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GALILEE

LA RAISON ET L'AUTORITÉ AU COMMENCEMENT DU XVII SIÈCLE 1

Malgré les nombreux écrits qui ont paru sur Galilée, et peut-être à cause de ces écrits, il reste encore bien des nuages sur la vie de ce grand homme, sur la marche et la succession de ses travaux, sur la méthode qu'il a suivie, sur l'influence qu'il a reçue de ses devanciers, sur celle qu'il a exercée à son tour, et surtout sur son procès. Les passions les plus opposées se sont emparées de son nom et ont essayé de l'exploiter à leur profit. Les uns, n'admettant pas que l'autorité puisse se tromper et qu'une condamnation prononcée par un tribunal régulier ne soit pas toujours juste, ont cherché à Galilée mille torts imaginaires, ont cru apercevoir dans ses ouvrages des témérités et des malices dont il est parfai

1. Galilée, les Droits de la science et la méthode des sciences physiques, par Th. Henri Martin. 1 volume in-18, à la libraire académique de Didier et Ce, 35, quai des Augustins, à Paris.

tement innocent. D'autres, au contraire, prenant parti pour la victime, pour l'homme de génie persécuté, ont pensé qu'ils ne pouvaient se faire une idée exagérée de son héroïsme et de son martyre. Ils ont donc accueilli avec une aveugle confiance tout ce qui venait à l'appui de cette opinion préconçue, non-seulement les allégations précises, soutenues, à défaut de preuves, par l'autorité d'un nom propre, mais les rumeurs les plus vagues et les plus obscures. Puis, quand la vérité s'est montrée à leurs yeux, quand à la place d'un héros ils n'ont aperçu qu'un homme, leur enthousiasme s'est changé en colère, et peu s'en est fallu qu'ils n'applaudissent à la sentence de l'Inquisition romaine. D'autres ont fait de Galilée un prétexte pour donner carrière à leurs animosités personnelles, se déclarant pour lui ou contre lui, se plaisant à l'exalter ou à l'abaisser, selon qu'il avait été attaqué ou défendu par leurs ennemis. Il en est, enfin, qui, ne cherchant que la vérité et n'obéissant qu'à l'amour de la justice, n'ont pu donner satisfaction à ce double intérêt, parce que toutes les pièces qui leur étaient nécessaires pour rendre un jugement équitable n'étaient pas encore découvertes ou mises au jour. En effet, parmi les documents les plus importants qu'on peut consulter aujourd'hui sur Galilée et ses démêlés avec l'Église, il y en a qui ne sont connus que depuis quelques années, et d'autres seulement depuis 1867.

Dissiper toutes ces obscurités, détruire toutes ces préventions et ces erreurs, combler toutes ces lacunes, tel est le but que M. Th. Henri Martin s'est proposé dans le savant et curieux volume qu'il vient de publier. Voulant nous faire connaître le vrai Galilée, le Galilée

de l'histoire, non celui que la passion et la légende nous ont montré jusqu'ici, il s'est fait un devoir de ne s'appuyer que sur des témoignages irrécusables: d'abord celui de Galilée lui-même, c'est-à-dire ses nombreux ouvrages, aujourd'hui réunis et devenus accessibles à tout le monde dans la belle édition de M. Albéri; ensuite sa correspondance, en y comprenant non-seulement les lettres qu'il a écrites, mais celles qu'il a reçues, et en y ajoutant celles dont, à son insu, il a été le sujet; enfin les dépêches de l'ambassade de Toscane à Rome et les pièces relatives à ses deux procès.

