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d'histoire dans les lycées de Paris, aujourd'hui doyen de la Faculté des lettres de Clermont, qu'elle confia l'exécution de cette décision patriotique. La tâche était difficile et réclamait autant de sagacité que de patience; car il ne s'agissait pas seulement de retrouver les divers écrits de Gerbert, ses lettres, ses sermons, ses traités théologiques ou scientifiques, ses actes et ses décrets pontificaux, dans une multitude de collections plus ou moins obscures où, quoique imprimés pour la plupart, ils restaient depuis deux siècles oubliés et dispersés; il fallait encore, après les avoir tirés des ténèbres, les soumettre à l'épreuve d'une sévère critique, les confronter les uns avec les autres et tous ensemble avec les manuscrits, les éclairer par les connaissances dont s'est enrichie, particulièrement dans ces dernières années, l'histoire du moyen âge, et, tout en leur demandant compte de leurs titres et de leur origine, les défendre au besoin contre d'injustes soupçons de falsification. C'est ce que M. Olleris a fait avec une conscience et un savoir auxquels l'Académie des inscriptions a rendu justice en lui décernant le prix Gobert. Aux œuvres déjà publiées du pape Sylvestre II, M. Olleris a eu la fortune d'ajouter quelques morceaux inédits, entre autres deux traités sur l'abacus, l'un de Gerbert luimême, l'autre de son disciple Berolinus, et une dissertation philosophique qui a pour titre : De rationali et ratione uti, Du raisonnable et de l'usage de la raison. Ce dernier écrit est d'autant plus précieux que c'est le seul de ce genre que Gerbert nous ait laissé et qu'il n'est pas inutile pour nous éclairer sur l'origine et les premiers essais de la scolastique.

Mais ce qui fait le principal mérite et l'intérêt capi

tal de cette savante publication, c'est l'œuvre personnelle de M. Olleris; c'est une Vie de Gerbert, rédigée d'après les documents originaux auxquels elle sert d'introduction et dont elle nous fait comprendre par là même la signification et l'importance. On peut la considérer tout à la fois comme une fidèle analyse et comme un commentaire anticipé de tout le volume. Mais ce n'est pas seulement à ce titre qu'elle sollicite notre attention. Gerbert, par le rôle qu'il a joué dans le monde, ayant été mêlé aux hommes et aux affaires les plus considérables de son temps, sa biographie, écrite par M. Olleris ou plutôt par lui-même, puisqu'elle est tirée presque tout entière de ses ouvrages et de sa correspondance, nous offre en même temps un curieux tableau de l'état de la société à la fin du x° siècle. Les idées et les passions, les croyances et les mœurs de cette triste période de notre histoire y sont prises en quelque sorte sur le fait et s'offrent d'elles-mêmes à nos observations, sans que l'auteur ait besoin de nous les signaler. Il lui suffit de traduire et de citer, quelquefois de résumer les pièces authentiques qu'il a si laborieusement rassemblées, qu'il a si rigoureusement contrôlées, et avec lesquelles, puisque nous les avons sous la main, nous sommes toujours libres de confronter ses interprétations. Pourquoi, d'ailleurs, serait-il sorti du rôle de simple rapporteur, quand les faits dont il avait à nous entretenir présentent naturellement un caractère si original et un intérêt si irrésistible? Une puissante organisation à la fois politique et sociale, celle que Charlemagne a fondée, est en train de se dissoudre; une société nouvelle, le régime féodal et la papauté du moyen âge, est à la veille de se constituer; entre

les deux, un simple moine qui, sans une véritable force de caractère, sans aucune grandeur d'âme, avec de médiocres connaissances et un génie qui n'est pas du premier ordre, domnine, étonne, éclaire tous ses contemporains; voilà de quoi réveiller les esprits les plus difficiles. Cependant, si modeste qu'elle puisse nous paraître, la tâche que M. Olleris s'est imposée lui a fourni l'occasion de déployer les plus sérieuses qualités, celles qui appartiennent non-seulement à l'érudit, mais à l'historien: un jugement ferme et sûr, que la vérité seule, la vérité démontrée, et non la tradition ou l'esprit de parti, décide à se prononcer; un ordre parfait qui, sans négliger les détails, particulièrement indispensables dans une étude biographique, sait pourtant les contenir dans de justes limites et les subordonner aux événements principaux; enfin un style simple, clair, naturel, qui répond exactement à la gravité austère du sujet.

