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Leurs compagnons les dépassaient sans se déranger d'un pas, de peur d'allonger leur chemin, sans détourner la tête, car leur barbe, leurs cheveux étaient hérissés de glaçons, et chaque mouvement était une douleur. Ils ne les plaignaient même pas car, enfin, qu'avaient-ils perdu en succombant ?. que quittaient-ils? On souffrait tant! On était encore si loin de la France! si dépaysé par les aspects, par le malheur, que tous les doux souvenirs étaient rompus, et l'espoir presque détruit aussi le plus grand nombre était devenu indifférent sur la mort, par nécessité, par habitude de la voir, par ton, l'insultant même quelquefois; mais, le plus souvent, se contentant de penser, à la vue de ces infortunés étendus et aussitôt roidis, qu'ils n'avaient plus de besoins, qu'ils se reposaient, qu'ils ne souffraient plus! Et, en effet, la mort, dans une position douce, stable, uniforme, peut être un événement toujours étrange, un contraste effrayant, une révolution terrible; mais, dans ce tumulte, dans ce mouvement violent et continuel d'une vie toute d'action, de dangers et de douleurs, elle ne paraissait qu'une transition, un faible changement, un déplacement de plus, et qui étonnait peu.

Tels furent les derniers jours de la grande armée.

§ 36. NODIER, 1783-1844.

M. CHARLES NORIER a mérité l'estime des savants, et a pris place dans leurs rangs, par d'importants travaux comme grammairien, philologue, bibliographe et critique. Il accueillit la Muse nouvelle. Cependant, lorsque l'Académie française l'eut admis dans son sein, il parut être redevenu classique, et le romantisme perdit en lui un de ses soutiens. On estime ses Souvenirs, Épisodes et Portraits, pour servir à l'histoire de la Révolution et de l'Empire.

Parmi ses œuvres philologiques, on remarque un examen critique de l'ancienne édition du Dictionaire de l'Académie.

NAPOLÉON.

Napoléon fut comblé, par sa fortune,1 de tous les avantages qui pouvaient mettre un grand homme à la tête d'un grand siècle; et cette faveur d'une destinée sans exemple s'est encore attachée à sa mémoire. Comme l'histoire ne présente aucune époque où l'expression de la pensée ait pu être plus librement sincère que dans la nôtre, elle n'a conservé le nom d'aucun homme qui ait été plus promptement apprécié d'une manière irrévocable. Quelques années de liberté of suffi pour faire intervenir la postérité entre lui, ses ennemis et ses flatteurs. Il n'a pas même attendu, comme ces rois d'Égypte dont parle Hérodote, l'arrêt d'un peuple assemblé à ses funérailles. L'avenir n'aura rien à changer au jugement de ses contemporains. I l'élèvera au premier rang des grands capitaines et des hommes d'État les plus habiles, un peu audessous de César, peut-être, mais fort au-dessus de Cromwell et de Richelieu. Il lui reprochera des excès, des violences, une imprévoyance aveugle, une ambition insatiable, un mépris impie pour les droits des peuples et pour la foi des serments. Il verra en lui, comme il le disait, une espèce de dieu de la gloire; mais il y verra aussi l'étouffeur de la pensée humaine et le fléau de la liberté.

Ce qu'il serait à craindre que l'histoire ne dît pas, si elle ne consultait que certains mémoires, c'est que l'asservissement de

la France ne fut pas aussi volontaire, aussi spontané qu'on se l'imagine: Napoléon régna de pleine puissance et sans obstacle, parce qu'il n'y a rien de plus facile que de régner ainsi, à qui le veut fermement, quand il a une fois franchi les premiers degrés du pouvoir. Avec beaucoup d'or, avec beaucoup de hochets, des rubans, des dignités, des couronnes; avec le goût et l'art de la corruption, on se compose sans peine un gouvernement; mais Napoléon ne régna jamais du consentement libre de ce qui représente réellement une nation, de cette classe éclairée et sensible dont le suffrage seul peut consolider de jeunes institutions, et sans l'appui de laquelle les trônes les mieux affermis en apparence ne sont qu'un usufruit passager. Napoléon devint populaire après sa chute; c'est le privilége d'une grande renommée trahie par une grande infortune. Napoléon, empereur et roi, avait été le moins populaire des tyrans. Il a laissé d'immortels souvenirs à la mémoire, il n'en a pas laissé à l'âme; son couronnement ne fut que l'acte culminant d'une conspiration triomphante; le peuple n'assistait à ce dénoûment dun crime heureux qu'en qualité de spectateur.

LE LOCH LOMOND.

Le lac Lomond commençait à se découvrir à ma droite et décorait un horizon immense de l'incroyable variété de ses aspects. Qu'on n'attende pas de moi l'impossible effort de le peindre.

