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Auprès d'elles me rend trop peu considérable,
Et qu'à moi par leur rang on les va préférer,
N'est-ce pas une idée à me désespérer?

CORINNE. Mais quoi! je vous réponds et dis ce que je pense. MÉLICERTE. Ah! tu me fais mourir par ton indifférence.

Mais dis, quels sentiments Myrtil a-t-il fait voir?
CORINNE. Je ne sais.

MÉLICERTE. Et c'est là ce qu'il falloit savoir,
Cruelle!

CORINNE. En vérité, je ne sais comment faire,
Et de tous les côtés je trouve à vous déplaire.

MELICERTE. C'est que tu n'entres point dans tous les mouvements
D'un cœur, hélas! rempli de tendres sentiments.
Va-t-en laisse-moi seule en cette solitude
Passer quelques moments de mon inquiétude.

SCÈNE II.

MÉLICERTE, seule.

Vous le voyez, mon cœur, ce que c'est que d'aimer,
Et Bélise avoit su trop bien m'en informer.
Cette charmante mère, avant sa destinée,
Me disoit une fois sur le bord du Pénée:

«Ma fille, songe à toi; l'amour aux jeunes cœurs

« Se présente toujours entouré de douceurs.

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D'abord il n'offre aux yeux que choses agréables;

« Mais il traîne après lui des troubles effroyables,
« Et si tu veux passer tes jours dans quelque paix,
Toujours comme d'un mal défends-toi de ses traits. »
De ces leçons, mon cœur, je m'étois souvenue;
Et quand Myrtil venoit à s'offrir à ma vue,
Qu'il jouoit avec moi, qu'il me rendoit des soins,
Je vous disois toujours de vous y plaire moins."
Vous ne me crûtes point, et votre complaisance
Se vit bientôt changée en trop de bienveillance.
Dans ce naissant amour qui flattoit vos desirs,
Vous ne vous figuriez que joie et que plaisirs:
Cependant vous voyez la cruelle disgrace
Dont en ce triste jour le destin vous menace,
Et la peine mortelle où vous voilà réduit.

Ah! mon cœur! ah! mon cœur! je vous l'avois bien dit. Mais tenons, s'il se peut, notre douleur couverte.

Voici...

MYRTIL.

SCÈNE III.

MYRTIL, MÉLICERTE.

J'ai fait tantôt, charmante Mélicerte,
Un petit prisonnier que je garde pour vous,
Et dont peut-être un jour je deviendrai jaloux.

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C'est un jeune moineau, qu'avec un soin extrême,
Je veux, pour vous l'offrir, apprivoiser moi-même.
Le présent n'est pas grand; mais les divinités
Ne jettent leurs regards que sur les volontés.

C'est le cœur qui fait tout, et jamais la richesse
Des présents que... Mais ciel! d'où vient cette tristesse?
Qu'avez-vous, Mélicerte, et quel sombre chagrin
Se voit dans vos beaux yeux répandu ce matin?
Vous ne répondez point, et ce morne silence
Redouble encor ma peine et mon impatience.
Parlez. De quel ennui ressentez-vous les coups?
Qu'est-ce done?

MÉLICERTE. Ce n'est rien.

MYRTIL. Ce n'est rien, dites-vous? Et je vois cependant vos yeux couverts de larmes. Cela s'accorde-t-il, beauté pleine de charmes? Ah! ne me faites point un secret dont je meurs, Et m'expliquez, hélas! ce que discnt ces pleurs. MÉLICERTE. Rien ne me serviroit de vous le faire entendre. MYRTIL. Devez-vous rien avoir que je ne doive apprendre? Et ne blessez-vous pas notre amour aujourd'hui

De vouloir me voler la part de votre ennui?

Ah! ne le cachez point à l'ardeur qui m'inspire.

MÉLICERTE. Eh bien! Myrtil, eh bien! il faut donc vous le dire.
J'ai su que, par un choix plein de gloire pour vous,
Éroxène et Daphné vous veulent pour époux;

Et je vous avouerai que j'ai cette foiblesse
De n'avoir pu, Myrtil, le savoir sans tristesse,
Sans accuser du sort la rigoureuse loi

Qui les rend dans leurs vœux préférables à moi.
MYRTIL. Et vous pouvez l'avoir, cette injuste tristesse!
Vous pouvez soupçonner mon amour de foiblesse,
Et croire qu'engagé par des charmes si doux
Je puisse être à jamais à quelque autre qu'à vous!
Que je puisse accepter une autre main offerte!
Eh! que vous ai-je fait, cruelle Mélicerte,
Pour traiter ma tendresse avec tant de rigueur
Et faire un jugement si mauvais de mon cœur?
Quoi! faut-il que de lui vous ayez quelque crainte?
Je suis bien malheureux de souffrir cette atteinte;
Et que me sert d'aimer comme je fais, hélas!
Si vous êtes si prête à ne le croire pas?

