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par un concile provincial. » Mais, en dépit de ces décisions, une bulle intervint qui annulait les actes du concile de Saint-Basle et déposait les prélats qui en étaient les auteurs. Implicitement cette bulle annulait aussi l'élection de Gerbert.

la

Un curieux spectacle se présente à ce moment dans l'histoire. Celui qui devait occuper un jour le siége pontifical s'élève avec indignation contre les excès d'autorité du souverain pontife, qu'il appelle simplement l'évêque de Rome. Écrivant à Siguin, archevêque de Sens, pour l'engager à ne pas tenir compte de suspension qui vient de le frapper, Gerbert s'exprime en ces termes : « C'est à Rome, dit-on, que l'on justifie ce que vous condamnez, que l'on condamne ce que vous croyez juste. Et nous disons, nous, que c'est à Dieu seulement et non point à l'homme de condamner ce qui paraît juste, de justifier ce qui est réputé mauvais. Dieu, dit l'apôtre, est celui qui justifie; qui oserait condamner? Comment donc nos adversaires prétendent-ils que, pour la déposition d'Arnulfe, il eût fallu attendre le jugement de l'évêque de Rome? Pourraient-ils soutenir que le jugement de l'évêque de Rome est supérieur à celui de Dieu ? Mais le premier des évêques de Rome, bien plus, le premier des apôtres nous crie : Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes; et saint Paul, le docteur de toute la terre: Si quelqu'un vous prêche une doctrine contraire à celle que vous avez reçue, quand ce serait même un ange, qu'il soit anathème! Eh quoi! parce que le pape Marcellin avait offert de l'encens à Jupiter, tous les évêques devaient-ils en offrir? Je l'affirme sans hésiter, si l'évêque de Rome a péché contre son frère, s'il a refusé d'écou

ter les avertissements de l'Église, cet évêque de Rome doit, par l'ordre de Dieu, être traité comme un païen et comme un publicain1. »

Après avoir soutenu que, loin de pouvoir suspendre ou déposer un évêque, le pape n'a pas même ce droit sur un simple prêtre, qui n'a pas été reconnu coupable par un jugement régulier ou sur la foi de ses propres déclarations, Gerbert exprime ainsi sa pensée générale sur les droits mutuels de la papauté et de l'Église « Il ne faut pas donner à nos adversaires l'occasion de penser que l'épiscopat, qui est un partout, comme l'église catholique est une, soit tellement soumis à un seul homme que, si celui-ci est corrompu par l'argent, par la faveur, par la crainte ou par l'ignorance, il ne puisse y avoir pour lui d'évêque que celui que recommanderont les mêmes titres. Que la loi commune de l'église catholique soit : l'évangile, les apôtres, les prophètes, les canons inspirés par l'esprit de Dieu, consacrés par le respect du monde entier, les décrets du Saint-Siége qui ne s'en éloignent pas, et que celui

1. Epist. 166, édit. de M. Olleris : « ......... Romæ dicitur esse quæ ea « quæ damnatis justificet, et quæ justa putatis damnet. Et nos dicimus « quod Dei tantum est et non hominis ea quæ videntur justa damnare, « et quæ mala putantur justificare. Deus, inquit Apostolus, est qui jus« tificat, quis est qui condemnet (Rom. VIII, 33)? Consequitur ergo, si « Deus condemnat, ut non sit qui justificet. Quomodo ergo nostri æmuli « dicunt quod in Arnulfi dejectione Romani episcopi judicium exspectan« dum fuit? Poteruntne docere Romani episcopi judicium Dei judicio « majus esse? Sed primus Romanorum episcopus, immo ipsorum aposto«<lorum princeps clamat : Oportet obedire Deo magis quam hominibus « (Act. v, 29). Clamat et ipse orbis terrarum magister, Paulus: Si quis « vobis annunciaverit præter quod accepistis, etiam angelus de cœlo, « anathema sit (Gal. 1, 9). Num quia Marcellinus papa Jovi thura incen« dit ideo cunctis episcopis thurificandum fuit? Constanter dico quod si « Romanus episcopus in fratrem peccaverit, sæpiusque admonitus eccle« siam non audierit, hic, inquam, Romanus episcopus præcepto Dei est « habendus sicut ethnicus et publicanus. »

qui s'est écarté de ces règles par mépris soit jugé par elles 1, que par elles il soit rejeté. Si Pierre les respecte, s'il les exécute dans la mesure de ses forces, qu'il jouisse d'une paix non interrompue et d'une durée éternelle. »

Le pape Sylvestre II ne partagea nullement, sur ces matières, les opinions de l'archevêque Gerbert. Mais l'archevêque Gerbert était gravement menacé, dans ce moment, par l'autorité qu'il devait exercer un jour sous le nom de Sylvestre II. Il ne se borna pas à se défendre par des théories, dans un temps où la pensée, surtout quand elle revendiquait les droits de la liberté, exerçait sur le monde une médiocre influence; il invoqua le secours de puissances plus positives, il réclama tout à la fois la protection du roi de France et celle de l'impératrice Adélaïde, qui, depuis la mort de Stéphanie, gouvernait l'Allemagne sous le nom de son petit-fils Othon III. Mais personne ne répondit à son appel. Le roi Robert, depuis son mariage avec Berthe et le renvoi de sa femme légitime, avait trop à faire pour se défendre lui-même des foudres de l'excommunication suspendues sur sa tête. L'impératrice d'Allemagne ne se souciait pas, pour un étranger, dont le dévouement lui était suspect, de s'aliéner les évêques

