Page images
PDF
EPUB

voulut faire des épreuves, mais fecrètement, de peur qu'on fe moquât de lui, s'il ne réuffiffoit point.

:

Il commença par s'informer du moment de fa naiffance, pour voir s'il avoit eu le bonheur de recevoir ces bénignes influences dont M. Oufle lui avoit parlé mais il s'en trouva très-éloigné; & ainfi il projeta de fe fervir à tout hasard de ces admirables fecrets. Comme je craindrois d'ennuyer le lecteur, fi je racontois de fuite ces ufages, je me contenterai de dire qu'aucun ne lui réuffit: au contraire, pendant cet impertinent manège, il perdit un procès affez confidérable, qu'il croyoit, comme c'est l'ordinaire des plaideurs, ne pouvoir perdre; il fut bien honteux d'avoir donné dans ces fadaifes. Il jeta au feu l'écrit de fon père, afin d'oublier tout-à-fait fes extravagances. Ce qu'il fit dans la fuite fut certes bien plus für & bien plus efficace pour s'enrichir. Il commença d'abord par s’întri guer, afin d'avoir la caiffe (1) d'une ferme confidé

(1) C'est une plaifanterie que de dire qu'il n'y a fi petite caiffe qui ne renferme une pierre philofophale : mais cette plaifanterie ne laiffe pas d'être fondée fur une vérité. En effet on ne voit guère de gens qui ayant la direction & la difpofition d'une caiffe, ne deviennent enfin, avec ce qu'on appelle le favoir-faire, en état de donner auffi leur caisse à à d'autres. Ils reffemblent aux chimistes en ung

gouverner

rable, & l'obtint. Etant dans cet exercice, à force de manier l'argent des autres, il en amassa assez par fon adreffe, pour fe faire fermier lui-même. Il fe mit enfuite dans plufieurs partis, dont les feuls droits de préfence entretenoient fa cuisine & fes équipages; car auffitôt qu'il fe vit dans les grands gains, il fe mit en ménage, prit, comme ceux de fa profeffion, des airs de grand feigneur, fe jeta dans la magnificence, & acheta grand nombre de fuperAluités. Il n'en auroit affurément jamais tant fait avec toutes les pratiques fuperftitieufes de fon père.

chofe; c'est que, comme eux, ils font fecrètement leurs affaires, & ne demandent pas de témoins; mais leur fort eft bien différent; car les riches deviennent pauvres, en se faiLant chimistes, & les pauvres deviennent riches, en se faifant caiffiers. Si ce n'eft pas toujours, c'est du moins trèsfouvent. La Langue, t. II, p. 165.

CHAPITRE XX V.

Où l'on voit avec quelle facilité M. Oufle foupçon noit ceux qui l'approchoient d'être forciers; les frayeurs que lui donnoient ces foupçons ; les ex travagances que ces frayeurs lui firent faire, & plufieurs réflexions fort curieufes fur cette ma

tière.

[ocr errors]

JAMAIS homme n'a cru auffi fermement que

M. Oufle, toutes les histoires qu'on fait des forciers, des magiciens, & de tout ce qui eft du reffort des fortilèges & des enchantemens. Il ne doutoit de rien fur cette matière; auffi étoit - il dans des inquiétudes continuelles; car il s'imaginoit qu'il pouvoit être enforcelé à chaque inftant. Il avoit lu tant de contes fur les

moyens dont

les forciers fe fervent pour enchanter › pour maléficier, pour tourmenter ceux à qui ils en veulent, qu'il ne fe croyoit point du tout en sûreté à cet égard. Ses meilleurs amis l'inquiétoient; les perfonnes qu'il n'avoit pas accoutumé de voir, & qui avoient un extérieur extraordinaire, ou qui montroient quelque difformité étrange, lui caufoient de continuelles frayeurs. Si on le heurtoit par hasard, si on lui frappoit fur l'épaule, il rendoit

fur le champ la pareille, fans ménager aucune bienféance. Si on le regardoit fixement, il fuyoit avec autant de vîteffe que fi des dards avoient dû partir des yeux qui étoient fixés fur lui. Malheur à ceux qui lui faifoient quelque grimace; cat ils rifquoient d'être auffi févèrement traités que s'ils avoient voulu lui arracher la vie. Lui envoyer un préfent, c'étoit lui donner un fujet d'inquiétude, tant il craignoit qu'il ne fût accompagné de quelque fortilège. Enfin comme il avoit lu une infinité de manières de jeter des forts, de pra tiquer des enchantemens, de répandre des malé. fices; tout ce qui avoit quelque reffemblance quelque rapport a ces manières, lui étoit fufpect, l'effrayoit, & lui faifoit faire des chofes

blement extravagantes.

vérita→

Il avoit lu, par exemple, qu'un forcier avoit maléficié le pain (1) qu'un boulanger mettoit. dans fon four; il fe mit donc dans l'efprit que tout le pain qui n'étoit pas très-blanc, pouvoit avoir été fujet au même inconvénient; car, difoitil, le noir eft la couleur favorite des forciers;

(1) Un boulanger de Limoges voulant faire du pain blanc à l'accoutumée, fa pâte fut tellement charmée & droguée par l'infufion qu'y fit dedans une forcière, qu'elle fit du pain fi noir, fi infipide & fi infect, qu'il faifoit horreur. De Lancre, p. 197.

c'eft

c'est avec des robes noires, que les magiciens paroiffent; les diables font toujours peints en

noir.

S'il entendoit prononcer par quelqu'un, ce mot: frappe, frappe, fon imagination lui difoit, que dans ce moment, quelqu'homme mouroit de mort violente, ou qu'il arrivoit alors quelqu'aventure tragique; & cela, parce qu'il avoit appris dans fes livres (1), qu'Apollonius de Thiane avoit parlé de la forte, quand on poignardoit Domitien, quoiqu'il en fût fort éloigné.

Un cirier de fes voifins, étoit paffionnément aimé d'une très-belle fille, beaucoup plus jeune que lui, & dont la famille étoit des plus confidérables de tout le pays. Quand il apprit cette nouvelle, il ne manqua pas de conclure, que cet homme s'étoit fervi d'un moyen magique, pour s'attirer cet amour. On verra dans la note ci-dessous (2), la raifon de cette ridicule créance.

(1) On dit que lorsque l'empereur Domitien fut tué à Rome, par Stephanus, Apollonius de Thyane, faisant sa leçon en public dans la ville d'Ephèfe, il refta quelque tems tout interdit & fans dire mot; puis tout d'un coup il s'écria ; courage Stephanus, frappe le méchant, tu l'as frappé, tu l'as bleffè, tu l'as tué. Medit. Hiftor, de Camerarius, t. I,

[blocks in formation]

(2) Daubigné fait parler ainfi fon baron de Fænefte, P. 79. Cayer m'a montré des libres de magie, compoutez

S

« PreviousContinue »