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sentir de remords; ne se souvenant ni de leurs crimes, ni de leurs vertus amants pusillanimes de la vie pendant la paix, prodigues de leur jours dans les batailles; vains, railleurs, ambitieux, à la fois routiniers et novateurs, méprisant tout ce qui n'est pas 'eux; individuellement, les plus aimables des hommes; en corps, les plus désagréables de tous; charmants dans leur propre pays, insupportables chez l'étranger ; tour à tour plus doux, plus innocents que l'agneau qu'on égorge, et plus impitoyables, plus féroces que le tigre qui déchire: tels furent les Athéniens d'autrefois, et tels sont les Français d'aujourd'hui.

§.33. CUVIER, 1769-1832.

CUVIER était un des quarante de l'Académie française, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, professeur d'histoire naturelle au Muséum du Jardin des Plantes, pair de France et membre du conseil royal de l'université.

Il naquit à Montbéliard le 25 août 1769. Livré de bonne heure à l'étude de l'histoirę naturelle, il ne tarda pas à faire une révolution dans cette science, et détruisit à jamais cette classification superficielle des êtres, qui n'était fondée que sur des apparences, et dans laquelle Pline et Buffon substituèrent leur imagination à la réalité.

Pour lui, la chaîne des êtres commence aux organisations les plus basses et les plus simples, et s'élève aux organisations les plus composées; il fit plus, il découvrit un monde tout entier enfoui sous le nôtre avec ses habitants (les fossiles); il exhuma, aux yeux de l'Europe étonnée, les ossements gigantesques d'animaux inconnus aujourd'hui sur notre terre; et le reste de ces races détruites suffit à son regard intelligent pour les reproduire tout entières, telles qu'elles étaient avant le cataclysme qui les ensevelit. Les étrangers même, frappés de ses grandes découvertes, le regardent comme le plus vaste génie de notre époque.

Il a publié une foule d'ouvrages, parmi lesquels on distingue l'Histoire des progrès des sciences naturelles, son Anatomie comparée, et ses Éloges historiques.

Cet homme universel, aussi habile écrivain que savant naturaliste, expira le 13 mai 1832.

LES ANIMAUX DOMESTIQUES.

La soumission absolue que nous exigeons des animaux domestiques, l'espèce de tyrannie avec laquelle nous les gouvernons, nous ont fait croire qu'ils nous obéissent en véritables esclaves; qu'il nous suffit de la supériorité que nous avons sur eux pour les contraindre à renoncer à leur penchant naturel d'indépendance, à se ployer à notre volonté, à satisfaire ceux de nos besoins auxquels leur organisation, leur intelligence, ou leur instinct les rendent propres et nous permettent de les employer. Nous concevons cependant que si le chien est devenu si bon chasseur par nos soins, c'est qu'il l'était naturellement, et que nous n'avons fait que développer une de ses qualités originelles; et nous reconnaissons qu'il en est à peu près de même pour toutes les qualités diverses que nous recherchons dans nos animaux domestiques; mais la domesticité elle-même, quant à la soumission que nous obtenons de ces animaux, c'est à nous seuls que nous l'attribuons. La source de notre erreur est que, jugeant sur de simples apparences nous avons confondu deux idées essentiellement distinctes, la domesticité et l'esclavage; nous n'avons vu aucune différence entre la soumission de l'animal et celle de l'homme; et, du sacrifice que l'homme esclave se trouvait forcé de nous faire, nous avons pensé que l'animal domestique nous faisait un sacrifice équivalent. Cependant ces deux situations n'ont rien de semblable. L'homme ne peut être réduit et maintenu en esclavage que par la force; l'animal ne peut être amené à la domesticité que par la séduction, c'est-à-dire qu'autant qu'on agit sur ses besoins, soit pour les satisfaire, soit pour les affaiblir.

La domesticité des animaux repose sur le penchant qu'ils ont à vivre réunis en troupe et à s'attacher les uns aux autres. Les bons traitements contribuent surtout à développer chez eux l'instinct de la sociabilité, et à affaiblir proportionnellement tous penchants qui seraient en opposition avec lui. C'est pourquoi il ne fut jamais d'asservissement plus sûr pour les animaux, que celui qu'on obtient par le bien-être qu'on leur fait éprouver. Mais il ne suffit pas de satisfaire les besoins des animaux

pour les captiver, il faut davantage; et c'est en exaltant leurs besoins ou en en faisant naître de nouɣeaux que nous sommes parvenus à nous les attacher et à leur rendre, pour ainsi dire, la société de l'homme nécessaire.

Si l'on ajoute à l'influence de la faim celle d'une nourriture choisie, l'empire du bienfait peut s'accroître considérablement, et il arrive à un point étonnant si, par une nourriture artificielle, on parvient à flatter beaucoup plus le goût des animaux, qu'on ne le ferait avec la nourriture la meilleure, mais que la nature leur aurait destinée. En effet, c'est principalement au moyen de véritables friandises, et surtout du sucre, qu'on parvient à maîtriser les animaux herbivores que nous voyons soumettre à ces exercices extraordinaires, dont nos cirques nous rendent quelquefois les témoins.

