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c'est un fait absolument simple et qui a commencé absolument. Sans examiner ici si la liberté peut se concevoir sans motif, c'est-à-dire sans raison, et si pour être entièrement libre il faut être entièrement déraisonnable, nous remarquerons qu'il faut distinguer entre l'acte de liberté et l'être qui l'accomplit, c'est-à-dire le moi. Les déterminations de ma volonté sont multiples et se succèdent; mon moi est un et subsiste toujours le même sous cette pluralité. Eh bien! la question est de savoir si mon moi, si mon être personnel, qui n'est pas seulement volonté, mais sensibilité et intelligence, a commencé absolument, ou s'il s'est créé lui-même, créé de rien, bien entendu; car, selon la définition de M. Renouvier, il ne serait plus libre s'il dépendait de quelque chose d'antérieur. Il suffit d'énoncer cette question pour la résoudre. De toutes les chimères contradictoires qui peuvent passer, nous ne dirons pas par l'esprit, mais par la parole d'un homme, il n'y en a pas de plus contradictoire ni de plus inintelligible que cet être qui ne se lie à aucun fait antérieur, cet être merveilleux qui se crée lui-même et qui nécessairement se crée avant d'exister.

Quant à la notion de cause, qui la reconnaîtrait dans cette définition de M. Renouvier, énoncée sous forme de question : « Pourquoi ne pas avouer que les causes ne sont objectivement concevables, pour l'esprit humain, que comme des faits d'harmonie entre les déterminations liées de ceux des phénomènes où se marquent, de chaque côté, des forces représentativement corrélatives 12 »

1. P. 158 et 159.

Nous ignorons si l'idée qui se cache sous ce langage est objectivement concevable pour l'esprit humain ; mais elle ne l'est ni objectivement ni subjectivement pour les lecteurs de M. Renouvier. Espérons qu'elle l'est pour lui-même.

Comment s'étonner après cela que M. Renouvier, en dépit de cet axiome : « Tout ce qui commence d'être a une cause,» ait pu admettre des effets sans cause et refuse à l'humanité, malgré le cri de la conscience et le témoignage éclatant de l'histoire, la faculté de remonter à une cause première ? L'objection qu'il élève contre cette croyance, à savoir que la cause première serait elle-même sans cause, est sans valeur et sans portée, puisqu'il s'agit, non d'une existence qui a commencé, mais de la cause première, qui est sans commence

ment.

Au reste, M. Renouvier se condamne lui-même lorsqu'il dit : « La donnée d'un premier commencement nous est incompréhensible; mais elle est dialectiquement nécessaire1. » Rien de ce qui est exigé par la raison, par le bon sens universel, n'est dialectiquement nécessaire. C'est la dialectique qui a tort dans ce cas-là, et la raison et l'évidence qui ont raison.

Ni la métaphysique spiritualiste ni la raison humaine ne sont ébranlées dans leur autorité par la critique de M. Renouvier. Cette critique, très-inférieure à celle de Kant, parce qu'elle n'a pas la même sagesse et la même modération, n'est puissante que contre le matérialisme, le panthéisme et tous les faux systèmes. C'est en luttant contre ces systèmes et contre les philosophes

1. P. 205; 169 de la pagination erronée.

considérés individuellement, que M. Renouvier déploie toute la force et toute la subtilité de son esprit. Il pourrait rivaliser avec Duns Scott ou Guillaume Ockam. Oui, il a raison, il représente l'opposition, le côté gauche, non-seulement dans l'école de Kant, mais dans toutes les écoles de philosophie et surtout dans l'histoire de la philosophie contemporaine. A ce titre il rendra à la science philosophique de signalés services, car l'opposition est nécessaire au progrès dans le domaine des idées, encore plus que dans le domaine des faits.

FIN

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS..

GERBERT (le pape Sylvestre II), état de la philosophie et des scien-
ces au xe siècle.....

LÉVI BEN GERSON, ou la philosophie au XIVe siècle....
PÉTRARQUE et l'amour platonique....

PIERRE POMPONACE, ou la philosophie italienne au xve siècle..
GALILÉE, la raison et l'autorité au commencement du XVIIe siècle.

DESCARTES et le cartésianisme, ou la philosophie au XVIIe siècle.
SPINOZA...

GŒTHE.

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