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On mit, felon lui, les fept belles demoiselles toutes nues fur le char qui portait la grande Diane & la fage Minerve au bord d'un lac voifin. Le Thucydide St Nil paraît encore ici fort mal informé. Les prêtreffes étaient toujours couvertes d'un voile ; & jamais les magiftrats romains n'ont fait fervir la déeffe de la chafteté & celle de la fageffe par des filles qui montraffent aux peuples leur devant & leur derrière.

St Nil ajoute que le char était précédé par deux chœurs de ménades qui portaient le thyrfe en main. St Nil a pris ici les prêtreffes de Minerve pour celles de Bacchus. Il n'était pas verfé dans la liturgie d'Ancire.

Le cabaretier en entrant dans la ville vit ce funefte fpectacle, le gouverneur, les ménades, la charrette, Minerve, Diane & les fept pucelles. Il court fe mettre en oraifon dans une hutte avec un neveu de St Thécufe. Il prie le ciel que ces fept dames foient plutôt mortes que nues. Sa prière eft exaucée; il apprend que les fept filles au lieu d'être déflorées ont été jetées dans le lac, une pierre au cou, par ordre du gouverneur. Leur virginité eft en fureté. A cette nouvelle le faint fe relevant de terre, & fe tenant fur les genoux, tourna fes yeux vers le ciel; & parmi les divers mouvemens d'amour, de joie de reconnaissance qu'il reffentait, il dit: Je vous rends grâces, Seigneur, de ce que vous n'avez pas rejeté la prière de votre ferviteur.

Il s'endormit, & pendant fon fommeil, Ste Thécufe la plus jeune des noyées lui apparut. Eh quoi! mon fils Théodote, lui dit-elle, vous dormez fans penfer à nous; avez-vous oublié fi tôt les foins que j'ai pris de votre jeuneffe? Ne fouffrez pas, mon cher Théodote, que nos corps foient mangés des poiffons. Allez au lac, mais gardez-vous d'un traître.

Ce traître était le propre neveu de Ste Thécufe. J'omets ici une foule d'aventures miraculeufes qui arrivèrent au cabaretier pour venir à la plus importante. Un cavalier célefte armé de toutes pièces, précédé d'un flambeau célefte, defcend du haut de l'empyrée, conduit au lac le cabaretier au milieu des tempêtes, écarte tous les foldats qui gardaient le rivage, & donne le temps à Théodote de repêcher les fept vieilles & de les enterrer.

Le neveu de Thécufe alla malheureusement tout dire. On faifit Théodote, on effaya en vain pendant trois jours tous les fupplices pour le faire mourir. On ne put en venir à bout qu'en lui tranchant la tête; opération à laquelle les faints ne réfiftent jamais.

Il reftait de l'enterrer. Son ami le curé Fronton, à qui Théodote en qualité de cabaretier avait donné deux outres remplies de bon vin, enivra les gardes & emporta le corps. Alors Théodote apparut en corps & en ame au curé: Hé bien, mon ami, lui dit-il, ne t'avais-je pas bien dit que tu aurais des reliques pour ta chapelle ?

C'eft-là ce que rapporte St Nil, témoin oculaire, qui ne pouvait être ni trompé ni trompeur ; c'eft-là ce que tranfcrit dom Ruinart comme un acte fincère. Or tout homme fenfé, tout chrétien fage lui demandera fi on s'y ferait pris autrement pour déshonorer la religion la plus fainte, la plus augufte de la terre, pour la tourner en ridicule.

&

Je ne parlerai point des onze mille vierges, je ne difcuterai point la fable de la légion thébaine, compofée, dit l'auteur, de fix mille fix cents hommes, tous chrétiens venant d'Orient par le mont St Bernard,

martyrifée l'an 286, dans le temps de la paix de l'Eglife la plus profonde, & dans une gorge de montagne où il eft impoffible de mettre trois cents hommes de front; fable écrite plus de cent cinquante ans après l'événement; fable dans laquelle il est parlé d'un roi de Bourgogne qui n'existait pas ; fable enfin reconnue pour abfurde par tous les favans qui n'ont pas perdu la raison.

Je m'en tiendrai au prétendu martyre de St Romain.

8°. Du martyre de S' Romain.