Toutefois une disposition particulière est indispensable pour que les animaux se soumettent et s'attachent à l'espèce humaine, et se fassent un besoin de sa protection. Cette disposition ne peut être que l'instinct de la sociabilité porté à un très haut degré, et accompagné des qualités propres à en favoriser l'influence et le développement; car tous les animaux ne sont pas susceptibles de devenir domestiques, mais tous nos animaux domestiques, qui sont connus dans leur état de nature, que leur espèce y soit en partie restée, ou que quelques-unes de leurs races y soient rentrées accidentellement, forment des troupes plus ou moins nombreuses; tandis qu'aucune espèce solitaire, quelque facile qu'elle soit à apprivoiser, n'a donné des races domestiques.

BUFFON ET LINNÆUS.'

L'histoire naturelle ne serait peut-être pas arrivée sitôt à la brillante destinée que ces sages préceptes lui préparaient, si deux des plus grands hommes qui aient illustré le dernier siècle n'avaient concouru, malgré l'opposition de leurs vues et de leur caractère, ou plutôt à cause de cette opposition même, à lui donner des accroissements aussi subits qu'étendus. Linnæus et Buffon semblent en effet avoir possédé, chacun

dans son genre, des qualités telles qu'il était impossible que le même homme les réunit, et dont l'ensemble était cependant nécessaire pour donner à l'étude de la nature une impulsion aussi rapide.

Tous deux passionnés pour leur science et pour la gloire, tous deux infatigables dans le travail, tous deux d'une sensibilité vive, d'une imagination forte, d'un esprit transcendant, ils arrivèrent tous deux dans la carrière armés des ressources d'une érudition profonde; mais chacun s'y traça une route différente, suivant la direction particulière de son génie. Linnæus saisissait avec finesse les traits distinctifs des êtres; Buffon en embrassait d'un coup d'œil les rapports les plus éloignés. Linnæus, exact et précis, se créait une langue à part pour rendre ses idées dans toute leur vigueur; Buffon, abondant et fécond, usait de toutes les ressources de la sienne pour développer l'étendue de ses conceptions. Personne mieux que Linnæus ne fit jamais sentir les beautés de détail dont le Créateur enrichit avec profusion tout ce qu'il a fait naître; personne mieux que Buffon ne peignit jamais la majesté de la création, et la grandeur imposante des lois auxquelles elle est assujettie. Le premier, effrayé du chaos où l'incurie de ses prédécesseurs avait laissé l'histoire de la nature, sut, par des méthodes simples et par des définitions courtes et claires, mettre de l'ordre dans cet immense labyrinthe, et rendre facile la connaissance des êtres particuliers; le second, rebuté de la sécheresse d'écrivains qui, pour la plupart, s'étaient contentés d'être exacts, sut nous intéresser à ces êtres particuliers par les prestiges de son langage harmonieux et poétique. Quelquefois, fatigué de l'étude pénible de Linnæus, on vient se reposer avec Buffon; mais toujours, lorsqu'on a été délicieusement ému par ses tableaux enchanteurs, on veut revenir à Linnæus pour classer avec ordre ces charmantes images dont on craint de ne conserver qu'un souvenir confus; et ce n'est pas sans doute le moindre mérite de ces deux écrivains que d'inspirer continuellement le désir de revenir de l'un à l'autre, quoique cette alternative semble prouver et prouve en effet qu'il leur manque quelque chose à chacun.

§ 34. SIMONDE DE SISMONDI, 1773-1842.

Cet historien illustre naquit à Genève en 1773. Il est connu par des livres d'économie politique et par des livres d'histoire, entre lesquels l'Histoire des républiques italiennes au moyen âge a obtenu un grand succès. Il faisait une Histoire des Français, très étendue, et déjà poussée jusqu'à Henri IV, lorsqu'il est mort. C'était un homme laborieux; il a de la méthode, et son style est souvent sage et pittoresque à la fois.

LA PESTE DE FLORENCE.1

En 1348 la peste infecta toute l'Italie, à la réserve de Milan et de quelques cantons au pied des Alpes, où elle fut à peine sentie. La même année, elle franchit les montagnes, et s'étendit en Provence, en Savoie, en Dauphiné, en Bourgogne, et, par Aigues-Mortes, pénétra en Catalogne. L'année suivante, elle comprit tout le reste de l'Occident jusqu'aux rives de la mer Atlantique, la Barbarie, l'Espagne, l'Angleterre et la France. Le Brabant seul parut épargné, et ressentit à peine la contagion. En 1350 elle s'avança vers le Nord, et envahit les Frisons, les Allemands, les Hongrois, les Danois et les Suédois. Ce fut alors, et par cette calamité, que la république d'Islande fut détruite. La mortalité fut si grande dans cette île glacée, que les habitants épars cessèrent de former un corps de nation.

Les symptômes ne furent pas partout les mêmes. En Orient, un saignement de nez annonçait l'invasion de la maladie; en même temps, il était le présage assuré de la mort. A Florence on voyait d'abord se manifester, à l'aine ou sous les aisselles, un gonflement qui surpassait même la grosseur d'un œuf. Plus tard, ce gonflement, qu'on nomma gavocciolo, parut indifféremment à toutes les parties du corps. Plus tard encore, les symptômes changèrent, et la contagion s'annonça le plus souvent par des taches noires ou livides, qui, larges et rares chez les uns, petites et fréquentes chez les autres, se montraient d'abord sur les bras ou sur les cuisses, puis sur le reste du corps, et qui, comme le gavocciolo, étaient l'indice

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