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Jamais Marc-Aurèle ne donna d'édit fanglant contre les chrétiens. C'eft une calomnie très-condamnable. Tillemont lui-même avoue que ce fut le meilleur prince qu'aient jamais eu les Romains, que fon règne fut un fiècle d'or, & qu'il vérifia ce qu'il difait fouvent d'après Platon, que les peuples ne feraient heureux que quand les rois feraient philofophes.

De tous les empereurs ce fut celui qui promulgua les meilleures lois; il protégea tous les fages & ne perfécuta aucun chrétien, dont il avait un grand nombre à fon fervice.

Le légendaire raconte que St Symphorien ayant refufé d'adorer Cybele, le juge de la ville demanda : Qui eft cet homme-là? Or il eft impoffible que le juge d'Autun n'eût pas connu l'homme le plus confidérable d'Autun.

On le fait déclarer par la fentence coupable de lèfe-majefté divine & humaine. Jamais les Romains n'ont employé cette formule, & cela feul ôterait toute créance au prétendu martyre d'Autun.

Pour mieux repouffer la calomnie contre la mémoire facrée de Marc-Aurèle, mettons fous les yeux le discours de Meliton, évêque de Sarde, à ce meilleur des empereurs, rapporté mot à mot par Eufebe.

" (a) La fuite continuelle des heureux fuccès qui "font arrivés à l'empire, fans que fa félicité ait été

troublée par aucune difgrace, depuis que notre , religion qui était née avec lui s'eft augmentée dans ,, son sein, est une preuve évidente qu'elle contribue ,, notablement à sa grandeur & à fa gloire. Il n'y a eu entre les empereurs que Néron & Domitien, (a) Eufebe, page 187, traduction de Coufin in-4°.

" qui, étant trompés par certains impofteurs, ont répandu contre nous des calomnies, qui ont trouvé felon la coutume quelque créance parmi le peuple. Mais vos très-pieux prédéceffeurs ont corrigé ,, l'ignorance de ce peuple, & ont réprimé par ,, des édits publics la hardieffe de ceux qui entrepren,, draient de nous faire aucun mauvais traitement. " Adrien, votre aïeul, a écrit en notre faveur à ,, Fundanus gouverneur d'Afie, & à plusieurs autres. "L'empereur votre père, dans le temps que vous , partagiez avec lui les foins du gouvernement, a , écrit aux habitans de Lariffe, de Theffalonique ,, d'Athènes, & enfin à tous les peuples de la Grèce, " pour réprimer les féditions & les tumultes qui ,, avaient été excités contre nous. "

Ce paffage d'un évêque très-pieux, très-fage & très-véridique, fuffit pour confondre à jamais tous les menfonges des légendaires, qu'on peut regarder comme la bibliothèque bleue du chriftianifme.

6o. D'une autre fainte Félicité, & fainte Perpétue.

S'IL était queftion de contredire la légende de Félicité & de Perpétue, il ne ferait pas difficile de faire voir combien elle eft fufpecte. On ne connaît ces martyres de Carthage que par un écrit fans date de l'église de Salzbourg. Or il y a loin de cette partie de la Bavière à la Goulette. On ne nous dit pas fous quel empereur cette Félicité & cette Perpétue reçurent la couronne du dernier fupplice. Les vifions prodigieufes dont cette hiftoire eft remplie ne décèlent pas un hiftorien bien fage. Une échelle toute d'or

bordée de lances & d'épées, un dragon au haut de l'échelle, un grand jardin auprès du dragon, des brebis dont un vieillard tirait le lait, un réservoir plein d'eau, un flacon d'eau dont on buvait fans. que l'eau diminuât; Ste Perpétue fe battant toute nue contre un vilain égyptien, de beaux jeunes gens tout nus qui prenaient fon parti; elle-même enfin devenue homme & athlete très-vigoureux; ce font-là, ce me semble, des imaginations qui ne devraient pas entrer dans un ouvrage refpectable.

Il y a encore une réflexion très-importante à faire; c'eft que le ftyle de tous ces récits de martyres arrivés dans des temps fi différens, eft par-tout femblable par-tout également puéril & ampoulé. Vous retrouvez les mêmes tours, les mêmes phrases dans l'hiftoire d'un martyre fous Domitien, & d'un autre fous Galérius. Ce font les mêmes épithètes, les mêmes exagérations. Pour peu qu'on fe connaisse en style, on voit qu'une même main les a tous rédigés.

