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DES SYSTÈMES D'ÉDUCATION.

L'étude des langues qui fait la base de l'instruction en Allemagne, est beaucoup plus favorable aux progrès des facultés dans l'enfance, que celle des mathématiques ou des sciences physiques. Pascal, ce grand géomètre, dont la pensée profonde planait sur la science dont il s'occupait spécialement comme sur toutes les autres, a reconnu lui-même les défauts inséparables des esprits formés d'abord par les mathématiques; cette étude, dans le premier âge, n'exerce que le mécanisme de l'intelligence; les enfants que l'on occupe de si bonne heure à calculer, perdent toute cette sève de l'imagination, alors si belle et si féconde, et n'acquièrent point à la place une justesse d'esprit transcendante; car l'arithmétique et l'algèbre se bornent à nous apprendre de mille manières des propositions toujours identiques. Les problèmes de la vie sont plus compliqués; aucun n'est positif, aucun n'est absolu; il faut deviner, il faut choisir, à l'aide d'aperçus et de suppositions qui n'ont aucun rapport avec la marche infaillible du calcul.

Les vérités démontrées ne conduisent point aux vérités probables, les seules qui servent de guide dans les affaires, comme dans les arts, comme dans la société. Il y a sans doute un point où les mathématiques elles-mêmes exigent cette puissance lumineuse de l'invention, sans laquelle on ne peut pénétrer dans les secrets de la nature; au sommet de la pensée, l'imagination d'Homère et celle de Newton semblent se réunir; mais combien d'enfants sans génie pour les mathé matiques ne consacrent-ils pas tout leur temps à cette science? On n'exerce chez eux qu'une seule faculté, tandis qu'il faut développer tout l'être moral, dans une époque où l'on peut si facilement déranger l'âme comme le corps, en ne fortifiant qu'une partie.

Rien n'est moins applicable à la vie qu'un raisonnement mathématique. Une proposition, en fait de chiffres, est décidément fausse ou vraie; sous tous les autres rapports le vrai se mêle avec le faux d'une telle manière, que souvent l'instinct peut seul nous décider entre des motifs divers, quel

quefois aussi puissants d'un côté que de l'autre. L'étude des mathématiques, habituant à la certitude, irrite contre toutes les opinions opposées à la nôtre; tandis que ce qu'il y a de plus important pour la conduite de ce monde, c'est d'apprendre les autres, c'est-à-dire, de concevoir tout ce qui les porte à penser et à sentir autrement que nous. Les mathématiques induisent à ne tenir compte que de ce qui est prouvé; tandis que les vérités primitives, celles que le sentiment et le génie saisissent, ne sont pas susceptibles de démonstration.

Enfin les mathématiques, soumettant tout au calcul, inspirent trop de respect pour la force; et cette énergie sublime qui ne compte pour rien les obstacles et se plaît dans les sacrifices, s'accorde difficilement avec le genre de raison que développent les combinations algébriques.

Il me semble donc que pour l'avantage de la morale, aussi bien que pour celui de l'esprit, il vaut mieux placer l'étude des mathématiques dans son temps, et comme une portion de l'instruction totale, mais non en faire le base de l'éducation, et par conséquent le principe déterminant du caractère et de l'âme.

Parmi les systèmes d'éducation, il en est aussi qui conseillent de commencer l'enseignement par les sciences naturelles; elles ne sont dans l'enfance qu'un simple divertissement; ce sont des hochets savants qui accoutument à s'amuser avec méthode et à étudier superficiellement. On s'est imaginé qu'il fallait, autant qu'on le pouvait, épargner de la peine aux enfants, changer en délassement toutes leurs études, leur donner de bonne heure des collections d'histoire naturelle pour jouets, des expériences de physique pour spectacle. Il me semble que cela aussi est un système erroné. S'il était possible qu'un enfant apprît bien quelque chose en s'amusant, je regretterais encore pour lui le développement d'une faculté, l'attention, faculté qui est beaucoup plus essentielle qu'une connaissance de plus. Je sais qu'on me dira que les mathématiques rendent particulièrement appliqué; mais elles n'habituent pas à rassembler, à apprécier, à concentrer; l'attention qu'elles exigent est, pour ainsi dire, en ligne droite; l'esprit

humain agit en mathématiques comme un ressort qui suit une direction toujours la même.

L'éducation faite en s'amusant disperse la pensée; la peine en tout genre est un des grands secrets de la nature; l'esprit de l'enfant doit s'accoutumer aux efforts de l'étude, comme notre âme à la souffrance. Le perfectionnement du premier âge tient au travail, comme le perfectionnement du second à la douleur; il est à souhaiter sans doute que les parents et la destinée n'abusent pas trop de ce double secret; mais il n'y a d'important, à toutes les époques de la vie, que ce qui agit sur le centre même de l'existence, et l'on considère trop souvent l'être moral en détail. Vous enseignerez avec des tableaux, avec des cartes, une quantité de choses à votre enfant; mais vous ne lui apprendrez pas à l'apprendre; et l'habitude de s'amuser, que vous dirigez sur les sciences, suivra bientôt un autre cours, quand l'enfant ne sera plus dans votre dépendance.