St Romain voyageait vers Antioche; il apprend que le juge Afclepiade fefait mourir les chrétiens. Il va le trouver & le défie de le faire mourir. Afclepiade le livre aux bourreaux : ils ne peuvent en venir à bout. On prend enfin le parti de le brûler. On apporte des fagots. Des juifs qui paffaient fe moquent de lui; ils lui difent que DIEU tira de la fournaife Sidrac, Mifac & Abdenago; mais que JESUS-CHRIST laiffe brûler fes ferviteurs. Auffitôt il pleut, & le bûcher s'éteint.

L'empereur, qui cependant était alors à Rome, & non dans Antioche, dit que le ciel fe déclare pour St Romain, & qu'il ne veut rien avoir à démêler avec le Dieu du ciel. Voilà, continue le légendaire, (c) notre Ananias délivré du feu auffi-bien que celui des Juifs. Mais Afclepiade, homme fans honneur, fit tant par fes baffes flatteries, qu'il obtint qu'on couperait la langue à S' Romain. Un médecin qui fe trouva là coupe la langue au jeune homme, & l'emporte chez lui proprement enveloppée dans un morceau de foie.

(c) Le légendaire ne fait ce qu'il dit avec fon Ananias.

L'anatomie nous apprend, & l'expérience le confirme qu'un homme ne peut vivre fans langue.

Romain fut conduit en prifon. On nous a lu plufieurs fois que le St Efprit defcendit en langue de feu; mais St Romain qui balbutiait comme Moife, tandis qu'il n'avait qu'une langue de chair, commença à parler diflinctement dès qu'il n'en eut plus.

On alla conter le miracle à Afclepiade comme il était avec l'empereur. Ce prince foupçonna le médecin de l'avoir trompe; le juge menaça le médecin de le faire mourir. Seigneur, lui dit-il, j'ai encore chez moi la langue que j'ai coupée à cet homme; ordonnez qu'on m'en donne un qui ne foit pas comme celui-ci fous une protection particulière de DIEU, permettez que je lui coupe la langue jufqu'à l'endroit où celle-ci a été coupée; s'il n'en meurt pas je confens qu'on me faffe mourir moi-même. Là-deffus on fait venir un homme condamné à mort; & le médecin ayant pris la mefure fur la langue de Romain, coupe à la même diflance celle du criminel; mais à peine avait-il retiré fon rafoir que le criminel tombe mort. Ainfi le miracle fut avéré à la gloire de DIEU & à la confolation des fidelles.

Voilà ce que dom Ruinart raconte férieusement; prions DIEU pour le bon fens de dom Ruinart.

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COMMENT fe peut-il que dans le fiècle éclairé où

nous fommes, on trouve encore des écrivains favans & utiles qui fuivent pourtant le torrent des vieilles erreurs, & qui gâtent des vérités par des fables reçues? ils comptent encore l'ère des martyrs de la première année de l'empire de Dioclétien, qui était alors bien

fa

éloigné de martyrifer perfonne. Ils oublient que femme Prifca était chrétienne, que les principaux officiers de fa maison étaient chrétiens, qu'il les protégea conftamment pendant dix-huit années ; qu'ils bâtirent dans Nicomédie une églife plus fomptueufe que fon palais, & qu'ils n'auraient jamais été perfécutés s'ils n'avaient outragé le céfar Galérius.

Eft-il poffible qu'on ofe redire encore que Diocletien mourut de rage, de défefpoir & de mifère, lui qu'on vit quitter la vie en philofophe comme il avait quitté l'empire; lui qui, follicité de reprendre la puiffance fuprême, aima mieux cultiver fes beaux jardins de Salone que de régner encore fur l'univers alors connu ?

O compilateurs, ne cefferez-vous point de compiler! vous avez utilement employé vos trois doigts, employez plus utilement votre raison.

Quoi! vous me répétez que St Pierre régna fur les fidelles à Rome pendant vingt-cinq ans, & que Néron le fit mourir la dernière année de fon empire lui & St Paul, pour venger la mort de Simon le magicien à qui ils avaient caffé les jambes par leurs prières !

C'eft infulter le chriftianisme que de rapporter ces fables, quoiqu'avec une très-bonne intention.

Les pauvres gens qui redifent encore ces fottifes font des copiftes qui remettent en in-oclavo ou en in-douze d'anciens in-folio que les honnêtes gens ne lifent plus, & qui n'ont jamais ouvert un livre de faine critique. Ils reffaffent les vieilles hiftoires de l'Eglife; ils ne connaiffent ni Midleton, ni Dodwell, ni Bruker, ni Dumoulin, ni Fabricius, ni Grabès, ni même Dupin, ni aucun de ceux qui ont porté depuis peu la lumière dans les ténèbres.

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