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sion royale, les juges de l'archevêque de Reims. Echert, ce n'est plus un collègue égaré, que l'on veut bien, par charité, faire rougir de ses desseins criminels afin de le ramener, pendant qu'il en est encore temps, dans le chemin de la vertu et de l'honneur; c'est un ami, c'est un père, dans lequel on met toute sa confiance. On le charge de faire savoir à Lothaire que le roi de France n'a pas de plus fidèle serviteur qu'Adalbéron. Il est vrai qu'Adalbéron a un neveu, l'évêque de Verdun, qui est loin de partager ces sentiments; mais les torts du neveu ne sauraient être imputés à l'oncle, qui, d'ailleurs, se prépare à excommunier cet indigne parent.

Mais cette étrange missive est à peine partie pour sa destination que Gerbert va trouver les seigneurs lorrains retenus prisonniers et les engage, au nom de l'archevêque de Reims, à persévérer dans leur courageuse résistance, à repousser tout accommodement avec Lothaire, dont la domination en Lorraine ne peut être que de courte durée. Après tout, en fût-il autrement, ils auraient encore un moyen de se mettre à l'abri de son ressentiment. « Si vous parvenez, dit-il avec une rare perspicacité, à gagner l'amitié de Hugues (Hugues Capet), vous vous garantirez sans peine de toutes les tentatives que pourront diriger contre vous les rois de France1.>>

La prédiction ne tarda pas à se réaliser dans le procès d'Adalbéron. Hugues Capet faisait partie, avec les comtes de Troyes et de Vermandois, de la commission chargée de le juger, et, comme ni lui ni ses assesseurs

1. « Si Hugonem vobis in amicitiam colligaveritis, omnes impetus << Francorum facile devitare valebitis. » (P. 29, édit. de M. Olleris.)

ne tenaient particulièrement aux intérêts de Lothaire ; comme ils cherchaient, au contraire, à se grandir à ses dépens et à se ménager des amitiés dans les deux camps ennemis, l'archevêque de Reims fut renvoyé absous dans son diocèse.

Cet acquittement d'Adalbéron, joint à la résistance de toute sa famille, pouvait être regardé comme un succès pour la cause d'Othon III. Le principal auteur de cette victoire était Gerbert. Il ne manqua pas de s'en prévaloir auprès de la cour d'Allemagne et de solliciter la récompense qu'il croyait avoir méritée. Mais on n'avait plus besoin de ses services. Henri avait renoncé à la couronne et remis le jeune Othon à sa mère; la Lorraine était perdue pour l'Allemagne ; qu'importaient dès lors ce que pouvaient faire ou avoir fait Adalbéron, sa famille et son habile secrétaire? Gerbert, dans une de ses lettres1, se plaint amèrement de cette ingratitude « Pour récompenser ma fidélité dans le passé et pour la conserver dans l'avenir, on n'a pas même daigné, s'écrie-t-il, me faire cadeau d'une petite ferme.>> C'est alors qu'il revient pour un instant à ses chères études, qu'il réunit autour de lui un petit nombre de disciples choisis et qu'il entre en négociation avec les moines de Bobio pour reprendre possession de son abbaye. Mais si les cénobites italiens qu'il voulait rappeler sous sa loi montraient peu de goût pour lui, lui, au fond du cœur et malgré les résolutions que lui inspirait un mouvement de découragement, n'en avait pas davantage pour la vie contemplative et solitaire. D'ail

1. La 62e dans l'édition de M. Olleris.

2. «Nec ulla saltem villula ob fidem retentam vel retinendam donatus « sum. » (Ubi supra.)

leurs les circonstances étaient telles qu'elles ouvraient une nouvelle carrière à son activité et à son talent diplomatique.

Le temps approchait où une nouvelle dynastie allait remplacer sur le trône de France les derniers Carlovingiens. Cette révolution, Gerbert, comme nous l'avons vu, la pressentait. Son ambition allait plus loin; il aurait voulu y. contribuer. Abandonné par la cour d'Allemagne et cherchant à se créer un nouvel appui, il avait proposé à Hugues Capet de se mettre à la tête d'une ligue contre Lothaire, «qui, selon ses propres expressions, n'était roi que de nom, tandis que Hugues ne l'était pas de nom, mais de fait et en réalité1.» Hugues Capet n'avait pas répondu à cette ouverture. Mais la crise était imminente, et Gerbert, alors revenu de son voyage à Bobio, l'attendait avec anxiété en se promettant bien d'y jouer un rôle. Ses espérances furent déçues dans ce sens que l'événement prévu s'accomplit sans sa participation. Le 2 mars de l'année 986, Lothaire mourut presque subitement. Après avoir inutilement conspiré contre son autorité, n'ayant pas eu la satisfaction de concourir à sa chute, Gerbert voulut au moins se donner celle de faire son épitaphe. Le temps nous a heureusement conservé cette curieuse composition, qui suffirait pour nous apprendre, si nous ne le savions pas, ce que valent les pleurs si pompeusement étalés sur les tombeaux des rois. L'épitaphe composée par Gerbert étant d'ailleurs très-courte, puisqu'elle n'est formée que de quatre vers alexandrins, nous ne