Ce n'est pas donc sans raison que l'étude des langues anciennes et modernes a été la base de tous les établissements d'éducation qui ont formé les hommes les plus capables en Europe; le sens d'une phrase dans une langue étrangère est à la fois un problème grammatical et intellectuel; ce problème est tout à fait proportionné à l'intelligence de l'enfant; d'abord il n'entend que les mots, puis il s'élève jusqu'à la conception de la phrase, et bientôt après la charme de l'expression; sa force, son harmonie, tout ce qui se trouve enfin dans le langage de l'homme, se fait sentir par degrés à l'enfant qui traduit. Il s'essaie tout seul avec les difficultés que lui présentent deux langues à la fois; il s'introduit dans les idées succesivement, compare et combine divers genres d'analogies et de vraisemblances; et l'activité spontanée de l'esprit, la seule qui développe vraiment la faculté de penser, est vivement excitée par cette étude. Le nombre des facultés qu'elle fait mouvoir à la fois lui donne l'avantage sur tout autre travail, et l'on est trop heureux d'employer la mémoire flexible de l'enfant à retenir un genre de connaissances, sans lequel il serait borné toute sa vie au cercle de sa propre nation, cercle étroit comme tout ce qui est exclusif.

L'étude de la grammaire exige la même suite et la même force d'attention que les mathématiques, mais elle tient de beaucoup plus près à la pensée. La grammaire lie les idées l'une à l'autre, comme le calcul enchaîne les chiffres; la logique grammaticale est aussi précise que celle de l'algèbre, et cependant elle s'applique à tout ce qu'il y a de vivant dans notre esprit; les mots sont en même temps des chiffres et des images; ils sont esclaves et libres, soumis à la discipline de la syntaxe, et tout-puissants par leur signification naturelle; ainsi l'on trouve dans la métaphysique de la grammaire l'exactitude du raisonnement et l'indépendance de la pensée réunies ensemble; tout a passé par les mots, et tout s'y retrouve quand on sait les examiner; les langues sont inépuisables pour l'enfant comme pour l'homme, et chacun en peut tirer tout ce dont il a besoin.

L'impartialité naturelle à l'esprit des Allemands les porte à s'occuper des littératures étrangères, et l'on ne trouve guère d'hommes un peu au-dessus de la classe commune, en Allemagne, à qui la lecture de plusieurs langues ne soit familière. En sortant des écoles on sait déjà d'ordinaire très bien le latin et le grec. L'éducation des universités allemandes, dit un écrivain français, commence où finit celle de plusieurs nations de l'Europe. Non-seulement les professeurs sont des hommes d'une instruction étonnante, mais ce qui les distingue surtout, c'est un enseignement très scrupuleux. En Allemagne, on met de la conscience dans tout, et rien en effet ne peut s'en passer. Si l'on examine le cours de la destinée humaine, on verra que la légèreté peut conduire à tout ce qu'il y a de mauvais dans ce monde. Il n'y a que l'enfance dans qui la légèreté soit un charme; il semble que le Créateur tienne encore l'enfant par la main, et l'aide à marcher doucement sur les nuages de la vie. Mais quand le temps livre l'homme à lui-même, ce n'est que dans le sérieux de son âme qu'il trouve des pensées, des sentiments et des vertus.

§ 31. MICHAUD, 1768-1840.

Parmi les productions littéraires qu'on doit à MICHAUD on remarque. l'Histoire des progrès et de la chute de l'Empire de Mysore, où le caractère extraordinaire, les succès et les malheurs du sultan Tippou-Saeb sont parfaitement décrits; le Printemps d'un Proscrit, poème descriptif rempli d'intérêt, de charmants tableaux et de beaux vers; l'Enlèvement de Proserpine, poème que plusieurs préfèrent même au précédent. L'Histoire des Croisades (six volumes in-8°), le plus important des travaux de M. Michaud, est celui qui a fondé sa réputation; la grandeur du sujet, l'impartialité des jugements, l'étendue des recherches, la simplicité et la noblesse du style, font de cet ouvrage un des plus beaux monuments historiques que possède la France.

L'auteur a visité ensuite l'Orient avec M. Poujoulat. Leur Correspondance, qui est la relation de ce voyage, nous a fait connaître et apprécier le talent littéraire de ce dernier. Dans les lettres qui appartiennent à M. Michaud, la fraîcheur du style semblerait trahir un jeune écrivain, si la maturité des jugements, la profondeur des pensées et un rare talent d'observation n'attestaient qu'elles sont le fruit d'une expérience et d'un savoir consommés.

D'autres productions moins importantes, mais toutes remarquables par l'élégance, la justesse et la grâce du style, sont sorties de la plume de M. Michaud, à qui l'on doit aussi d'excellents articles dans la Biographie Universelle, et la régénération du journal la Quotidienne, dont il était longtemps le plus utile collaborateur.

LE NIL.

Le Nil offre aux voyageurs un merveilleux spectacle, soit qu'on ne considère que le volume de ses eaux, soit qu'on examine les phénomènes qui accompagnent son cours. J'ai vu naguère les sources du Scamandre, les rives du Simoïs, l'embouchure du Granique, et le lit poudreux de l'Ilissus et du Céphise; tous ces fleuves si renommés n'auraient pas assez d'eau, surtout dans les chaleurs de l'été, pour remplir un des canaux du Delta; le Nil ne cesse jamais de couler, et c'est dans la saison où la plupart des sources tarissent, lorsque la terre est désséchée par des torrents de feu, que le fleuve d'Égypte enfle ses eaux et sort de son lit; le Nil, selon l'ex

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