Qui pourrait faire passer avec une encre froide, avec des mots stériles, dans l'esprit et le cœur des autres, des émotions dont on s'étonne soi-même, et qu'on ne se croyait plus la force d'éprouver? Qui pourrait décrire cette méditerranée des montagnes, chargée d'îles toutes variées dans leur formes et dans leur caractère; les unes graves, majestueuses, couvertes de noirs ombrages qui se confondent avec la couleur des eaux, car les lacs de Calédonie sont toujours les lacs noirs d'Ossian 3; les autres plus tristes, plus austères encore, dressant çà et là sur leur surface quelques rochers dépouillés, à peine frappés

de tons bizarres par les reflets de la lumière, ou quelques touffes de fleurs saxatiles; le plus grand nombre déployant de frais rivages, des bocages ravissants, des bouquets de futaies élevées, placés comme de grandes masses d'ombres sur le vert soyeux de la pelouse: jardin délicieux où l'âme se transporte avec ravissement, et dont l'éloquente beauté parle au cœur de tous les hommes! J'ai vu un paysan immobile devant le lac, les yeux fixes, l'esprit absorbé, à ce qu'il paraissait, dans une méditation profonde. Je me suis approché de lui. Je l'ai détourné de sa contemplation. Il m'a regardé un moment, et m'a dit en soupirant et en élevant les mains vers le ciel : Fine country! (superbe pays!)

"Le lac Lomond peut être regardé, en élégance, en grandeur, en variété de sites et d'effets, dit l'excellent Itinéraire de Chapman, comme le plus intéressant et le plus magnifique de la Grande-Bretagne." Je le regarde, moi qui ai parcouru beaucoup de pays, comme un des spectacles les plus intéressants et les plus magnifiques de la nature, et je me flatte de faire adopter cette appréciation" au lecteur le moins sensible à ce genre de beautés, sans me servir d'aucun des prestiges de l'hyperbole. Qu'il se représente un lac sur lequel on compte trente-deux îles, dont un grand nombre ont plusieurs milles de longueur, et qui a son horizon borné de tous côtés par une chaîne de montagnes dont quelques-unes ont plus de cinq cents toises d'élévation. Qu'il joigne à cette simple donnée topographique l'effet d'une végétation variée, mais toujours charmante ou sublime, celui des accidents du jour et de l'ombre dans les circuits de ces gorges profondes où le soleil paraît et disparaît à tout moment, en passant derrière les montagnes qui les embrassent; les apparences bizarres des vapeurs qui pendent à leurs sommets, dans ce pays, qui a consacré, si l'on peut parler ainsi, la mythologie des nuages; les bruits singuliers des échos qui se renyoient à des distances infinies la moindre rumeur du moindre flot, et qui finissent par vous apporter je ne sais quel frémissement harmonieux, comme celui qui expire dans la. dernière vibration d'une çorde de harpe; la tradition des premiers temps, et, avec elle, les

noms d'Ossian, de Fingal, d'Oscar, qui sont parvenus avec la mémoire de leurs faits et de leurs chants à tous les habitants de ces rivages presque aussi vivement que ceux d'un héros d'une époque plus rapprochée, et de ce Rob Roy 10 lui-même, par lequel le Calédonien, ému d'une forte surprise ou d'un profond sujet de crainte, jure encore aujourd'hui comme les Latins juraient par Hercule.

§ 37. GUIZOT, NÉ EN 1785.

Dès 1811 M. GUIZOT publia ses Annales de l'éducation, ouvrage périodique, et travailla à la rédaction de plusieurs journaux. Une foule d'ouvrages sont sortis de sa plume féconde; les principaux sont: 1° Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain; 2o du Gouvernement représentatif et sur l'état actuel de la France; 3° de la Peine de mort en matière de politique ; 4° Essai sur l'Histoire de France; 5° du Gouvernement de la France depuis la restauration, et du ministère actuel; 6° Histoire de la Révolution d'Angleterre, depuis l'avènement de Charles Jer jusqu'à la restauration de Charles II; 7° Cours d'Histoire moderne; 8° Nouveau Dictionnaire des synonymes français; 9° Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps; 10° l'Église et la société

chrétienne en 1861.

M. Guizot doit aussitôt s'occuper de l'impression d'un nouveau volume de Méditations religieuses, qu'il vient de terminer.

Dans tous ces ouvrages, quel qu'en soit le sujet, histoire, politique, éducation, philologie, philosophie, M. Guizot se fait remarquer par la profondeur des aperçus, l'élévation des pensées, la sévérité du style.

EXÉCUTION DE CHARLES IER.

Après quatre heures d'un sommeil profond, Charles sortait de son lit: "J'ai une grande affaire à terminer, dit-il à Herbert, il faut que je me lève promptement;" et il se mit à sa toilette. Herbert troublé le peignait avec moins de soin: "Prenez, je vous prie, lui dit le roi, la même peine qu'à l'ordinaire; quoique ma tête ne doive pas rester longtemps sur

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