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rations de M. Cousin; car c'est M. Cousin qui en a eu la première pensée en ouvrant sur ce sujet un concours à l'Académie des sciences morales et politiques; il y a aidé sur plusieurs points par ses fragments de philosophie cartésienne et son histoire générale de la philosophie.

SPINOZA'

I

Le temps est loin de nous où Lessing pouvait dire : « On en use avec Spinoza comme avec le cadavre d'un chien. >> Depuis que ces paroles ont été prononcées, le spinozisme a pris sa revanche en Allemagne. Il s'est emparé, dans ce pays, de toutes les issues de la pensée. Il a établi sa domination dans la philosophie, dans la poésie, dans la critique littéraire, dans les sciences naturelles, dans la théologie et jusque dans la chaire évangélique. Lessing et Herder ont ouvert la voie par laquelle se sont élancés avec impétuosité les Goethe, les Novalis, les Schleiermacher, les Schelling, les Hegel et leur innombrable postérité. Il aurait été bien extra

1. La Doctrine politique de Spinoza exposée pour la première fois, par M. J. E. Horn. (Spinoza's Staatslehre zum ersten Male dargestellt.) - 2e édition, in-8°. Dresde, 1863.

ordinaire, avec les relations qui existent aujourd'hui entre les peuples, qu'une révolution aussi profonde et aussi rapide s'arrêtât aux bords du Rhin. Aussi la France n'a-t-elle par tardé à en recevoir le contrecoup, dont les effets, quoiqu'ils remontent à près d'un demi-siècle, ne sont pas encore épuisés.

Mais dans ce travail de résurrection il y a un côté du système de Spinoza qui est resté dans l'ombre, soit qu'on le trouvât moins original ou qu'il parût difficile à concilier avec le reste. C'est celui qui regarde la société civile, la politique et le droit. C'est particulièrement à ce côté que s'est attaché M. Horn dans le travail dont nous annonçons aujourd'hui la seconde édition. Ce remarquable écrit, qui nous montre M. Horn sous un aspect entièrement nouveau, au moins pour nous, a paru pour la première fois en 1851 à Dessau. C'était l'époque où la réaction politique et religieuse sévissait dans toute l'étendue de l'empire germanique; où la théorie du droit divin, un instant humiliée, remontait sur les trônes; où l'intolérance érigée en dogme était prêchée dans la Gazette de la Croix par d'anciens disciples de Hegel et de Feuerbach; où à l'amertume de la défaite venait se joindre, pour les amis de la liberté, le supplice encore plus cruel d'entendre chaque jour insulter au nom de la raison l'objet de leur foi et de leurs espérances. A cette explosion de vengeance et de haine, à ces saturnales du despotisme et de la servilité, M. Horn ne voit rien à opposer de plus efficace que l'autorité de Spinoza et ses idées sur les rapports des gouvernements avec les peuples, de l'État avec les citoyens, de l'ordre social avec la loi naturelle, toute la doctrine qui fait la base du

Traité théologico-politique. C'est là qu'il trouve le dernier mot de la justice et de la sagesse, la solution de tous les problèmes qui agitent les nations modernes, le secret de l'avenir. Spinoza est pour lui, de tous les philosophes et de tous les écrivains politiques, celui qui a le mieux compris, qui a le plus aimé, qui a le mieux défendu la liberté. Seul il a posé les fondements et défini les conditions de la démocratie; seul il a su éviter à la fois les chimères de la théorie et les entraves de la routine. Unissant l'esprit pratique au génie de la spéculation, voyant l'homme tel qu'il est, au lieu de rêver ce qu'il devrait être, il s'est rendu compte de la nature de la société et ne lui a prescrit que ce qui est conforme à ses besoins et à la portée de ses efforts.

D'ailleurs, si nous en croyons l'éloquente Préface que M. Horn a placée en tête de la seconde édition de son ouvrage, les principes de Spinoza auraient déjà reçu et recevraient dans ce moment même la sanction de l'expérience. N'est-ce pas, en effet, la démocratie qui triomphe sous une forme ou sous une autre chez les peuples les plus puissants, les plus civilisés des deux mondes? N'est-ce pas l'idée du Contrat social, idée que Rousseau a empruntée à Spinoza, qui semble aujourd'hui faire le tour de l'Europe? Une Constitution est-elle autre chose qu'un contrat, et n'est-ce point sur cette base que reposent, dans tous les pays libres, les rapports du souverain et de la nation? N'est-ce pas le seul lien qui unisse entre eux le roi et le nouveau peuple d'Italie, la Grèce et le jeune prince qui vient de répondre enfin à son appel désespéré, les Principautés du Danube et leur souverain constitutionnel? La durée des dynasties, l'autorité des rois et la prospérité des

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