MÉLICERTE. Je pourrois moins, Myrtil, redouter ces rivales
Si les choses étoient de part et d'autre égales,

Et dans un rang pareil j'oserois espérer
Que peut-être l'amour me feroit préférer;

Mais l'inégalité de bien et de naissance

Qui peut d'elles à moi faire la différence...

MYRTIL. Ah! leur rang de mon cœur ne viendra point à bout, Et vos divins appas vous tiennent lieu de tout.

Je vous aime; il suffit, et dans votre personne

Je vois rang, biens, trésors, états, sceptre, couronne;

Et des rois les plus grands m'offrit-on le pouvoir,

Je n'y changerois pas le bien de vous avoir.
C'est une vérité toute sincère et pure,

Et pouvoir en douter est me faire une injure.
MÉLICERTE. Eh bien! je crois, Myrtil, puisque vous le voulez,
Que vos vœux par leur rang ne sont point ébranlés,
Et que, bien qu'elles soient nobles, riches et belles,
Votre cœur m'aime assez pour me mieux aimer qu'elles;
Mais ce n'est pas l'amour dont vous suivrez la voix :
Votre père, Myrtil, réglera votre choix,

Et de même qu'à vous je ne lui suis pas chère
Pour préférer à tout une simple bergère.
MYRTIL. Non, chère Mélicerte, il n'est père ni dieux

Qui me puissent forcer à quitter vos beaux yeux;
Et toujours de mes vœux reine comme vous êtes...
MÉLICERTE. Ah! Myrtil, prenez garde à ce qu'ici vous faites:
N'allez point présenter un espoir à mon cœur,
Qu'il recevroit peut-être avec trop de douceur,
Et qui tombant après comme un éclair qui passe,
Me rendroit plus cruel le coup de ma disgrace.
MYRTIL. Quoi! faut-il des serments appeler le secours

Lorsque l'on vous promet de vous aimer toujours?
Que vous vous faites tort par de telles alarmes,
Et connoissez bien peu le pouvoir de vos charmes!
Eh bien! puisqu'il le faut, je jure par les dieux,
Et, si ce n'est assez, je jure par vos yeux,
Qu'on me tuera plutôt que je vous abandonne.
Recevez-en ici la foi que je vous donne,

Et souffrez que ma bouche, avec ravissement,
Sur cette belle main en signe le serment.

MÉLICERTE. Ah! Myrtil, levez-vous, de peur qu'on ne nous voie.
MYRTIL. Est-il rien?... Mais, ô ciel! on vient troubler ma joie!

SCÈNE IV.

LYCARSIS, MYRTIL, MÉLICERTE.

LYCARSIS. Ne vous contraignez pas pour

moi.

MÉLICERTE, à part. Quel sort fâcheux! LYCARSIS. Cela ne va pas mal: continuez tous deux.

Peste! mon petit-fils, que vous avez l'air tendre, Et qu'en maître déjà vous savez vous y prendre! Vous a-t-il, ce savant qu'Athènes exila, Dans sa philosophie appris ces choses-là? Et vous qui lui donnez, de si douce manière, Votre main à baiser, la gentille bergère, L'honneur vous apprend-il ces mignardes douceurs Par qui vous débauchez ainsi les jeunes cœurs? MYRTIL. Ah! quittez de ces mots l'outrageante bassesse,

Et ne m'accablez point d'un discours qui la blesse. LYCARSIS. Je veux lui parler, moi. Toutes ces amitiés... MYRTIL. Je ne souffrirai point que vous la maltraitiez.

A du respect pour vous la naissance m'engage;
Mais je saurai sur moi vous punir de l'outrage.
Oui, j'atteste le ciel que si, contre mes vœux,
Vous lui dites encor le moindre mot fâcheux,
Je vais avec ce fer, qui m'en fera justice,
Au milieu de mon sein vous chercher un supplice,
Et par mon sang versé lui marquer promptement
L'éclatant désaveu de votre emportement.

MÉLICERTE. Non, non, ne croyez pas qu'avec art je l'enflamme
Et que mon dessein soit de séduire son ame.
S'il s'attache à me voir et me veut quelque bien,
C'est de son mouvement: je ne l'y force en rien.
Ce n'est pas que mon cœur veuille ici se défendre
De répondre à ses vœux d'une ardeur assez tendre;
Je l'aime, je l'avoue, autant qu'on puisse aimer:
Mais cet amour n'a rien qui vous doive alarmer;
Et pour vous arracher toute injuste créance
Je vous promets ici d'éviter sa présence,

De faire place au choix où vous vous résoudrez

Et ne souffrir ses vœux que quand vous le voudrez.

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