La Vie de Gerbert mériterait d'être publiée séparément à l'usage de ceux qui, s'intéressant aux recherches historiques et éprouvant le besoin d'enrichir ou d'émonder leur vieux fonds de connaissances, n'ont cependant ni le temps, ni les moyens de remonter aux premières sources'. En attendant que ce vœu soit réalisé, nous allons essayer de donner ici un aperçu sommaire du travail, nous aurions le droit de dire du livre de M. Olleris. Nous ne croyons pas pouvoir témoigner d'une manière plus utile l'estime qu'il nous inspire.

Gerbert reçut le jour vers le milieu du x° siècle, dans la ville ou aux environs d'Aurillac. C'est tout ce qu'on

1. M. Olleris a suivi notre conseil. La Vie de Gerbert a été publiée en un volume in-8° dans l'année même où parurent ses OEuvres.

peut affirmer sur le lieu et la date de sa naissance. Ce que l'on sait de sa famille est encore plus vague et plus incertain. On est seulement autorisé à supposer qu'elle était pauvre et obscure, car on ne le voit jamais, même dans les plus tristes circonstances de sa vie, s'adresser à elle, et c'est elle, au contraire, qui, lorsqu'il a été nommé abbé de Bobio, s'empresse de quitter l'Auvergne pour aller lui demander en Italie un appui et un refuge. Entré dès son enfance, en qualité de novice, au monastère de Saint-Gérauld, il y apprend la grammaire, c'est-à-dire le peu qu'on savait alors de la langue et de la littérature de l'antiquité romaine. Mais, dans cette étude circonscrite, il fait preuve de tant d'intelligence, qu'au monastère où il est élevé et dans les couvents voisins il ne tarde point à passer pour un prodige. Frappé comme tout le monde de ses précoces facultés, un certain Borel, comte de Barcelone, qui, vers l'an 967, vint à passer par Saint-Gérauld, offrit généreusement et obtint sans peine de l'emmener en Espagne, pour y compléter son éducation.

L'Espagne était alors un pays privilégié pour la pensée. Les lettres et les sciences y étaient plus florissantes qu'en aucune autre contrée de l'Europe chrétienne. Il y avait dans ce qu'on appelait la Marche d'Espagne des écoles épiscopales et monastiques qui avaient conquis une légitime renommée. M. Olleris n'a pas de peine à démontrer que c'est là, non dans les écoles musulmanes de la Péninsule, que Gerbert s'est formé. Cominent aurait-il puisé ses connaissances chez les Arabes, puisque, comme il le déclare expressément, il est resté toute sa vie étranger à leur langue. Et, si les Arabes avaient été ses précepteurs, comment n'aurait-il pas

mieux profité de leurs leçons dans un temps où les mathématiques, la médecine et la philosophie elle-même, représentées par Alkendi et Alfarabi, étaient déjà, chez eux passablement avancées? Comment ne lui auraientils раз fait connaître les œuvres d'Aristote avec leurs commentaires alexandrins, qu'ils avaient traduits et qu'ils étudiaient déjà depuis un siècle ? D'ailleurs, nous savons quels furent ses maîtres chrétiens et quel genre d'instruction ils ont pu lui donner. L'un d'entre eux fut Hatton, évêque de Vich, sous lequel, à ce que nous assure son disciple et son biographe Richer, il fit de grands progrès en mathématiques. Un autre, dont le nom nous échappe, lui enseigna l'astronomie, et nous voyens, par les connaissances qu'il y ajouta plus tard et les découvertes qui lui ont été attribuées, que les notions qu'il possédait alors sur ces deux sciences ne s'étendaient pas bien loin. Il est probable que son éducation littéraire reçut plus de développement; car il a toujours fait un fréquent usage de Cicéron et des poëtes latins. Il a lui-même composé des vers qui ne nous paraîtraient pas trop mauvais, s'ils sortaient de la plume d'un élève de rhétorique. C'est un argument de plus en faveur de l'opinion qu'il n'a jamais subi, au moins d'une manière directe, l'influence des écoles de Cordoue et de Grenade. L'influence indirecte est plus difficile à écarter; car on ne conçoit pas que l'Espagne chrétienne soit restée pendant un siècle complétement étrangère à la vie intellectuelle qui se manifestait avec tant d'éclat sous ses yeux.

Après avoir passé trois ans à Barcelone, Gerbert accompagna à Rome son protecteur Borel, et Hatton, son principal instituteur. C'était sous le pontificat de

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