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les maria en fecret; et ce mariage, fait fous des aufpices fi funeftes, fut pourtant la fource de la grandeur de l'Espagne. Il renouvela d'abord les diffentions, les guerres civiles, les traités frauduleux, les fauffes réunions qui augmentent les haines. Henri, après un de ces raccommodemens, fut attaqué d'un mal 1474. violent dans un repas que lui donnaient quelques-uns de fes ennemis réconciliés, et mourut bientôt après.

quand fon

Et encore En vain il laiffa fon royaume en mourant à batarde, Jeanne, fa fille, en vain il jura qu'elle était père en légitime; ni fes fermens au lit de la mort, ni mourant ceux de fa femme, ne purent prévaloir contre ladit légi- le parti d'Isabelle et de Ferdinand, furnommé

time.

depuis le catholique, roi d'Aragon et de Sicile. Ils vivaient ensemble, non comme deux époux dont les biens font communs fous les ordres du mari, mais comme deux monarques étroitement liés. Ils ne s'aimaient, ni ne fe haïffaient, fe voyant rarement, ayant chacun leur confeil, fouvent jaloux l'un de l'autre dans l'adminiftration; la reine encore plus jaloufe des infidélités de fon mari, qui rempliffait de fes bâtards tous les grands poftes; mais unis tous deux inféparablement pour leurs communs intérêts, agiffant fur les mêmes principes ayant toujours les mots de religion et de piété à la bouche, et uniquement occupés de leur

ambition. La véritable héritière de Caftille, Jeanne, ne put réfifter à leurs forces réunies. Le roi de Portugal, dom Alfʊnse, son oncle, qui voulait l'époufer, arma en fa faveur. Mais la 1479. conclufion de tant d'efforts et de tant de troubles fut que la malheureuse princeffe paffa dans un cloître une vie destinée au trône.

les plus

dévots de

leur

Jamais injustice ne fut ni mieux colorée, ni Ferdinand plus heureuse, ni plus justifiée par une conduite et Isabelle, hardie et prudente. Isabelle et Ferdinand forme- injuftes rent une puiffance telle que l'Espagne n'en avait point encore vue depuis le rétablissement temps. des chrétiens. Les mahométans arabes-maures n'avaient plus que le royaume de Grenade; et ils touchaieut à leur ruine dans cette partie de l'Europe, tandis que les mahométans turcs femblaient prêts de fubjuguer l'autre. Les chrétiens avaient, au commencement du huitième siècle, perdu l'Espagne par leurs divifions, et la même caufe chaffa enfin les Maures d'Espagne.

nent Gre

Le roi de Grenade, Alboacen, vit fon neveu Ils prenBoabdilla révolté contre lui. Ferdinand le nade. catholique ne manqua pas de fomenter cette guerre civile, et de foutenir le neveu contre l'oncle, pour les affaiblir tous deux l'un par l'autre. Bientôt après la mort d'Alboacen, il attaqua avec les forces de la Caftille et de l'Aragon fon allié Boabdilla. Il en coûta fix

années de temps pour conquérir le royaume mahométan. Enfin la ville de Grenade fut affiégée. Le fiége dura huit mois. La reine Ifabelle y vint jouir de fon triomphe. Le roi Boabdilla fe rendit à des conditions qui marquaient qu'il eût pu encore se défendre : car il fut ftipulé qu'on ne toucherait ni aux biens, ni aux lois, ni à la liberté, ni à la religion des Maures; que leurs prisonniers même seraient rendus fans rançon, et que les juifs compris dans le traité jouiraient des mêmes priviléges. Boabdilla fortit à ce prix de fa capitale, et alla 1491. remettre les clefs à Ferdinand et Ifabelle, qui le traitèrent en roi pour la dernière fois.

Les contemporains ont écrit qu'il versa des larmes en se retournant vers les murs de cette ville bâtie par les mahométans depuis près de cinq cents ans, peuplée, opulente, ornée de ce vafte palais des rois maures, dans lequel étaient les plus beaux bains de l'Europe, et dont plufieurs falles voûtées étaient foutenues fur cent colonnes d'albâtre. Le luxe qu'il regrettait fut probablement l'inftrument de fa perte. Il alla finir fa vie en Afrique.

Ferdinand fut regardé dans l'Europe comme le vengeur de la religion, et le reftaurateur de la patrie. Il fut dès-lors appelé roi d'Espagne. En effet, maître de la Caftille par sa femme, fa de la Grenade par fes armes, et de l'Aragon

par fa naiffance, il ne lui manquait que la Navarre, qu'il envahit dans la fuite. Il avait de grands démêlés avec la France, pour la Cerdagne et le Rouffillon engagés à Louis XI. On peut juger fi étant roi de Sicile, il voyait d'un œil jaloux Charles VIII prêt d'aller en Italie dépofféder la maison d'Aragon, établie fur le trône de Naples.

Nous verrons bientôt éclore les fruits d'une jaloufie fi naturelle. Mais avant de confidérer les querelles des rois, vous voulez toujours observer le fort des peuples. Vous voyez que Ferdinand et Ifabelle ne trouvèrent pas l'Espagne dans l'état où elle fut depuis fous Charles-Quint et fous Philippe II. Ce mélange d'anciens Vifigoths, de Vandales, d'Africains, de juifs et d'aborigènes, dévastait depuis long-temps la terre qu'ils fe disputaient; elle n'était fertile que fous les mains mahométanes. Les Maures vaincus étaient devenus les fermiers des vainqueurs; et les Espagnols chrétiens ne fubfiftaient

que

du travail de leurs anciens ennemis. Point de manufacture chez les chrétiens d'Espagne, point de commerce; très-peu d'ufage même des chofes les plus néceffaires à la vie : prefque point de meubles, nulle hôtellerie dans les grands chemins, nulle commodité dans les villes le linge fin y fut très-long-temps ignoré, et le linge groffier affez rare. Tout leur

riches et

commerce intérieur et extérieur fe fefait par les juifs, devenus néceffaires à une nation qui ne favait que combattre.

Juifs Lorfque, vers la fin du quinzième siècle, on chaffés. voulut rechercher la fource de la misère espa1492. gnole, on trouva que les juifs avaient attiré à

eux tout l'argent du pays par le commerce et

par l'ufure. On comptait en Espagne plus de cent cinquante mille hommes de cette nation étrangère fi odieuse et fi néceffaire. Beaucoup de grands feigneurs, auxquels il ne reftait que des titres, s'alliaient à des familles juives, et réparaient par ces mariages ce que leur prodigalité leur avait coûté : ils s'en fefaient d'autant moins de fcrupule, que depuis long-temps les Maures et les chrétiens s'alliaient fouvent enfemble. On agita dans le confeil de Ferdinand et d'Ifabelle comment on pourrait fe délivrer de la tyrannie fourde des juifs, après avoir 1492. abattu celle des vainqueurs arabes. On prit enfin le parti de les chaffer et de les dépouiller. On ne leur donna que fix mois pour vendre leurs effets, qu'ils furent obligés de vendre au plus bas prix. On leur défendit sous peine de la vie d'emporter avec eux ni or, ni argent, ni pierreries. I fortit d'Espagne trente mille familles juives, ce qui fait cent cinquante mille perfonnes, à cinq par famille. Les uns fe retirèrent en Afrique, les autres en Portugal et en

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