Page images
PDF
EPUB

MEDÉE.

Courage, enfin il faut que l'un & l'autre meure.

THEUDA S..

La flamme difparoît, mais l'ardeur leur demeure;
Et leurs habits charmés, malgré nos vains efforts,
Sont des brafiers fecrets attachés à leurs corps.
Qui veut les dépouiller lui-même les déchire,
Et ce nouveau fecours eft un nouveau martyre.
MEDEE.

Que dit mon déloyal? Que fait-il là-dedans?
THEUDA S

Jason, sans rien favoir de tous ces accidens,
S'acquitte des devoirs d'une amitié civile,
A conduire Pollux hors des murs de la ville,
Qui va fe rendre en hâte aux nôces de fa fœur,.
Dont bien-tôt Ménélas doit être poffeffeur,
Et j'allois lui porter ce funefte message.

MEDÉE

lui donne un autre coup de baguette.

Va, tu peux maintenant achever ton voyage.

SCENE I I.

MEDEE feule.

Est-ce affez, ma vengeance,eft-ce affez de deux morts

Confulte avec loifir tes plus ardens transports.
Des bras de mon perfide arracher une femme,
Eft-ce pour affouvir les fureurs de mon ame?
Que n'a-t-elle déja des enfans de Jafon,
Sur qui plus pleinement venger fa trahison?
Suppléons-y des miens, immolons avec joie
Ceux qu'à me dire adieu Créuse me renvoies

Nature, je le puis fans violer ta loi,
Ils viennent de fa part, & ne font plus à moi.
Mais ils font innocens : auffi l'étoit mon frere,
Ils font trop criminels d'avoir Jason pour pere,
Il faut que leur trépas redouble fon tourment,
Il faut qu'il fouffre en pere, auffi bien qu'en amant.
Mais quoi! J'ai beau contre eux animer mon audace,
La pitié la combat & se met en fa place,

Puis cédant tout-à-coup la place à ma fureur,
J'adore les projets qui me faifoient horreur:
De l'amour auffi-tôt je paffe à la colere,
Des fentimens de femme aux tendreffes de mere.
Ceffez dorénavant, pensers irréfolus,
D'épargner des enfans que je ne verrai plus.
Chers fruits de mon amour, fi je vous ai fait naître,
Ce n'eft pas feulement pour carefser un traître,
Il me prive de vous, & je l'en vais priver.
Mais ma pitié renaît, & revient me braver,
Je n'exécute rien, & mon ame éperdue
Entre deux paffions demeure fufpendue.
N'en délibérons plus, mon bras en réfoudra,
Je vous perds, mes enfans, mais Jason vous perdra,
Il ne vous verra plus. Créon fort tout en rage,
Allons à fon trépas joindre ce trifte ouvrage.

SCENE I I I.

CREON, Domestiques..

CREON.

Loin de me foulager, vous croiffez mes tourmens,

Le poifon à mon corps unit mes vétemens,

Et ma peau qu'avec eux votre fecours m'arrache,
Pour fuivre votre main de mes os fe détache.

Voyez

Voyez comme mon fang en coule à gros ruiffeaux,
Ne me déchirez plus, officieux bourreaux,
Votre pitié pour moi s'est assez hazardée,
Fuyez, ou ma fureur vous prendra pour Médée;
C'est avancer ma mort que de me secourir,
Je ne veux que moi-même à m'aider à mourir.
Quoi! Vous continuez, canailles infidéles!
Plus je vous le défens, plus vous m'étes rebelles!
Traîtres, vous fentirez encor ce que je puis,
Je serai votre roi tout mourant que je fuis;
Si mes commandemens ont trop peu d'efficace,
Ma rage pour le moins me fera faire place,
11 faut ainsi payer votre cruel fecours.

[ Il fe défait d'eux, & les chaffe à coups d'épée. ]

SCENE

I V.

CREON, CRÉUSE, CLÉONE.

CRÉUSE.

Ou fuyez-vous de moi, cher auteur de mes jours?