1. « Lotharius, rex Francorum prælatus est solo nomine. Hugo vero << non nomine, sed actu et opere. » (Epist. 51, p. 32, édit. de M. Olleris.

croyons pas sans intérêt de la reproduire ici dans la fidèle traduction de M. Olleris :

« Les grands se réunirent pour lui rendre hommage, tous les gens de bien le respectèrent. Issu des Césars, César Lothaire, objet de notre douleur, tu nous quittes le second jour du terrible Mars, que tu avais représenté sous la pourpre1.»

Ainsi parle le poëte; mais l'homme est au comble de la joie, parce que le nouveau règne, pour lequel il s'est compromis, lui sera nécessairement favorable. En effet, à peine couronné, Hugues Capet choisit Gerbert pour son secrétaire et lui confie, à ce titre, la rédaction des messages les plus délicats. Telle est, entre autres, la lettre adressée, en 988, par le nouveau roi de France à l'impératrice Théophanie pour refuser, sous un prétexte plausible, la trève que cette princesse le prie de conclure avec le prétendant, Charles de Lorraine. Dans le même moment, selon son habitude, Gerbert se ménage les bonnes grâces de Charles, pour le cas où la fortune tournerait en sa faveur. Il lui donne des conseils comme il en a donné à son puissant rival; il l'engage, par exemple, avec beaucoup de bon sens, à ne jamais se laisser enfermer dans une forteresse; ce qui ne l'empêche pas, quand la ville de Laon est tombée en son pouvoir, d'assister au siége qu'en fait Hugues Capet, et il ne tient pas à lui, par les secours qu'il appelle au camp des assiégeants, qu'il n'aide Hugues Capet à la reprendre.

1.

Cujus ad obsequium coiere duces, bonus omnis
Quem coluit, sate Cæsaribus, monimenta doloris,
Cæsar Lothari, prætendis luce secunda

Terrifici Martis quod eras conspectus in ostro.

(P. 293, édit. de M. Olleris.)

Cette conduite profita peu à Gerbert. Il put se convaincre, dans une circonstance importante, qu'elle n'empêchait pas le parti du prétendant de le considérer comme un ennemi, tandis que le parti du roi n'attachait pas assez de prix à ses services pour se presser de le tirer de sa position subalterne. Adalbéron venait de mourir après avoir désigné son secrétaire et le confident de toutes ses pensées pour son successeur. Ce choix avait obtenu l'assentiment des évêques et de quelques seigneurs laïques de la province. Mais, daus la ville de Reims, où la dynastie déchue conservait encore de nombreux partisans, il provoqua un soulèvement général. La vie même de Gerbert fut menacée. D'un autre côté, on conseillait à Hugues Capet, comme un acte de bonne politique, d'appeler à la première dignité ecclésiastique du royaume Arnulfe, un bâtard de Lothaire. Arnulfe était jeune, il ne se recommandait point par ses mœurs, il était sous le coup d'une excommunication; mais la politique parlait en sa faveur, qu'importait le reste? Il fut agréé par Hugues Capet, et le fils de Lothaire II, de vive voix et par écrit, en se servant des termes les plus solennels, après avoir appelé sur sa tête, en cas de parjure, les plus terribles malédictions, prêta serment de fidélité au spoliateur de sa famille. On se figure la déception, le désespoir de Gerbert. Il voyait s'évanouir en un instant l'espérance de toute sa vie et passer dans les mains d'un autre, qui n'avait rien fait, le prix depuis si longtemps promis à ses savantes et laborieuses manœuvres. Pour comble d'humiliation il est changé de rédiger l'acte d'élection qui proclame le nom de son rival, et on lui impose le douloureux devoir de conserver les fonctions qu'il avait reçues autrefois de

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