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dessus du rang qui lui était déjà si bien acquis. A la bonne heure; il n'y en aurait pas moins d'ingratitude à ne pas le remercier d'avoir enrichi notre langue de tous les beaux vers dont le Poëme des Jardins est rempli. S'il y a beaucoup de négligences dans le troisième Chant, si dans tous les autres on rencontre de la sécheresse, de l'affectation, de la recherche et de l'uniformité, le style de l'ouvrage ne se distingue pas moins en général par une grande élégance, par le rhythme le plus flexible et le plus harmonieux. La peinture des jardins de Versailles et de Marly, la destruction de ce parc, le chef-d'œuvre d'un grand Roi, de Le Nôtre et des ans, le tableau des ruines de Rome, la Ferme, tous ces morceaux, restés dans le souvenir de toutes les personnes qui les avaient entendus, n'ont rien perdu à l'impression, et suffiraient pour prouver que personne depuis Racine n'a possédé, dans un degré plus éminent que M. l'abbé Delille, et tous les secrets de notre langue, et toutes les ressources de notre poésie. Remercions-le ainsi de ses Jardins; mais demandons-lui l'Enéide, qu'il nous promet depuis tant d'années. Traduire paraît être son vrai talent, et il n'y eut jamais un talent plus digne de traduire Virgile. Munus, Apolline dignum.

VERS sur M. le comte du Nord.

Quand d'une nouvelle Astrée

J'entendais célébrer l'empire glorieux,
Aux transports qu'inspirait sa puissance adorée
Une larme en secret s'échappait de mes yeux.
Immortelle, sans doute au sein de l'Empirée
Elle doit remonter un jour.

Peut-être, hélas ! de tant d'heureux prodiges
L'avenir ne verra que de faibles vestiges....
Mais un astre nouveau sourit à notre amour.
Sa jeune et vive lumière

Ouvré aux destins du Nord la plus vaste carrière.
Loin de tes bords, Newa, l'erreur fuit sans retour.
Fils d'Astrée, il suivra ce sublime modèle,

Et du torrent des temps il domptera le cours.
Des monumens fondés par elle

La gloire durera toujours.

Il faut qu'une comédie satirique soit bien médiocre pour ne pas même obtenir le succès du moment; mais il faut que l'auteur de cette comédie soit plus gauche encore que sa pièce pour la donner, lorsque le seul intérêt qui pouvait la soutenir est sinon oublié, du moins entièrement refroidi. C'est la sottise que vient de faire M. Cailhava d'Estandoux. Ses Journalistes anglais, représentés, pour la première fois, le 20 du mois dernier, avaient déjà été reçus par les Comédiens en 1778. Telle qu'elle est, si la pièce eût été jouée alors, on peut présumer que tant d'auteurs si mal menés par M. de La Harpe n'eussent rien négligé pour la faire applaudir; car c'est contre que sont sont dirigés les principaux traits du

lui

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pamphlet dramatique; mais aujourd'hui qu'il a renoncé généreusement à sa férule de journaliste, et que, dans la disette où nous sommes de vrais talens, personne, depuis quelques années, n'a occupé plus que lui le Théâtre et la Littérature d'ouvrages intéressans, cette satire a paru non-seulement injuste, mais, ce qui est beaucoup pis, hors de propos. On a jugé avec raison qu'il y avait de la bassesse et de l'indignité aux Comédiens français à se permettre de traduire ainsi sur leur Théâtre un homme de talent qui aurait assez de droit à leur reconnaissance, n'eût-il jamais fait que Molière à la nouvelle salle et la charmante pièce des Muses rivales, l'hommage le plus aimable que les Lettres aient encore rendu aux mânes du grand homme.

Il n'y a pas un prodigieux effort d'imaginative dans la fable des Journalistes anglais. M. Sterling, un riche négociant de Londres, qui a la manie des Lettres et de plus celle d'avoir un profond respect pour les Journaux, veut que sa fille Émilie épouse le sieur Discord, journaliste en chef, qu'il loge chez lui pour s'assurer mieux les honneurs de son suffrage. La jeune Émilie a, comme de raison, un amant qu'elle préfère à M. Discord, c'est le colonel Sedley, qui s'est introduit dans la maison sous le nom de M. Smith, et qui a su engager son propre rival a le prendre pour son secrétaire. Ce stratagème, assez extraordinaire sans doute pour un colonel, facilite tous les mauvais tours qu'on veut jouer à M. Discord.

Celui-ci finit par se trahir lui-même; mais, par un moyen fort usé, il confie imprudemment à ses ennemis un extrait injurieux qu'il a fait d'un ouvrage de M. Sterling, dans l'espoir que le secours de sa plume lui en paraîtra plus nécessaire pour repousser de si rudes atteintes. On montre l'extrait écrit de la main de Discord au bon homme; il n'en faut pas davantage pour le désabuser. Cette heureuse intrigue est terminée par une espèce de farce, où tous les personnages de la pièce défilent sur le théâtre en robe de palais pour former le tribunal facétieux auquel M. Sterling préside, et où l'on plaide fort ennuyeusement pour et contre les journalistes.

L'auteur s'est permis de désigner le personnage de Discord par plusieurs traits connus de la vie de M. de La Harpe, par des phrases entières prises mot à mot dans ses écrits, par une foule d'allusions aux aventures les plus équivoques de sa première jeunesse, et c'est après l'avoir caractérisé si grossièrement qu'il lui fait jouer le rôle du monde le plus avilissant. On peut s'étonner également et que l'auteur ait obtenu la permission de faire représenter une satire si outrée, et qu'une satire de cette espèce, représentée publiquement, ait cependant fait si peu de bruit; elle n'a excité ni plaisir ni indignation; le public a paru se soucier on ne peut pas moins et de la critique et de celui qui l'avait faite, et de celui qui en était l'objet. Cet excès d'indifférence est en vérité plus piquant pour M. de La Harpe

que toutes les injures du sieur d'Estandoux. Quelque faible que soit la comédie des Journalistes anglais, quelque commun qu'en soit le plan, on y a pourtant remarqué quelques scènes dont l'idée est assez 'gaie, assez originale. Telle est, par exemple, celle où M. Sterling lit à sa servante Nicole le sujet d'un de ses drames : Nicole, pendant la lecture, a caché son visage avec son tablier pour ne pas laisser voir qu'elle riait; le bon homme croit qu'elle fond en larmes : « Laisse-moi, lui dit-il, laisse-moi jouir déli» cieusement de tes pleurs.... » Il lui arrache le tablier, il la voit éclatant de rire. « Comment, >> malheureuse, tu ris! et Molière, cet auteur si » vanté, s'en rapportait à sa servante! Ah! je » me doutais bien qu'il choisissait aussi mal ses >> juges que ses sujets, etc. >>

Discord reçoit deux invitations à dîner;ce sont deux piéges que lui tend son rival pour se donner l'amusement de le faire berner. L'une de ces invitations est faite au nom d'un Grand d'Espagne, l'autre au nom de Cydalise, caillette, qui tient bureau d'esprit. Discord, dédaignant d'accepter la dernière, pour punir la vanité de cette petite bourgeoise, s'avise de lui envoyer son valet Crispin. Elle ne me connaît point, lui dit-il, va chez elle me représenter. «Écoutez, lui répond » Crispin, ce ne serait peut-être pas la punir... » Je vous sais par cœur. Je dirai comme vous de » ces mots qui tranchent et qui n'empêchent » pas de boire et de manger, détestable, char

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