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Cris impuissants, fureurs bizarres !
Tandis que ces monstres barbares
Poussaient d'insolentes clameurs,
Le Dieu poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.7

§ 60. SAINT LAMBERT, 1717-1805.

JEAN-CHARLES-FRANÇOIS DE SAINT LAMBERT, poète distingué et littérateur aimable, naquit à Nancy en 1717, et mort à Paris en 1805. Le poème des Saisons est son plus bel ouvrage.

L'ORAGE.

On voit à l'horizon de deux points opposés1
Des nuages monter dans les airs embrasés;
On les voit s'épaissir, s'élever et s'étendre.
D'un tonnerre éloigné le bruit s'est fait entendre:
Les flots en ont frémi, l'air en est ébranlé,
Et le long du vallon le feuillage a tremblé;
Les monts ont prolongé le lugubre murmure,
Dont le son lent et sourd attriste la nature.
Il succède à ce bruit un calme plein d'horreur,
Et la terre en silence attend dans la terreur;
Des monts et des rochers le vaste amphithéâtre
Disparaît tout-à-coup sous un voile grisâtre,
Le nuage élargi les couvre de ses flancs;
Il pèse sur les airs tranquilles et brûlants.

Mais des traits enflammés ont sillonné la nue,
Et la foudre, en grondant, roule dans l'étendue;

Elle redouble, vole, éclate dans les airs;

Leur nuit est plus profonde; et de vastes éclairs
En font sortir sans cesse un jour pâle et livide.
Du couchant ténébreux s'élance un vent rapide
Qui tourne sur la plaine, et, rasant les sillons,
Enlève un sable noir qu'il roule en tourbillons.
Ce nuage nouveau, ce torrent de poussière,
Dérobe à la campagne un reste de lumière.
La peur, l'airain sonnant, dans les temples sacrés
Font entrer à grands flots les peuples égarés.
Grand Dieu! vois à tes pieds leur foule consternée
Te demander le prix des travaux de l'année.

Hélas! d'un ciel en feu les globules glacés
Écrasent en tombant les épis renversés.
Le tonnerre et les vents déchirent les nuages;
Le fermier de ses champs contemple les ravages,
Et presse dans ses bras ses enfants effrayés.
La foudre éclate, tombe; et des monts foudroyés
Descendent à grand bruit les graviers et les ondes,
Qui courent en torrents sur les plaines fécondes.
O récolte! ô moissons! tout périt sans retour.
L'ouvrage de l'année est détruit dans un jour.

LA CHASSE DU CERF.

Mais l'automne offre encor d'autres amusements,1
Où le courage et l'art mènent à la victoire;
Diane dans ses jeux se propose la gloire.
Entendez-vous quel bruit retentit dans les airs,
Et d'échos en échos roule dans ces déserts?
La Discorde, Bellone ou le Dieu de la guerre,
Par ce bruit effrayant menacent-ils la terre?
De la vaste forêt l'espace en est rempli,
Dans ses sombres buissons le cerf a tressailli;
Au monarque des bois la guerre est déclarée.

Il a vu d'ennemis sa demeure entourée,

Et des chiens dévorants, en groupes dispersés,
De distance en distance autour de lui placés.
Là, le coursier fougueux levant sa tête altière,
Bondissant sous son maître et frappant la bruyère,
De la course tardive appelle les instants.

Mais on part; il s'élance; et des sons éclatants Sur les traces du cerf, dont la terre est empreinte, Ont conduit le chasseur au centre de l'enceinte. Le timide animal s'épouvante et s'enfuit,

Et voit dans chaque objet la mort qui le poursuit.
Sa route sur le sable est à peine tracée:

Il devance en courant la vue et la pensée;
L'œil le suit et le cherche aux lieux qu'il a quittés.
Ses cruels ennemis, par le cor excités,

S'élèvent sur ses pas au sommet des montagnes,
Ou fondent à grands cris sur les vastes campagnes.
Effrayé des clameurs et des longs hurlements
Sans cesse à son oreille apportés par les vents,
Vers ces vents importuns il dirige sa fuite;
Mais la troupe implacable, ardente à sa poursuite,
En saisit mieux alors ses esprits vagabonds.
Il écoute et s'élance, et s'élève par bonds;
Il voudrait ou confondre, ou dérober sa trace,
Se dérober du sable et voler dans l'espace.
Hélas! il change en vain sa route et ses retours.

