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Il lui donne un oiseau qu'il voit bientôt après entre les mains de Blaise son rival; il se croit trahi; mais une explication le rassure, et les deux amans réconciliés ne songent plus qu'à se divertir aux dépens de Blaise. On joue à la cligne-musette, aux quatre-coins. Alain, sans être aperçu, se tapit adroitement dans une charrette de foin; Hélène l'y suit. Blaise se hâte de faire entrer la voiture dans sa grange; au lieu d'y trouver Hélène seule, il l'aperçoit avec son rival qui l'embrasse.

Tous ces petits tableaux, quoiqu'assez variés, ont paru peu intéressans, et le dénouement, qu'on devine long-temps d'avance, traînant et embrouillé. On a remarqué cependant dans les premières scènes quelques couplets assez jolis, et comment ne pas les applaudir ? C'est madame Dugazon qui les chante; le seul son de sa voix donne à tout ce qu'elle prononce un charme inexprimable; et tant de grâces, tant d'attraits se partagent, dit-on, dans ce moment entre un jeune seigneur russe et cet illustre Jeannot, qui fut long-temps l'homme de la Nation, et qui continue encore aujourd'hui d'être le héros des boulevards. Le sieur Dugazon, son époux, vient d'avoir une affaire d'honneur avec son camarade d'Azincourt; mais ce n'est point pour les beaux yeux de sa femme, c'est pour les rôles qu'on appelle de la grande-casaque, tels que ceux de Mascarille, d'Hector, etc. Nos deux Crispins prétendaient l'un et l'autre à cet emploi; la que

relle s'est échauffée au point que leur société a décidé qu'ils ne pouvaient se dispenser de se battre. Il y a eu un rendez-vous donné, des témoins, un juge du camp; aucun des combattans n'a été dangereusement blessé; mais tout s'est passé dans les règles, et le combat d'Ulysse et d'Ajax, pour les armes d'Achille, eut moins de solennité, je crois, que le combat de MM. d'Azincourt et Dugazon pour la grande-casaque. Voilà peut-être de quoi dégoûter beaucoup d'honnêtes gens du plus barbare, du plus ridicule et cependant du plus respecté de tous nos usages.

Les Rivaux Amis, comédie en un acte et en vers, par M. Forgeot (1), ont été représentés, pour la première fois, au Théâtre français, le mercredi 13, et le lendemain, à Versailles, devant Leurs Majestés. Cette bagatelle a été parfaitement bien jouée et parfaitement bien accueillie.

Le fonds n'est presque rien; il est plus faible encore que celui des Fausses Infidélités, avec lequel il paraît d'ailleurs avoir quelques rapports; mais l'exécution en est charmante; les scènes, bien liées, se succèdent rapidement ; le dialogue en est vif, facile, aisé, plein de grâce et de légèreté si l'on y trouve peu de traits saillans, on n'y trouve aussi presque rien à reprendre, et peut-être n'a-t-on jamais an

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(1) C'est un très-jeune homme, auteur des Deux Oncles et de quelques autres pièces jouées avec succès sur le Théâtre de la Comédie italienne.

noncé un talent plus naturel pour la comédie, et surtout pour le style propre à ce genre. Il est difficile d'en citer des vers qui ne perdent infiniment à être détachés de la liaison où ils se trouvent; il en est cependant qui ne perdent pas tout comme ceux-ci :

Vous doutez d'un aveu,

Dit Melcour à la Comtesse. Julie répond :

Qui chez nous est beaucoup, et chez vous n'est qu'un jeu... Vous êtes jeune encor,

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Vous n'êtes pas plus sage, etc. Mademoiselle Contat a joué le rôle de la Comtesse avec beaucoup de grâce, de finesse et de naïveté. Les rôles de Melcour et de Damis ont été parfaitement bien rendus par le sieur Molé et le sieur Fleury.

JE E me souviens d'avoir entendu dire, il y a quelques années, à M. l'abbé de Mably qu'ici la classe de la société où il avait trouvé le plus d'hommes respectables était celle des fiacres; sous le joug même de l'oppression, ils conservent une âme libre, soutiennent leurs droits à coups de poing, et disent, dans l'occasion, des injures à tout venant, sans aucune acception de rang ni de personne. On ne peut guère s'étonner d'une préférence si bien motivée, après avoir lu l'ouvrage qu'il vient de publier sur la Manière d'écrire l'Histoire. A l'exemple de ses héros, M. l'abbé de Mably s'y livre, sans aucun égard, à toutes les saillies de sa mauvaise humeur; il n'y a point de nom, point de réputation qui en impose à la liberté de sa plume; nos plus illustres écrivains sont traités par lui en vrais écoliers, et le plaisir d'une censure si grossière semble avoir été véritablement l'unique but de son Livre; car qu'apprend-il d'ailleurs? Que, pour bien écrire l'Histoire, il faut avoir étudié la Politique et le Droit naturel, connaître la morale, la marche des passions, leur jeu, leur progrès, le caractère propre de chacune d'elles. Etait-ce la peine de faire un Livre pour ne dire que des vérités si communes et si triviales? Ce qui est plus piquant sans doute, plus neuf du moins, c'est la manière

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dont l'auteur s'est permis d'apprécier M. de Voltaire. « Ce qui m'étonne davantage, dit-il (et qui n'étonnera-t-il pas par un pareil juge>> ment?) ce qui m'étonne davantage de la part » de cet historien, le patriarche de nos philosophes, et qu'ils nous présentent comme le plus puissant génie de notre Nation, c'est qu'il ne » soit qu'un homme, pardonnez-moi cette ex» pression, qui ne voyait pas au bout de son » nez... »>'; et les preuves par lesquelles on justifie la hardiesse d'une expression si heureuse, les auriez-vous devinées? Les voici : « Si M. de » Voltaire voyait au bout de son nez, aurait» il remarqué avec surprise que les chrétiens » se livrèrent à la vengeance lors même que >> leur triomphe sous Constantin devait leur inspirer l'esprit de paix? Oh! l'admirable » connaissance du genre humain, s'écria Cida» mon en éclatant de rire (car nous avons eu la prétention de faire une espèce de Dialogue.) » Votre historien, ajoutait-il, ne savait donc pas » ce que personne n'ignore, que la prospérité » étend et multiplie nos espérances ? Voulait-il » donc que les chrétiens sans mémoire et sans >> ressentiment oubliassent dans un instant tous » les maux qu'ils avaient soufferts? Cet homme » avisé et prudent (l'excellent persiflage!) leur » aurait sans doute conseillé de se venger quand » l'idolâtrie était encore sur le trône, qu'il fallait » la craindre, l'éclairer et non pas l'irriter pour > se rendre dignes d'être tolérés... » En admirant

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