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Puissé-je, hélas! au doux bruit de leur onde,
Finir mes jours, ainsi que mes revers!

Ce petit coin de l'univers

Rit plus à mes regards que le reste du monde.
L'olive, le citron, la noix chère à Palès,

Y rompent de leur poids les branches gémissantes;
Et sur le mont voisin les grappes mûrissantes
Ne portent point envie aux raisins de Calès.

65. PARNY, 1753-1814.

ÉVARISTE-DÉSIRé Desforges, cHEVALIER DE PARNY, poète érotique, surnommé le Tibulle Français, naquit à l'île Bourbon en 1753. élégies sont des chefs-d'œuvre de sentiment.

LA CHASSE DU TAUREAU SAUVAGE.

Le cor lointain a retenti trois fois,1
Et le taureau mugit au fond des bois.
De la forêt usurpateur sauvage,

Il vous attend, volez, adroits guerriers;
Là, des combats vous trouverez l'image,
Les dangers même, et de nouveaux lauriers.

Sur le taureau mugissant et terrible,
Pleuvent les dards, les lances, les épieux.
Il cède, il fuit, revient plus furieux,
Plus menacé, mais toujours invincible;
Il fuit encor2 sous les traits renaissants.
Devant ses pas, au loin retentissants,
Des bois émus le peuple se disperse:
Son front écarte, ou brise les rameaux.
Dans le torrent il tombe, le traverse;
Et son passage avec fracas renverse
Les troncs vieillis et les jeunes ormeaux.

Ses

Alkent prévoit ses détours, le devance,
Et près d'un chêne il se place en silence.
Le dard lancé par sa robuste main
Atteint le flanc du monstre, qui soudain
Se retournant sur lui se précipite.
D'un saut léger l'adroit chasseur l'évite,
Et frappe encor le flanc déjà sanglant.
Le taureau tombe, et prompt il se relève.
Tremblez, Alkent, fuyez en reculant;
A ce front large il oppose son glaive,
Succès trompeur! dans la tête enfoncé,
Le fer se rompt: de ses mains frémissantes
Alkent saisit les cornes menaçantes,
Lutte, combat, repousse, est repoussé,
Du monstre évite et lasse la furie,
Ranime alors sa vigueur affaiblie,
Et le taureau sur l'herbe est renversé :
Pour les chasseurs sa chute est une fête.
L'heureux Alkent, immobile un instant,
Reprend haleine, et fier de sa conquête,
Pour l'achever, du monstre palpitant
Sa hache enfin coupe l'énorme tête.
Joyeux il part, et suivi des chasseurs,
Environné de flottantes bannières,

Des chiens hurlants, et des trompes guerrières,
De la victoire il goûte les douceurs.

A ces douceurs l'espoir ajoute encore;
Vers le cortége il marche radieux :
Sur lui soudain se fixent tous les yeux;
Et toujours fier il jette aux pieds d'Isaure
Le don sanglant, le don le plus flatteur,
Qu'à la beauté puisse offrir la valeur.

LA ROSE.

Lorsque Vénus, sortant du sein des mers,1
Sourit aux Dieux charmés de sa présence,
Un nouveau jour éclaira l'univers;

Dans ce moment la rose prit naissance.
D'un jeune lis elle avait la blancheur;
Mais aussitôt le père de la treille,
De ce nectar dont il fut l'inventeur
Laissa tomber une goutte vermeille,
Et pour toujours il changea sa couleur.
De Cythérée elle est la fleur chérie,
Et de Paphos elle orne les bosquets.
Sa douce odeur, aux célestes banquets,
Fait oublier celle de l'ambroisie.
Son vermillon doit parer la beauté;
C'est le seul fard que met la volupté;3
A cette bouche où le sourire joue,
Son coloris prête un charme divin:
De la Pudeur elle couvre la joue,
Et de l'Aurore elle rougit la main.

1

§ 66. FLORIAN, 1755-1794.

JEAN-PIERRE CLARIS DE FLORIAN, né au château de Florian dans les Cevennes, était le second des fabulistes français. On distingue dans ses œuvres, qui forment 13 volumes in 8°, 1823-24, des pastorales: Estelle, Galatée; des romans: Numa-Pompilius, Gonsalve de Cordoue; des comédies, des fables et des nouvelles. Il a laissé aussi une mauvaise imitation du Don Quichotte.

LA FABLE ET LA VÉRITÉ.

La Vérité toute nue1

Sortit un jour de son puits.

Ses attraits par le temps étaient un peu détruits2;
Jeune et vieux fuyaient à sa vue.

La pauvre Vérité restait là morfondue,
Sans trouver un asile où pouvoir habiter.
A ses yeux vient se présenter
La Fable richement vêtue,
Portant plumes et diamants,

La plupart faux, mais très brillants.
"Eh! vous voilà? Bonjour, dit-elle.
Que faites-vous ici seule sur un chemin?"
La Vérité répond: "Vous le voyez, je gèle:
Aux passants je demande en vain
De me donner une retraite;

Je leur fais peur à tous. Hélas! je le vois bien,
Vieille femme n'obtient plus rien."
"Vous êtes pourtant ma cadette,
Dit la Fable, et, sans vanité,
Partout je suis fort bien reçue.
Mais aussi, dame Vérité,

Pourquoi vous montrer toute nue?

Cela n'est pas adroit. Tenez, arrangeons-nous;
Qu'un même intérêt nous rassemble.

Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble:
Chez le sage, à cause de vous,

Je ne serai point rebutée;

A cause de moi, chez les fous

Vous ne serez point maltraitée.

Servant par ce moyen chacun selon son goût,

Grâce à votre raison, et grâce à ma folie,

Vous verrez, ma sœur, que partout

Nous passerons de compagnie."

LE CHÂTEAU DE CARTES.

Un bon mari, sa femme et deux jolis enfants
Coulaient en paix leurs jours dans le simple héritage
Où, paisibles comme eux, vécurent leurs parents.
Ces époux, partageant les doux soins du ménage,
Cultivaient leur jardin, recueillaient leurs moissons;
Et le soir, dans l'été, soupant sous le feuillage,
Dans l'hiver, devant leurs tisons,

Ils prêchaient à leurs fils la vertu, la sagesse,
Leur parlaient du bonheur qu'elles donnent toujours:
Le père par un conte égayait ses discours,
La mère par une caresse.

L'aîné de ces enfants, né grave, studieux,
Lisait et méditait sans cesse;

Le cadet, vif, léger, mais plein de gentillesse,
Sautait, riait toujours, ne se plaisait qu'aux jeux.
Un soir, selon l'usage, à côté de leur père,
Assis près d'une table où s'appuyait la mère,
L'aîné lisait Rollin: le cadet, peu soigneux

D'apprendre les hants faits des Romains et des Parthes,
Employait tout son art, toutes ses facultés,
A joindre, à soutenir par les quatre côtés,
Un fragile château de cartes.

Il n'en respirait pas d'attention, de peur.
Tout à coup voici le lecteur

Qui s'interrompt: "Papa, dit-il, daigne m'instruire
Pourquoi certains guerriers sont nommés conquérants,
Et d'autres fondateurs d'empire?

Ces deux noms sont-ils différents?"
Le père méditait une réponse sage,

Lorsque son fils cadet, transporté de plaisir,
Après tant de travail, d'avoir pu parvenir
A placer son second étage,

S'écrie: "Il est fini!" Son frère, murmurant,

Se fâche, et d'un seul coup détruit son long ouvrage ;

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