Mais les documents les plus authentiques, les plus certains, peuvent être altérés par la façon dont ils sont analysés ou interprétés, et même par les citations partielles qu'on en tire. Les faits et les textes, quand on y met un peu d'habileté, se plient toujours aux intentions de celui qui invoque leur autorité. L'histoire, interrogée par des juges partiaux, n'a-t-elle pas toujours, comme un témoin suborné, rendu des réponses conformes à leurs passions? Ce danger n'était pas à craindre avec M. Martin. Son impartialité est égale à sa vaste et rare érudition, et la droiture de son jugement à sa passion pour la vérité. Animé d'une piété profonde et ardente, il apporte la même chaleur d'âme dans la défense des droits de la raison. Il ne comprend pas que la science, c'est-à-dire la vérité démontrée, soit un danger pour la religion, et il a pris pour devise ces paroles tirées d'une lettre adressée à Galilée par Stelliola : « Ceux qui cher❝ chent à mettre la discorde entre la science et la reli«gion sont peu amis de l'une et de l'autre. » A la science elle-même vient se joindre, chez M. Martin, une haute et solide philosophie, qui lui permet d'en

apprécier les diverses méthodes et le désigne naturellement pour en écrire l'histoire; aussi croyons-nous que cette nouvelle production de sa plume infatigable est de nature à satisfaire à la fois les philosophes et les savants. Les graves qualités par lesquelles elle se distingue n'excluent pas, dans la discussion de quelques écrits contemporains, le ton de l'ironie et certaines vivacités de langage; mais il n'y a guère que le charlatanisme avéré et la passion volontairement aveugle qui aient le privilége, si c'est est un, de faire sortir M. Martin de son calme et de son indulgence habituels.

Nous n'avons pas qualité pour suivre M. Martin pas à pas dans ses considérations sur les découvertes et les travaux scientifiques de Galilée, et nous ne croyons pas d'une importance capitale les nouveaux détails qu'il nous donne sur sa biographie. Notre dessein est de nous arrêter seulement sur deux points, dont l'un intéresse l'histoire et l'autre la philosophie : nous voulons parler des deux procès de Galilée et de la méthode qu'il a appliquée aux sciences physiques, ou, comme on les appelait de son temps, à la philosophie naturelle. Au reste, c'est en traitant ces deux questions que M. Martin fait le mieux apprécier la valeur de sa critique et de ses idées personnelles.

On croit généralement que Galilée n'a été poursuivi qu'une fois par l'Inquisition romaine, qu'il n'a eu à se défendre contre elle que dans un seul procès, celui qui lui fut intenté en 1632, à l'occasion de son Dialogue sur les systèmes du monde, et à la suite duquel il a été condamné. C'est une erreur. Ses persécutions remontent beaucoup plus haut, et, seize ans avant la sentence qui a laissé tant de traces dans la mémoire de la

postérité, il avait éprouvé une première fois les rigueurs du Saint Office.

Quoique nourri par ses maîtres des plus pures doctrines de l'École, Galilée, déjà célèbre à l'âge de vingtcinq ans, quand il enseignait les mathématiques à l'université de Pise, avait adopté de bonne heure le système de Copernic. Dans une lettre écrite à Kepler le 4 août 1597, il déclare être gagné à ce système depuis un grand nombre d'années et en avoir fait le sujet de plusieurs ouvrages qu'il n'ose publier, dans la crainte de passer pour fou aux yeux des ignorants et des faux savants. Les découvertes astronomiques qu'il fit plus tard à l'aide du télescope, les montagnes et les vallées de la lune, les taches du soleil, les phases de Vénus, les quatre satellites de Jupiter, n'étaient pas de nature à affaiblir sa conviction. Aussi, malgré la réserve qu'il s'était imposée d'abord, ne put-il s'empêcher de la produire, au moins dans ses leçons orales. En 1604 l'ap-. parition d'une étoile nouvelle dans la constellation du Serpentaire lui fournit une première occasion d'attaquer dans sa chaire la doctrine péripatéticienne de l'immutabilité des cieux, et nous avons lieu de croire que son audace s'accrut avec le succès et avec le nombre des arguments que lui fournissaient ses observations sur les corps célestes. On commença par nier les faits qu'il avait constatés, on répondit à ses démonstrations par des injures, on accusa le télescope de n'être qu'un instrument d'illusion. Mais, comme toutes ces dénégations étaient incapables de tenir contre l'évidence, contre le témoignage des yeux, et que la nouvelle doctrine se propageait de proche en proche, les péripatéticiens, vaincus sur le terrain de la science, ap

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