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APPENDICE.

LETTRE D'UNE DAME

AU

DUC DE LA ROCHEFOUCAULD (1).

E vous renvoye vos Maximes, Monsieur, en vous en rendant mille et mille grâces très humbles. Je ne les louerai point comme elles méritent d'être louées, parce que je les trouve ? au dessus de mes louanges. Elles ont un s si juste et si délicat, quoiqu'il soit quelque; un peu détourné, qu'il ne faudroit pas moins délicatesse pour vous dire tout ce que je pense, 'il vous en a fallu pour les faire. Vous avez une nière si vive pour pénétrer le cœur de tous les mmes, qu'il semble qu'il n'appartienne qu'à us de donner un jugement équitable sur le mée ou le démérite de tous ses mouvements; avec

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(1) Cette lettre, ainsi qu'il est facile de s'en assurer, s'appliquoit qu'à un supplément à la 3e édition, les aximes sur lesquelles tomboient les observations de la ime ne se trouvant pas dans cette 3e édition, et n'ayant é publiées, avec le reste des maximes, que dans la 4. Le mot première maxime appliqué par la dame à la 42, L'accent du pays, etc., confirme cette conjecture.

cette différence pourtant qu'il me semble, Monsieur, que vous avez encore mieux pénétré celui des hommes que celui des femmes. Car je ne puis pas, malgré la déférence que j'ai pour vos lumiè res, m'empêcher de m'opposer un peu à ce que vous dites que leur tempérament fait toute leur vertu (1), puisqu'il faudroit conclure de là que leur raison leur seroit entièrement inutile. Et quand même il seroit vrai qu'elles eussent quelquefois les passions plus vives que les hommes, l'expérience fait assez voir qu'elles savent les surmonter contre leur tempérament, de sorte que, quand nous consentirons que vous mettiez de l'égalité entre les deux sexes, nous ne vous ferons pas d'injustice pour nous faire grâce. Il est même bien plus ordinaire aux femmes de s'opposer à leur tempérament, qu'aux hommes, lorsqu'elles l'ont mauvais, parce que la bienséance et la honte les Ꭹ forceroient, quand même leur vertu et leur raison ne les y obligeroient pas. Voici les trois de vos Maximes que j'aime le mieux et qui m'ont le plus char

mée :

« Il ne faudroit point être jaloux quand on nous donne sujet de l'être. Il n'y a que les personnes qui évitent de donner de la jalousie qui soient dignes qu'on en ait pour elles (2). »

« La fortune fait paroître nos vertus et nos vices, comme la lumière fait paroître les objets (3).» <«< La violence qu'on se fait pour demeurer fi

(1) Maxime 346. (2) Maxime 359. (3) Maxime 380.

dèle à ce qu'on aime ne vaut guère mieux qu'une Z infidélité (4). »

Je vous avoue, Monsieur, que quoique toutes Vos Maximes soient très belles, ces trois-là me paroissent incomparables; et qu'on ne sait à qui donner le prix, ou au sens, ou à l'expression. Mais comme vous m'avez engagée à parler franEchement, trouvez bon que je vous dise que je n'entends pas bien votre première Maxime, où vous dites:

« L'accent du pays où on est né demeure dans l'esprit et dans le cœur comme dans le langage (5). »

Je crois que cela est fort bien et fort juste; mais je ne connois point les accents qui demeurent dans le cœur et dans l'esprit. Je crois que c'est ma faute de ne les pas entendre, ni de ne les pas sentir; et cette Maxime me fait connoître ce que vous dites dans la quatrième, que « les occasions nous font connoître aux autres et à nous-mêmes (6). »

Cette autre Maxime, où vous dites que « l'on perd quelquefois des personnes qu'on regrette plus qu'on n'en est affligé, et d'autres dont on est affigé quelque temps et qu'on ne regrette guère (7)»

n'est

pas à mon usage; car la mesure de ma douleur seroit toujours la mesure de mon regret, et j'ai grand'peine à comprendre que je puisse séparer ces deux choses, parce que qui auroit mérité

(4) Maxime 381. (5) Maxime 342. Maxime 345. (7) Maxime 355.

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