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être la vérité contre les doctrines que ma raison repousse comme autant de formes différentes de l'erreur.

La défense de la vérité philosophique se résume pour moi dans la défense du spiritualisme, qui n'est pas seulement la cause de Dieu et de l'âme, la cause de l'intelligence, de l'ordre dans l'univers aussi bien que dans l'homme, mais la cause de la liberté, la cause du devoir et du droit, celle du respect et de l'amour, celle de la justice et de la charité, celle de l'ordre social, celle de la société ellemême. Si vous en doutez, ouvrez les yeux sur les événements dont nous sommes témoins, interrogez l'état présent de la France et de l'Europe.

On a pu suivre pendant longtemps avec une curiosité sympathique, dans leur œuvre de destruction, ces prétendus rénovateurs de la science qui n'étaient que des démolisseurs de tous les fondements essentiels de la raison et de la moralité humaine. On a pu trouver un certain plaisir à connaître les procédés d'argumentation ou d'analyse par lesquels ils se flattent de supprimer la conscience, le libre arbitre, la personne humaine tout entière, les principes et les causes de notre existence, la règle de nos actions, les lois immuables de

notre pensée, pour mettre à leur place la puissance aveugle des faits, ramenée elle-même au jeu fatal des organes, à la domination capricieuse des sens, et par suite à la souveraineté des appétits, à l'identification des appétits avec les droits. En présence de ces belles découvertes, qu'on ferait remonter sans peine au temps des sophistes de la Grèce, on se disait peut-être qu'après tout, si elles devaient porter le trouble quelque part, ce ne pourrait être que dans les régions élevées de la pure spéculation, considérées par la foule comme un pays inabordable où elle n'a aucun moyen ni même aucune envie de pénétrer.

C'était une erreur. Des hauteurs de la société, sur lesquelles elles se sont montrées d'abord, et non sans y rencontrer de grands encouragements, les doctrines auxquelles je fais allusion sont descendues de proche en proche dans les couches les plus profondes de notre nation et l'on peut dire de toutes les nations européennes. Laissant de côté les discussions abstraites, les observations soi-disant scientifiques, ou les étalages d'érudition falsifiée et les raffinements de bel esprit par lesquels elles se sont efforcées de se faire accepter, on n'en a pris que les conséquences qui intéressent la direction de la vie et les relations

des hommes entre eux. Ces conséquences, on les a érigées en maximes économiques et politiques, et ces maximes, recueillies par des masses avides de changements et de jouissances, sont bien vite entrées dans le domaine des faits. Les désastres qu'elles y ont causés, je n'ai point à les rappeler ici, et je m'abstiendrai aussi de prévoir ceux qu'elles nous préparent dans l'avenir. Je ne veux point me laisser entraîner à substituer la politique à la philosophie. Il me suffit d'avoir fait naître ce soupçon, que du positivisme au communisme la distance pourrait bien être moins grande qu'on ne pense.

Le positivisme, c'est-à-dire le matérialisme accommodé au goût de notre siècle, n'est pas le seul système qui me paraisse dangereux et erroné. Il y a un certain mysticisme de fantaisie et un certain scepticisme ténébreux qui, depuis quelques années, à force de talent, par le prestige d'un noble langage et par leur obscurité mêmes réussissent à faire illusion à un petit nombre de jeunes intelligences. L'espace circonscrit dans lequel s'exerce leur domination ne permet pas qu'on les présente dès aujourd'hui comme un sujet d'alarme; mais ils peuvent devenir avec le temps un danger plus sérieux en réduisant la philosophie

à n'être plus qu'un exercice de dialectique et une œuvre d'imagination. Voilà pourquoi je me suis imposé le devoir tout à la fois de les étudier et de les combattre.

Me sera-t-il donné d'apporter quelque soulagement à ceux qui souffrent de cette confusion des idées, de cet obscurcissement de toutes les vérités nécessaires? Je n'ose pas l'espérer; mais on me saura gré, peut-être, de l'avoir essayé.

Paris, 26 novembre 1871.

AD. FRANCK.

ET

PHILOSOPHES

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(LE PAPE SYLVESTRE II)1

ÉTAT DE LA PHILOSOPHIE ET DES SCIENCES AU Xe SIÈCLE

I

Voulant honorer la mémoire du plus illustre de ses enfants, la ville d'Aurillac éleva, il n'y a pas longtemps une statue à Gerbert, le premier Français qui occupa le trône pontifical. Piquée d'une généreuse émulation, l'Académie des sciences, lettres et arts, de ClermontFerrand lui rendit un hommage moins éclatant peutêtre, mais plus utile à la science: elle vota l'impression de ses œuvres. C'est à M. Olleris, ancien professeur

1. OEuvres de Gerbert, pape sous le nom de Sylvestre II, collationnées sur les manuscrits, précédées de sa biographie, suivies de notes critiques et historiques par A. Olleris, doyen de la Faculté de Clermont, etc. 1 vol. in-40, 1867.; Clermont-Ferrand, Thibaud, et Paris, Dumoulin.

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