Dans le taillis obscur il fait de longs détours;
Il revoit ces grands bois, théâtre de sa gloire,
Où jadis cent rivaux lui cédaient la victoire,
Où, couvert de leur sang, consumé de désirs,
Pour prix de son courage il obtint les plaisirs.
Il force un jeune cerf à courir dans la plaine,
Pour présenter sa trace à la meute incertaine;
Mais le chasseur la guide, et prévient son erreur.
Le cerf est abattu, tremblant, saisi d'horreur;

Son armure l'accable, et sa tête est penchée;
Sous son palais brûlant sa langue est desséchée.
Il entend de plus près des cris plus menaçants,
Et fait pour fuir encor des efforts impuissants.
Ses yeux appesantis laissent tomber des larmes.
A la troupe en fureur il oppose ses armes :
En vain le désespoir le ranime un instant;
Il tombe, se relève, et meurt en combattant.

§ 61. DELILLE, 1738-1813.

JACQUES DELILLE naquit à Aigueperse, près de Clermont, en Auvergne, et il fit à Paris de brillantes études.

Son premier ouvrage fut une traduction des Géorgiques de Virgile, qui fut accueillie, avec un concert unanime d'applaudissements; tout le monde admira la facilité, la grâce et l'aisance de l'élégant traducteur: les savants surtout furent étonnés de la difficulté vaincue avec tant de bonheur, et l'Académie crut s'honorer en ouvrant ses portes au jeune poète.

Le poème des Jardins vint bientôt ajouter un nouveau titre à sa gloire, et fut accueillie avec le même enthousiasme. Cet ouvrage manque de plan et d'ensemble, mais il est rempli de beautés de détail; il brille d'une poésie riche et colorée, et l'auteur lui-même le regardait comme son chef-d'œuvre. Delille publia successivement: un Dithyrambe sur l'immortalité de l'âme, composé à la pressante sollicitation de Robespierre et où respirent un enthousiasme lyrique et une ardente indignation contre la tyrannie; une traduction de l'Énéide, à laquelle il travaillait depuis trente ans, et qui n'est cependant qu'un faible reflet de l'original; l'Homme des Champs, qui n'eût pas dû paraître après les Géorgiques; les Trois Règnes de la Nature, poème où l'on remarque toutes les beautés, mais aussi tous les défauts, du genre descriptif; le poème de la Pitié, dans lequel l'auteur peint les crimes de la révolution et les malheurs de la famille royale, à laquelle il a été constamment attaché; une traduction du Paradis perdu de Milton, belle copie du tableau d'un grand maître; et enfin le poème de la Conversation, où il se prit pour modèle, car personne ne possédait plus que

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lui le talent de converser, de plaire et de charmer. Pendant très longtemps professeur de belles-lettres à l'université, et de poésie latine au collége de France, il sut toujours captiver son nombreux auditoire par un esprit brillant, une gaieté douce et un admirable talent pour la lecture. Comme Homère et Milton, il mourut aveugle.

LE CHIEN.

A leur tête est le chien, aimable autant qu'utile,1
Superbe et caressant, courageux, mais docile.
Formé pour le conduire et pour le protéger,
Du troupeau qu'il gouverne il est le vrai berger.
Le ciel l'a fait pour nous, et dans leur cour rustique,
Il fut des rois pasteurs le premier domestique;
Redevenu sauvage, il erre dans les bois:

Qu'il aperçoive l'homme, il rentre sous ses lois,
Et, par un vieil instinct qui jamais ne s'efface,
Semble de ses amis reconnaître la trace.

Gardant du bienfait seul le doux ressentiment,
Il vient lécher ma main après le châtiment;
Souvent il me regarde; humide de tendresse,
Son œil affectueux implore une caresse.
J'ordonne, il vient à moi; je menace, il me fuit;
Je l'appelle, il revient; je fais signe, il me suit;
Je m'éloigne, quels pleurs! je reviens, quelle joie !
Chasseur sans intérêt, il m'apporte sa proie.
Sévère dans la ferme, humain dans la cité
Il soigne le malheur, conduit la cécité,
Et moi, de l'Hélicon malheureux Bélisaire,
Peut-être un jour ses yeux guideront ma misère.
Est-il hôte plus sûr, ami plus généreux ?
Un riche marchandait le chien d'un malheureux;
Cette offre l'affligea: "Dans mon destin funeste
Qui m'aimera, dit-il, si mon chien ne me reste?"
Point de trève à ses soins, de borne à son amour;
Il me garde la nuit, m'accompagne le jour:
Dans la foule étonnée on l'a vu reconnaître,

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