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l'eftomac, la tête d'un milan (1); la fixième ¿ dans une pommade compofée de la moelle du pied gauche d'un loup, d'ambre gris & de poudre de Cypre (2).

M. Oufle étant muni de ces beaux secrets, alla chez Dulcine avec une fi grande confiance, qu'il s'imaginoit qu'auffitôt qu'il feroit entré, elle lui viendroit fauter au col. Ce n'eft pas pourtant qu'il demandât des careffes; ou s'il en demandoit, ce n'étoit que parce qu'il les regardoit comme des preuves d'amour; & non pas qu'il les fouhaitât dans un efprit de volupté. Elle le reçut à l'ordinaire; c'est-à-dire, comme un homme qui venoit lui donner une espèce de comédie, & la divertir. Après s'être entretenu quelque tems avec elle, il tira négligemment & comme par hafard, une petite boîte d'argent où étoit cette merveilleufe pommade; comme l'odeur en étoit fort agréable, Dulcine marqua qu'elle lui faifoit plaifir. Il n'en reffentit pas moins de voir qu'elle goûtoit délicieusement

(1) Si l'on porte devant l'eftomac la tête d'un milan, elle fait aimer de tout le monde, & furtout des femmes id. 1. 2, p. 116.

(2) Pour le faire aimer conftamment, prendre la moelle du pied gauche d'un loup, en faire une espèce de pommade avec de l'ambre gris & de la poudre de Cypre, porter fur foi cette pommade & la faire flairer de tems en tems à la perfonne. Le folide Trésor du petit Albert, p. 12.

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ce philtre qu'il lui avoit préparé. Il voulut qu'elle gardât la boîte; & elle la reçut fans façon & fans conféquence, parce que le préfent étoit d'une fi petite valeur, qu'il n'étoit pas capable de blesser sa délicateffe.

On juge bien que M. Oufle étant affuré qu'elle fentiroit souvent cette pommade, & s'y confiant autant qu'il faifoit, il conclut qu'il n'avoit plus rien à pratiquer pour gagner le cœur de sa maîtresse.

Il continua longtems à la voir sur le même pied & avec la même fatisfaction. Ne demandant que d'être aimé, & croyant l'être, il ne cherchoit rien de plus. Heureusement pour lui, il ne fut point troublé fa femme dans ce commerce que fon par imagination lui rendoit fi doux. Elle étoit inftruite par Dulcine de tout ce qui fe paffoit entr'eux, & comme elle craignoit que de l'humeur qu'il commençoit à être, il ne s'adrefsât à d'autres femmes qui profiteroient de fa foibleffe, elle contribua de fon côté, autant qu'elle le put à l'amuser auprès de cette veuve, fur la fageffe de laquelle elle fe repofoit. Sa précaution lui fut pourtant inutile; car M. Oufle voulant aimer plus de deux femmes, pour mieux fe convaincre de fon prétendu penchant, prit dans la fuite parti ailleurs, & il porta ses vues fur une perfonne dont le caractère étoit bien différent de celui de Dulcine; c'eft ce qu'on va voir dans le chapitre fuivant.

CHAPITRE X.

D'une nouvelle maîtreffe que fit M. Oufle; des fuperftitions dont il fe fervit pour en être aimé, & quel en fut le fuccès.

IL y avoit dans le voifinage de M. Oufle une

jeune fille des plus coquettes, & très-jolie que je nommerai Dorife. Sa famille étoit des plus communes; cependant elle imitoit par fes manières les filles de qualité; elle avoit auprès d'elle une tante poftiche qui la fuivoit par-tout, & qui ne paroiffoit fage & févère, qu'afin que fa prétendue nièce le parût auffi; & ainfi, quoique Dorise fût entièrement maîtresse de fa conduite, elle ne laiffoit pourtant pas de montrer une grande dépendance des volontés de fa tante prétendue. Cette tante, vieille routière dans ce métier, l'avoit fouvent avertie que les hommes ne donnent qu'autant que durent leurs defirs, & qu'ils fe retirent prefque toujours auffitôt qu'ils n'ont plus rien à defirer; Dorise avoit fi bien profité de ces avis, qu'elle étoit devenue assez riche pour paroître dans le monde avec quelqu'éclat, & pour vivre chez elle avec beaucoup de fomptuofité. Entre les hommes qui la fréquentoient, il y en avoit plusieurs qui s'en faifoient honneur, parce

qu'on prétendoit que perfonne ne favoit mieux qu'elle donner des leçons de politeffe, d'agrément & de favoir vivre.

M. Oufle entreprit de faire cette conquête. Il fut d'abord reçu comme l'eft ordinairement un homme riche. La tante & la nièce mirent en ufage les minauderies les plus adroites, pour tirer de fa bourse le plus qu'il leur fut poffible. Il donna en effet fouvent, & on eut la bonté de recevoir. C'est l'ordinaire des coquettes de profeffion. Elles croyent faire une grande grace de prendre; & les hommes font affez fots pour marquer leur en avoir de grandes obligations. Notre vifionnaire fut de ce nombre pendant plufieurs mois; il commença enfin à se lasser, voyant qu'on ne lui donnoit point d'autre preuve d'amour, que de lui permettre de faire des préfens, ou d'en demander, quand il n'en faifoit point. Il difoit fouvent à Dorife qu'il l'aimoit, & qu'il fe croiroit le plus heureux des hommes, fi elle le payoit de quelque retour; & Dorife affectoit de n'ofer fe déclarer là-deffus, ce qui défefpéroit ce pauvre homme. Il redoubla les préfens, pour prouver encore plus efficacement qu'on n'avoit aucun lieu de douter de la fincérité de fés amoureufes proteftations; & c'étoit justement-là le moyen de ne rien décider avec lui, puifqu'il paroiffoit, par cette conduite, que c'étoit l'incertitude qui l'engageoit à continuer & à augmenter fes libéralités.

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Notre amoureux continua encore, pendant quelques mois, fes vifites & fes libéralités. Il s'obftina même à prodiguer, & par un raffinement favorable pour les vifions, il fe réjouit dans la fuite de voir l'inutilité de fes préfens, fe promettant plus de fuccès des fuperftitions dont il prit deffein de fe fervir pour gagner le cœur de Dorife, & lui faire avouer qu'elle l'aimoit. Entre plufieurs fecrets que fes livres lui enfeignoient, il choifit ceux-ci. Il alla chez la coquette, portant fur lui une figure de Jupiter qui avoit la forme d'homme, furmontée d'une tête de bélier (1); mais ce n'étoit pas le moyen de plaire, que de fe contenter de porter quelque chofe fur foi, fans rien apporter chez elle; c'est pourquoi il en fortit comme il y étoit entré. Il ne réuffit mieux avec des petits d'hirondelles, préparés felon la manière qu'il avoit lue (2). Il eut enfin un fuccès malheureux pour la belle, par une compofition faite de fon fang, & d'autres drogues (3) qu'il lui

pas

(1) Jovis figura, que fit in formâ hominis cum arietis. capite, geftantem facit amabilem, citòque impetrantem quicquid voluerit. Trinum Magicum, p. 289.

(2) Vier prétend que les petites hirondelles, dont le bec fera ouvert, & qui auront été trouvées mortes de faim en un pot mis exprès dans la terre, feront aimer, & que celles dont le bcc fera fermé, feront hair.

(3) Tirer de fon fang, un Vendredi du printems, le faire fécher au four dans un petit pot verniffé, après que le:

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