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Ou s'il n'a pas affez de quoi te tourmenter,
Mon ombre chaque jour viendra t'épouvanter,
S'attacher à tes pas dans l'horreur des ténébres,
Préfenter à tes yeux mille images funébres,
Jetter dans ton esprit un éternel effroi,
Te reprocher ma mort, t'appeller après mol,
Accabler de malheurs ta languiffante vie,
Et te réduire au point de me porter envie.
Enfin...

SCENE II.

ISABELLE

LYSE.

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LYSE.

Uoi, chacun dort, & vous étes ici!

Je vous jure, monfieur en eft en grand fouci.

ISABELLE.

Quand on n'a plus d'efpoir, Lyfe, on n'a plus de crainte, Je trouve des douceurs à faire ici ma plainte,

Ici je vis Clindor pour la derniere fois,

Ce lieu me redit mieux les accens de fa voix,
Et remet plus avant en mon ame éperdue
L'aimable fouvenir d'une fi chere vûe.

LYSE.

Que vous prenez de peine à groffir vos ennuis!
ISABELLE.

Que veux-tu que je fasse en l'état où je suis?

LYS E.,

De deux amans parfaits dont vous étiez fervie;
L'un doit mourir demain, l'autre est déja fans vie;
Sans perdre plus de temps à foupirer pour eux,
Il en faut trouver un qui les vaille tous deux.

ISABELLE.

De quel front ofes-tu me tenir ces paroles?

LYSE.

Quel fruit efpérez-vous de vos douleurs frivoles?
Penfez-vous pour pleurer & ternir vos appas,
Rappeller votre amant des portes du trépas ?
Songez plûtôt à faire une illuftre conquête;
Je fais pour vos liens une ame toute prête,
Un homme incomparable.

ISABELLE.

Ctes-toi de mes yeux.

LYSE.

Le meilleur jugement ne choifiroit pas mieux.
ISABELLE.

Pour croître mes douleurs faut-il que je te voie?
LYSE.

Et faut-il qu'à vos yeux je déguise ma joie?
ISABELLE.

D'où te vient cette joie ainfi hors de saison ?

LYSE.

Quand je vous l'aurez dit, jugez fi j'ai raison.

.

ISABELLE.

Ah! Ne me conte rien.

LYSE.

Mais l'affaire vous touche. ISABELLE.

Parle-moi de Clindor, ou n'ouvre point la bouche.

LYSE.

Ma belle humeur qui rit au milieu des malheurs, Fait plus en un moment, qu'un fiécle de vos pleurs; Elle a fauvé Clindor.

ISABELLE.

Sauvé Clindor!

LYSE.

Lui-même.

Jugez après cela comme quoi je vous aime.

ISABELLE.

Et, de grace, où faut-il que je l'aille trouver ?

LYSE.

Je n'ai que commencé, c'est à vous d'achever,

Ah, Lyfe!

ISABELLE.

LYSE.

Tout de bon, feriez-vous pour le suivre ?
ISABELLE.

Si je fuivrois celui fans qui je ne puis vivre?
Lyfe, fi ton efprit ne le tire des fers,
Je l'accompagnerai jufques dans les enfers.
Va, ne demande plus fi je fuivrois fa fuite.

LYSE.

Puifqu'à ce beau deffein l'amour vous a réduite,
Ecoutez où j'en fuis, & fecondez mes coups;
Si votre amant n'échappe, il ne tiendra qu'à vous,
La prison est toute proche.

ISABELLE.

Hé bien?

LYS E.

Ce voisinage

Au frere du concierge a fait voir mon visage;
Et comme c'est tout un de me voir & m'aimer,
Le pauvre malheureux s'en eft laiffé charmer.
ISABELLE.

Je n'en avois rien sû!

LYSE.

J'en avois tant de honte,
Que je mourois de peur qu'on vous en fît le conte;
Mais depuis quatre jours votre amant arrêté
A fait que l'allant voir je l'ai mieux écouté.
Des yeux & du difcours flattant fon espérance,
D'un mutuel amour j'ai formé l'apparence.
Quand on aime une fois, & qu'on fe croit aimé,
On fait tout pour l'objet dont on eft enflammé.
E j

Par là j'ai fur fon ame affuré mon empire, Et l'ai mis en état de ne m'ofer dédire. Quand il n'a plus douté de mon affection, J'ai fondé mes refus fur fa condition; Et lui, pour m'obliger, juroit de s'y déplaire, Mais que malaifément il s'en pouvoit défaire; Que les clés des prifons qu'il gardoit aujourd'hui, Etoient le plus grand bien de fon frere & de lui. Moi, de dire foudain que fa bonne fortune Ne lui pouvoit offrir d'heure plus opportune; Que pour fe faire riche, & pour me pofféder, Il n'avoit feulement qu'à s'en accommoder ; Qu'il tenoit dans les fers un feigneur de Bretagne Déguifé fous le nom du fieur de la Montagne; Qu'il falloit le fauver, & le fuivre chez lui; Qu'il nous feroit du bien, & feroit notre appui. Il demeure étonné, je le preffe, il s'excufe, Il me parle d'amour, & moi je le refuse, Je le quitte en colere, il me fuit tout confus, Me fait nouvelle excufe, & moi nouveau refus.

Mais enfin?

ISABELLE.

LYSE.

J'y retourne, & le trouve fort triste, Je le juge ébranlé, je l'attaque, il résiste. Ce matin, en un mot, le péril eft pressant, Ai-je dit, tu peux tout; & ton frere eft abfent. Mais il faut de l'argent pour un fi long voyage, M'a-t-il dit, il en faut pour faire l'équipage, Ce cavalier en manque.

ISABELLE.

Ah! Lyfe, tu devois Lui faire offre auffi-tôt de tout ce que j'avois,

Perles, bagues, habits.

LYSE.

J'ai bien fait davantage

J'ai dit qu'à vos beautés ce captif rend hommage,
Que vous l'aimez de même, & fuirez avec nous.
Ce mot me l'a rendu fi traitable & fi doux,
Que j'ai bien reconnu qu'un peu de jalousie
Touchant votre Clindor brouilloit fa fantaifie,
Et que tous ces détours provenoient seulement
D'une vaine frayeur qu'il ne fût mon amant.
11 eft parti foudain après votre amour sûe,
A trouvé tout aifé, m'en a promis l'iffue,
Et vous mande par moi qu'environ à minuit
Vous foyez toute prête à déloger fans bruit.
ISABELLE.

Que tu me rens heureuse!

LYSE.

Ajoutez-y, de grace,

Qu'accepter un mari pour qui je suis de glace,
C'eft me facrifier à vos contentemens.

Auffi...

ISABELLE.

LYSE.

Je ne veux point de vos remercimens,
Allez plier bagage, & pour groffir la fomme,
Joignez à vos bijoux les écus du bon-homme,
Je vous vens fes trésors, mais à fort bon marché,
J'ai dérobé fes clés depuis qu'il est couché,
Je vous les livre.

ISABELLE.

Allons-y travailler ensemble.

LYSE.

Paffez-vous de mon aide.

ISABELLE.

Hé quoi, le cœur te tremble?

LYSE.

Non, mais c'est un fecret tout propre à l'éveiller,

Nous ne nous garderions jamais de babiller.

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