc?

cov. Le fils du grand Turc votre gendre. Comme je le fus voir, et que j'entends parfaitement sa langue, il s'entretint

avec moi; et, après quelques autres discours, il me dit: Acciam croc soler onch alla moustaphgidélum amanahem varahini oussere carbulath? C'est-à-dire : N'as-tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de monsieur Jourdain gentilhomme parisien?

M. JOURD.

Le fils du grand Turc dit cela de moi?

Cov. Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connaissais particulièrement, et que j'avais vu votre fille! Ah! me dit-il, marababa sahem! C'est-à-dire : Ah! que je suis amoureux d'elle!

M. JOURD.

Marababa sahem veut dire: Ah! que je suis

amoureux d'elle? COV. Oui.

M. JOURD.

Par ma foi, vous faites bien de me le dire, car, pour moi, je n'aurais jamais cru que marababa sahem eût voulu dire: Ah! que je suis amoureux d'elle! langue admirable que ce turc!

cov. Plus admirable qu'on ne peut croire. bien ce que veut dire cacaracamouchen?

M. JOURD. Cacaracamouchen? non.

COV. C'est-à-dire : Ma chère âme.

Voilà une

Savez-vous

M. JOURD. Cacaracamouchen veut dire ma chère âme?
COV. Oui.

M. JOURD.

Voilà qui est merveilleux!

Cacaracamouchen, ma chère âme! Dirait-on jamais cela? Voilà qui me confond. cov. Enfin, pour achever mon ambassade, il vient vous demander votre fille en mariage; et, pour avoir un beau-père qui soit digne de lui, il veut vous faire mamamouchi, qui est une certaine grande dignité de son pays.

M. JOURD. Mamamouchi?

COV.

Oui, mamamouchi: c'est-à-dire, en notre langue, paladin. Paladin, ce sont de ces anciens. . . . Paladin enfin. Il n'y a rien de plus noble que cela dans le monde; et vous irez de pair avec les plus grands seigneurs de la terre.

:

M. JOURD. Le fils du grand Ture m'honore beaucoup et je vous prie de me mener chez lui pour lui en faire mes remercî

ments.

COV. Comment! le voilà qui va venir ici.

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