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Idole de mon ame! ô toi ! mon bien fuprême, Liberté ! je fuivrai jufqu'à ton ombre même. Ah, Brutus ! de mes jours à leur colère offerts,

Que ne puis-je appaifer les Cieux & les Enfers!

Et dévoué moi feul aux fureurs de la guerre, Expier en mourant les crimes de la Terre ! Trop vain fouhait ! Eh bien, fidelles à l'Etat, Prenons pour chef Pompée, & marchons au combat.

Du moins n'est-il pas sûr, fi le fort le fe conde,

Qu'il ofe, fe placer fur le Trône du monde. Sans doute il fentira, quand je lui fers d'appui, Que nous aurons vaincu pour Rome, & non pour lui.

Ces fentimens héroïques de Caton pouvoient, je crois, être mieux exprimés dans notre langue. Si les aftres & les Cieux à leur chaos rendus; je crois qu'il falloit au chaos. Il n'y a pas un chaos particulier pour les Aftres & les Cieux, On ne dit guères que quelqu'un fe pénétre d'une pompe funéraire. Pirai joindre ma tête à

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tes derniers débris. Qu'est-ce que c'est que joindre fa tête à des débris? Il y a dans le latin, non ante revellar,exanimem quam te complectar, Roma. Non, ma chère Patrie, on ne m'arrachera de ton fein qu'à ton dernier foupir. Quelle force d'expreffions! quelle énergie! Il y a d'ailleurs de très-belles pensées dans ce morceau, que le Traducteur a omifes. Nullo fraudemus fanguine bellum dit Caton, ne dérobons à la guerre aucune de fes victimes. Ce trait eft admirable. Voici encore trois vers fublimes que M. de Laurès n'a point traduits. Pourquoi, dit le même Héros en apoftrophant les ennemis, pourquoi détruire des Peuples qui ne demandent pas mieux que de Jubir le joug? C'eft contre moi, qui défends en vain les Loix & la liberté, c'eft contre moi feul qu'il faut tourner

vos armes.

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Ad juga cur faciles populi, cur foeva volentes

Regna pati pereunt? Me folum invadite
ferro;
Me fruftrà leges & inania jura tuentem.

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Ce fentiment fi beau, fi touchant, méritoit bien de trouver place dans la traduction.

La defcription de la Forêt de Marfeille que Brébeuf a imitée affez heureufement, manque ici une partie de fon effet. Il me femble que M. le Chevalier de Laurès l'a beaucoup trop abrégée. On n'éprouve point en la lifant chez lui cette efpèce d'effroi religieux qu'on reffent à la lecture de cette defcription dans Lucain & dans fon premier imitateur. Ce n'eft point que je veuille mettre M. de Laurès au-deffous de Brébeuf. Cet ancien Poëte a outré les défauts du Poëte latin, & n'a prefque jamais rendu les grands traits dont il étincèle. Mais ce morceau, à quelques taches près, est très eftimable & a même quelque célébrité.

"

Si M. le Chevalier de Laurès eft quelquefois au-deffous de fon original quelquefois auffi il le corrige avec fuccès. Le morceau fuivant prouve ces deux affertions. C'eft un des plus remarquables du Poëme de Lucain. Un des navires d'Antoine, Lieutenant de Céfar, eft embarraffé & retenu dans

des chaînes qu'on a tendues fous les eaux. Ce navire eft commandé par Vulteius.

L'ennemi qui l'observe en pouffe un cri de .. joie,

Et vole, impatient de dévorer sa proie.
Parmi tant de périls, en butte à tant d'affauts,
De toutes parts preffé par la terre & les eaux,
Vulteius veut en vain rompre fon esclavage;
Le fer ne peut trancher le funeste cordage.
Dans cette extrémité que fera fa valeur?
Elle peut un moment retarder le vainqueur;
Il s'y livre, il affronte un deftin fi barbare,
Seul, il résiste à tous & la nuit les fépare.
C'eft alors que ce Chef, dans un noble trans-
port,

Enflamme fes guerriers du defir de la mort De nos bras feuls, amis, que notre fort dépende:

Répandons notre fang avant qu'on le répande
Par cet acte de gloire & de fidélité,
Etonnons Céfar même & la postérité.
A ces lâches rivaux, en les couvrant de honte,
Montrez qu'il eft des cours que jamais on ne

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dompte. I dit, & par leur mort brûlant de s'illustrer;

Tous invoquent le jour qui la doit éclairer.
Il luit enfin ce jour, & leur mâle affurance
N'en éclate que plus quand l'ennemi s'avance.
Leur fort eft arrêté, rien ne peut le changer;
Mais avant de périr ils veulent le venger.
De leurs derniers efforts l'audace impatiente;
Du fang des affaillans rougit l'onde fumante.
Mais après ces exploits le Chef ne permet pas
Qu'au milieu des affauts ils trouvent le trépas.
Cette gloire eft commune, & leur courage
extrême

Ne doit en fuccombant fléchir que fous luimême.

» Qui de vous, leur dit-il, en m'arrachant le jour,

Obtiendra de mon bras un généreux retour?» Cent glaives à ces mots rempliffent fon at

tente:

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Il tombe, mais déja fa main reconnoiffante

A payé fon trépas & fait couler le fang

C

Du premier dont le zèle a déchiré fon flanc. Le farouche guerrier que cet exemple anime, Frappe & meurt àla fois meurtrier & victime; Montrant, dans les tranfports dont fon cœur

eft faifi,

De la fureur civile un tableau raccourci.

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