Fuyez-vous l'innocente & malheureuse fource
D'où prennent tant de maux leur effroyable courfe?
Ce feu qui me confume & dehors & dedans,
Vous venge-t-il trop peu de mes vœux imprudens}
Je ne puis excufer mon indifcrette envie
Qui donne le trépas à qui je dois la vie;
Mais foyez fatisfait des rigueurs de mon fort,
Et ceffez d'ajouter votre haine à ma mort.
L'ardeur qui me dévore, & que j'ai méritée,
Surpaffe en cruauté l'aigle de Prométhée,
Et je crois qu'ixion, au choix des châtimens,
Préféreroit fa roue à mes embrafemens,
P. Corn. Tome III.

N

CREON.

Si ton jeune defir eut beaucoup d'imprudence,
Ma fille, j'y devois oppofer ma défense,
Je n'impute qu'à moi l'excès de mes malheurs,
Et j'ai part à ta faute ainsi qu'à tes douleurs.
Si j'ai quelque regret, ce n'est pas à ma vie
Que le déclin des ans m'auroit bien-tôt ravie;
La jeuneffe des tiens, fi beaux, fi floriffans,
Me porte au fond du cœur des coups bien plus preffans.
Ma fille, c'eft donc là ce royal hyménée
Dont nous penfions toucher la pompeuse journée!
La parque impitoyable en éteint le flambeau,
Et pour lit nuptial il te faut un tombeau !

Ah! rage, désespoir, deftins, feux, poisons, charmes,
Tournez tous contre moi vos plus cruelles armes ;
S'il faut vous affouvir par la mort de deux rois,
Faites en ma faveur que je meure deux fois,
Pourvû que mes deux morts emportent cette grace
De laiffer ma couronne à mon unique race,
Et cet espoir fi doux qui m'a toujours flatté
De revivre à jamais en fa poftérité.

CRÉUSE.

Cléone, foutenez, je chancelle, je tombe,
Món refte de vigueur fous mes douleurs fuccombe,
Je fens que je n'ai plus à fouffrir qu'un moment.
Ne me refufez pas ce trifte allégement,

Seigneur, & fi pour moi quelque amour vous demeure,
Entre vos bras mourans permettez que je meure.
Mes pleurs arroferont vos mortels déplaisirs,

Je mêlerai leurs eaux à vos brûlans foupirs

Ah! Je brûle, je meurs, je ne fuis plus que flamme; De grace, hâtez-vous de recevoir mon ame.

Quoi! Vous vous éloignez !

CREON.

Oui. Je ne verrai pas;

Comme un lâche témoin, ton indigne trépas,

Il faut, ma fille, il faut que ma main me délivre De l'infame regret de t'avoir pû furvivre. lavisible ennemi, fors avecque mon sang.

[Il fe tue avec un poignard.]

CREUSE.

Courez à lui, Cléone, il fe perce le flanc.
CREON.

Retourne, c'en est fait. Ma fille, adieu, j'expire,
Et ce dernier foupir met fin à mon martyre,
Je laiffe à ton Jafon le foin de nous venger.
CRÉUSE.

Vain & trifte confort! Soulagement léger!

[blocks in formation]

Il ne vit plus, fa grande ame est parties
CRÉUSE.

Donnez donc à la mienne une même fortie,
Apportez-moi ce fer qui de fes maux vainqueur
Eft déja fi favant à traverser le cœur

[ocr errors]

Ah! Je fens fers & feux, & poifon tout ensemble,
Ce que fouffroit mon pere à mes peines s'affemble.
Hélas, que de douceurs auroit un prompt trépas!
Dépêchez-vous, Cléone, aidez mon foible bras.
CLEONE.

Ne défefpérez point. Les dieux plus pitoyables
A nos juftes clameurs fe rendront exorables,
Et vous conferveront, en dépit du poison,
Et pour reine à Corinthe, & pour femme à Jason.
Il arrive, & furpris il change de visage,
Je lis dans fa paleur une fecrette rage,
Et fon étonnement va passer en fureur.

« PreviousContinue »