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gée en général, on y a remarqué des beautés de détail qui ont été fort applaudies et qui nous ont paru dignes de l'être; de ce nombre sont les vers où l'auteur s'est emparé si heureusement de l'image employée par Montesquieu pour peindre le gouvernement despotique (1). C'est uniquement en faveur de l'application qu'on en a faite à M. Necker que les vers suivans ont été applaudis avec tant de transport, et à six ou sept reprises, de manière à suspendre assez long-temps le spectacle; car ces vers par euxmêmes n'ont rien de fort remarquable; c'est Zoraï qui parle au troisième acte; il explique à Tango comment un seul homme peut veiller au bonheur d'une Nation entière.

Les mortels près du trône appelés par leur maître,
Eclairés, vertueux, car tels ils doivent être,
De ses soins vigilans partagent le fardeau,
Et même l'étranger qui, d'un emploi si beau,
Par d'utiles vertus s'est fait connaître digne
Citoyen adoptif, monte à ce rang insigne
Où des hommes actifs, unissant leurs travaux,
Sont pour le souverain des organes nouveaux, etc.

M. Marignié s'était fait justice lui-même, et quoique la pièce eût été jusqu'à la fin, il avait eu la modestie de la retirer le soir même de la première représentation; on avait eu l'attention de l'annoncer dès le lendemain dans le Journal de Paris. Les Comédiens n'en ont pas moins

(1) Quand les sauvages de la Louisiane veulent avoir du fruit, ils coupent l'arbre au pied et cueillent le fruit. Voilà le gouvernement déspotique.

reçu l'ordre positif de ne la plus jouer, et il a été enjoint encore depuis à l'auteur, par l'ordre exprès du Roi, de ne point l'imprimer.

Pendant le séjour de M. d'Alembert à Ferney, où était M. Huber, on proposa de faire chacun à son tour quelque conte de voleur. La proposition fut acceptée. M. Huber fit le sien, qu'on trouva fort gai; M. d'Alembert en fit un autre qui ne l'était pas moins. Quand le tour de M. de Voltaire fut venu: Messieurs, leur dit-il, il y avait une fois un fermier-général... Ma foi j'ai oublié le reste.

Un avare, qui n'était pas moins attaché à son plaisir qu'à son trésor, avait beaucoup de peine à satisfaire deux penchans dont le contraste faisait le supplice habituel de sa vie. Voici le moyen qu'il avait imaginé pour les mettre d'accord. II s'était imposé d'abord la loi de ne jamais dépenser au-delà d'une certaine somme fort audessous de son revenu. Lorsque quelque fantaisie l'exposait à la tentation d'enfreindre la loi, il capitulait avec lui-même, se mettait à genoux, devant son coffre-fort, lui exposait de la ma-` nière la plus touchante le besoin d'un secours extraordinaire, lui demandait ensuite comme un emprunt la somme qu'il lui fallait; mais, pour se garantir à lui-même la sûreté du prêt, il ne manquait jamais de déposer dans le coffrefort un diamant qu'il avait coutume de porter

au doigt, et ne se permettait de le reprendre qu'après que le vide dont ce bijou était le gage avait été rempli par son économie sur d'autres dépenses, ou par quelque nouvelle spéculation d'intérêt.

Encore deux nouveautés au Théâtre de la Comédie italienne dont nous n'avons rien dit et qui courent déjà grand risque d'être oubliées, ce sont le Diable Boiteux ou la Chose impossible, et la Parodie de Tibère; l'une représentée, pour la première fois, le 27 Septembre, et l'autre le 8 Octobre.

Le Diable Boiteux, qui a été donné sous le nom de M. Favart le fils, pourrait bien appartenir encore de plus près à M. Favart le père; c'est une petite pièce en prose et en vaudevilles, dont le dénouement n'est qu'une espèce de rébus assez fade, mais où l'on a remarqué plusieurs couplets d'un tour agréable et spirituel.

La Parodie de Tibère de M. Fallet est de M. Radet, à qui nous devons déjà celle d'Agis. Tout l'artifice du parodiste a été de leur prêter un langage familier et burlesque. Cette pièce est en général triste et froide, remplie de trivialités et de calembours. Le dialogue en est très diffus, mais facile et semé de plaisanteries assez piquantes, telles que la réflexion de Sérénus dans la prison; puisque tout le monde entre

si facilement ici, pourquoi ne pas essayer un peu d'en sortir?

Tom-Jones à Londres, comédie, en cinq actes et en vers, de M. Desforges (1), représentée, pour la première fois, par les Comédiens italiens, le mardi 22 Octobre, a eu le plus grand succès, après avoir couru le risque de tomber tout à plat avant la fin du premier acte et pour ainsi dire dès la première scène. Le sujet de cette comédie est assez annoncé par son titre. L'auteur a suivi le plus fidèlement qu'il lui a été possible toute la fable du charmant Roman de Fielding; il s'est borné seulement à en retrancher quelques personnages inutiles au fonds de l'intrigue, et qu'il eût été trop difficile de transporter au Théâtre sans embarrasser la scène et même sans en blesser toutes les convenances.

Le dialogue de cette comédie, sans être brillant, est vif et facile; si le style manque souvent d'élégance, il est du moins presque toujours clair et naturel; les caractères en sont variés et soutenus; peut-être même n'a-t-on pas su assez de gré à l'auteur d'avoir osé leur conserver cette espèce de vérité locale qui les rend si piquans dans l'ouvrage de Fielding. Si le rôle de Western a paru trop agreste, il faut s'en prendre surtout à l'acteur qui, n'ayant pas su en saisir le véritable ton, a mis plus de caricature en

(1) M. Desforges a joué long-temps la comédie'sur différens Théâtres du Nord, en Suède et en Russie, peut-être sous un autre nom.

core dans son maintien que dans ses discours. On a fort applaudi ces vers du rôle de Fellamar; il s'agit d'un rival de Jones :

De mon amour jaloux on le croira victime,

Car le monde est toujours pour celui qu'on opprime,
Et le monde a raison....

Que dire des Amans Espagnols, comédie en cinq actes et en prose, représentée, le mercredi 23, sur le Théâtre de la Comédie française ? Que c'est un imbroglio plus extravagant encore que romanesque, plus ennuyeux que ridicule, et qui a cependant eu l'honneur d'être exécuté en présence de la Reine et de toute la Cour, sans que les murmures et les huées aient pour ainsi dire discontinué depuis le commencement de la pièce jusqu'à la fin. Les seuls traits applaudis ont été ceux dont on a pu faire une application maligne à l'ouvrage même, et rien ne l'a jamais été plus universellement que ces mots d'un des principaux personnages du drame au cinquième acte: Nous avons passé une cruelle soirée. C'est à un M. Beaujard, de Marseille, qu'on attribue cette misérable production. Le sieur Molé s'était chargé, dit-on, de la corriger et de la faire réussir. Des curieux, qui prétendent pénétrer les plus profonds secrets de la Comédie et de la Littérature, assurent que M. Beaujard n'est qu'un prête-nom, que le véritable auteur de ce triste drame est M. Caron de Beaumarchais, que c'est un ouvrage de sa jeunesse, du temps où il faisait

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