Je ne prétends point ici faire un livre contre dom Ruinart; & en refpectant toujours, en admirant, en invoquant les vrais martyrs avec la fainte Eglife, je me bornerai à faire fentir, par un ou deux exemples frappans, combien il eft dangereux de mêler ce qui n'eft que ridicule avec ce qu'on doit vénérer.

7°. De St Théodote de la ville d'Ancire, & des Sept vierges, écrit par Nilus témoin oculaire,

tiré de Bollandus.

PLUSIEURS critiques, auffi éminens en fageffe qu'en vraie piété, nous ont déjà fait connaître que la

légende de St Théodote le cabaretier eft une profanation & une efpèce d'impiété, qui aurait dû être fupprimée. Voici l'hiftoire de Théodote. Nous emploierons fouvent les propres paroles des Acles fincères recueillis par dom Ruinart.

Son métier de cabaretier lui fourniffait les moyens d'exercer fes fonctions épifcopales. Cabaret illuflre, confacré à la piété & non à la débauche... ... Tantôt Théodote était médecin, tantôt il fournissait de bons morceaux aux fidelles. On vit un cabaret être aux chrétiens ce que l'arche de Noé fut à ceux que DIEU voulut fauver du déluge. (b)

Ce cabaretier Théodote fe promenant près du fleuve Halis avec fes convives vers un bourg voifin de la ville d'Ancire, un gazon frais & mollet leur préfentait un lit délicieux; une fource qui fortait à quelques pas de là 'au pied d'un rocher, & qui par une route couronnée de fleurs venait fe rendre auprès d'eux pour les défaltérer, leur offrait une eau claire & pure. Des arbres fruitiers mêlés d'arbres fauvages leur fournissaient de l'ombre & des fruits, & une bande de favans roffignols, que des cigales relevaient de temps en temps, y formaient un charmant concert &c.

Le curé du lieu, nommé Fronton, étant arrivé, & le cabaretier ayant bu avec lui fur l'herbe, dont le verd naifant était relevé par les nuances diverfes du divers coloris des fleurs, dit au curé: Ah, père, quel plaifir il y aurait à bâtir ici une chapelle! Oui, dit Fronton, mais il faut commencer par avoir des reliques. Allez, allez, reprit St Théodote, vous en aurez bientôt

(b) Ce qui eft en lettres italiques eft mot à mot dans les Actes fincères, tout le refte eft entièrement conforme. On l'a feulement abregé pour éviter l'ennui du ftyle déclamatoire de ces actes.

fur ma parole, & voici mon anneau que je vous donne pour gage, bâtiffez vite la chapelle.

Le cabaretier avait le don de prophétie, & favait bien ce qu'il difait. Il s'en va à la ville d'Ancire, tandis que le curé Fronton fe met à bâtir. Il y trouve la perfécution la plus horrible, qui durait depuis trèslong-temps. Sept vierges chrétiennes, dont la plus jeune avait foixante & dix ans, venaient d'être condamnées, felon l'ufage, à perdre leur pucelage par le ministère de tous les jeunes gens de la ville. La jeuneffe d'Ancire, qui avait probablement des affaires plus preffantes, ne s'empreffa pas d'exécuter la fentence. Il ne s'en trouva qu'un qui obéit à la juftice. Il s'adreffa à Ste Thécufe, & la mena dans un cabinet avec une valeur étonnante. Thécufe fe jeta à fes genoux, & lui dit Pour DIEU, mon fils, un peu de vergogne; voyez ces yeux éteints, cette chair demi-morte, ces rides pleines de craffe, que foixante & dix ans ont creufees fur mon front, ce vifage couleur de terre. . . . . quittez des penfées fi indignes d'un jeune homme comme vous, JESUS-CHRIST vous en conjure par ma bouche. Il vous le demande comme une grâce, & fi vous la lui accordez vous pouvez attendre tout de fa reconnaiffance. Ce difcours de la vieille & fon visage firent rentrer tout-à-coup l'exécuteur en lui-même. Les fept vierges ne furent point deflorées.

Le gouverneur irrité chercha un autre fupplice; il les fit initier fur le champ aux myftères de Diane & de Minerve. Il eft vrai qu'on avait inftitué de grandes fêtes en l'honneur de ces divinités; mais on ne connaît point dans l'antiquité les myftères de Minerve & de Diane. S' Nil, intime ami du cabaretier Théodote, auteur de cette hiftoire merveilleufe, n'était pas au fait.

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