1. Nous signalerons à M. Olleris une inadvertance qui lui est échappée ici dans sa traduction. On lit dans le texte : Et qui per contemptum ab his deviaverit (il s'agit de l'évangile, des apòtres, des prophètes, etc.), - per hæc judicetur, per hæc abjiciatur. M. Olleris traduit « Et que

celui qui s'en sera écarté par mépris soit jugé par elle, que par elle il soit rejeté (p. 141 de la Vie de Gerbert). On se demande à quoi se rapportent ces deux mots en et elle et comment on pourra les accorder. Au reste; voici la phrase tout entière; elle mérite d'être citée pour elle-même : «Sit lex communis ecclesiæ evangelium, apostoli, prophetæ, canones « Spiritu Dei conditi et totius mundi reverentia consecrati, decreta sedis << apostolicæ ab his non discrepantia; et qui per contemptum ab his de« viaverit, per hæc judicetur, per hæc abjiciatur. »

et le clergé de son pays, partisans déclarés du fils de Lothaire. Dans cet état d'abandon, Gerbert ne vit plus autour de lui que des ennemis, et il n'y a pas d'outrage dont on ne prît plaisir à l'abreuver. Ses soldats conspiraient contre lui dans son propre palais. Ses clercs, comme s'il était excommunié, refusaient de manger à sa table et d'assister, quand il les célébrait, aux offices divins. Un certain Gibuin, neveu de l'évêque de Châlons, réclamait ouvertement sa succession, et, à la tête d'un petit corps de troupes, prenait possession de l'archevêché, comme s'il avait cessé d'exister. Il ne restait plus à Gerbert qu'à fuir. Il se réfugia en Allemagne; mais il ne lui fut pas permis d'y rester longtemps.

Ayant demandé lui-même d'être jugé par ses pairs, et le pape, ainsi que le roi de France, ayant accepté cette proposition, il fut convenu qu'il comparaîtrait devant un concile qui serait convoqué prochainement à Mouzon dans le diocèse de Reims. Ce concile se réunit, en effet, le 2 juin 9951. Il était composé en grande majorité de prélats allemands 2 et présidé par le nonce du pape, par conséquent il n'y trouvait que des ennemis. Aussi, malgré l'habileté de sa défense, fut-il suspendu provisoirement non-seulement de ses fonctions épiscopales, mais du droit de dire la messe. Cette suspension provisoire devait durer un mois, après lequel un nouveau synode, assemblé à Reims, devait prononcer une sentence définive. Cette décision fut-elle exé

1. Nous reprocherons à M. Olleris de ne pas indiquer avec assez de précision les dates, surtout les années; ainsi, il fait bien connaître le jour, mais non pas l'année où se réunit le concile de Mouzon.

2. « Gerbert, dit M. Olleris, fut le seul évêque de France qui se rendit à Mouzon » (p. 145). Mais Haimon, évêque de Verdun, y était aussi, et Verdun appartenait alors à la France.

cutée? Après le concile de Mouzon y en eut-il un autre à Reims ou, comme plusieurs l'ont prétendu, à Coucy ou à Senlis? Il serait difficile de l'affirmer, et si, en effet, ce nouveau synode eut lieu, on ignore entièrement ce qui s'y est passé. Une seule chose est certaine, c'est que Gerbert, sans cesser de se donner le titre d'archevêque de Reims, crut nécessaire de reprendre le chemin de l'Allemagne. Il fut accueilli avec faveur par Othon III, qui l'emmena avec lui à Rome au mois de mars de l'an 996. Le pape Jean XV venait de mourir, et un cousin d'Othon, âgé seulement de vingtquatre ans, lui succéda sous le nom de Grégoire V. C'est par la main de ce jeune pontife, qui lui devait la tiare, qu'Othon se fit couronner empereur, et Gerbert fut chargé d'annoncer cette grande nouvelle à l'impératrice Adelaïde. Il était, en quelque sorte, dans sa destinée de servir toute sa vie d'écrivain public aux souverains et aux principaux personnages de son temps.

Si son sort n'eût dépendu que du nouveau pape, Gerbert serait resté encore longtemps dans la situation précaire où il se trouvait. Grégoire V, non moins jaloux de son autorité que ses prédécesseurs, et peutêtre aussi en sa qualité de prince allemand, était décidé à faire rendre à Arnulfe sa dignité archiépiscopale. Il suspendit de leurs fonctions Ascelin, qui l'avait trahi, et les évêques du concile de Saint-Basle, qui l'avaient déposé. Mais le jeune empereur, âgé seulement de dixhuit ans, et comprenant qu'il lui restait encore beaucoup à apprendre, venait de choisir Gerbert pour son précepteur et son conseiller. C'était rouvrir devant lui la carrière des grandeurs et fermer celle des persécutions. Une circonstance qui peint bien l'état des esprits et

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