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monument d'un vœu solennel qu'il a accompli1. Il aime à se faire suivre par un More. S'il fait un paiement, il affecte que ce soit dans une monnoie toute neuve, et qui ne vienne que d'être frappée. Après qu'il a immolé un bœuf devant quelque autel, il se fait réserver la peau du front de cet animal, il l'orne de rubans et de fleurs, et l'attache à l'endroit de sa maison le plus exposé à la vue de ceux qui passent, afin que personne du peuple n'ignore qu'il a sacrifié un bœuf. Une autre fois, au retour d'une cavalcade qu'il aura faite avec d'autres citoyens, il renvoie chez soi par un valet tout son équipage, et ne garde qu'une riche robe dont il est habillé, et qu'il traîne le reste du jour dans la place publique. S'il lui meurt un petit chien, il l'enterre, lui dresse une épitaphe avec ces mots : Il étoit de race de Malte 2. Il consacre un anneau à Esculape, qu'il use à force d'y pendre des couronnes de fleurs. Il se parfume tous les jours. Il remplit avec un grand faste tout le temps de sa magistrature; et, sortant de charge, il . rend compte au peuple avec ostentation des sacrifices qu'il a faits, comme du nombre et de la qualité des victimes qu'il a immolées. Alors, revêtu d'une robe blanche et couronné de fleurs, il paroît dans l'assemblée du peuple : Nous pouvons, dit-il, vous assurer, ô Athéniens! que pendant le temps.de notre gouvernement nous avons sacrifié à Cybèle, et que nous lui avons rendu des honneurs tels que les mérite de nous la mère des dieux espérez donc toutes choses heureuses de cette déesse. Après avoir parlé ainsi, il se retire dans sa maison, où il fait un long récit à sa femme de la manière dont tout lui a réussi au delà même de ses souhaits.

De l'avarice.

CE vice est dans l'homme un oubli de l'honneur et de la gloire, quand il s'agit d'éviter la moindre dépense. Si un tel homme a remporté le prix de la tragédie, il consacre à Bacchus des guirlandes ou des bandelettes faites d'écorce de bois, et il fait graver son nom sur un présent magnifique. Quelque

1 A Athènes, les personnes les plus modestes se contentoient d'assembler leurs parents, de couper, en leur présence, les cheveux de leur fils parvenu à l'âge de puberté, et de le consacrer ensuite à Hercule, ou à quelque autre divinité qui avoit un temple dans la ville.

2 Cette île portoit de petits chiens fort estimés.

3 Qu'il a faite ou récitée.

fois, dans les temps difficiles, le peuple est obligé de s'assembler pour régler une contribution capable de subvenir aux besoins de la république; alors il se lève et garde le silence1, ou le plus souvent il fend la presse et se retire. Lorsqu'il marie sa fille, et qu'il sacrifie selon la coutume, il n'abandonne de la victime que les parties seules qui doivent être brûlées sur l'autel2; il réserve les autres pour les vendre; et comme il manque de domestiques pour servir à table et être chargés du soin des noces, il loue des gens pour tout le temps de la fête, qui se nourrissent à leurs dépens, et à qui il donne une certaine somme. S'il est capitaine de galère, voulant ménager son lit, il se contente de coucher indifféremment avec les autres sur de la natte qu'il emprunte de son pilote. Vous verrez une autre fois cet homme sordide acheter en plein marché des viandes cuites, toutes sortes d'herbes, et les porter hardiment dans son sein et sous sa robe; s'il l'a un jour envoyée chez le teinturier pour la détacher, comme il n'en a pas une seconde pour sortir, il est obligé de garder la chambre. Il sait éviter dans la place la rencontre d'un ami pauvre qui pourroit lui demander, comme aux autres, quelques secours3; il se détourne de lui, et reprend le chemin de sa maison. Il ne donne point de servantes à sa femme, content de lui en louer quelques-unes pour l'accompagner à la ville toutes les fois qu'elle sort. Enfin, ne pensez pas que ce soit un autre que lui qui balaye le matin sa chambre, qui fasse son lit et le nettoie. Il faut ajouter qu'il porte un manteau usé, sale et tout couvert de taches; qu'en ayant honte lui-même, il le retourne quand il est obligé d'aller tenir sa place dans quelque assemblée.

De l'ostentation.

Je n'estime pas que l'on puisse donner une idée plus juste de l'ostentation, qu'en disant que c'est dans l'homme une passion de faire montre d'un bien ou des avantages qu'il n'a pas. Celui en qui elle domine s'arrête dans l'endroit du Pirée où les marchands étalent, et où se trouve un plus grand nombre

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1 Ceux qui vouloient donner se levoient et offroient une somme; ceux qui ne vouloient rien donner se levoient et se taisoient.

2 C'étoient les cuisses et les intestins.

3 Par forme de contribution. Voyez les chap. De la dissimulation et De l'esprit chagrin.

• Port à Athènes, fort célèbre.

d'étrangers; il entre en matière avec eux, il leur dit qu'il a beaucoup d'argent sur la mer; il discourt avec eux des avantages de ce commerce, des gains immenses qu'il y a à espérer pour ceux qui y entrent, et de ceux surtout que lui qui leur parle y a faits. Il aborde dans un voyage le premier qu'il trouve sur son chemin, lui fait compagnie, et lui dit bientôt qu'il a servi sous Alexandre; quels beaux vases et tout enrichis de pierreries il a rapportés de l'Asie, quels excellents ouvriers s'y rencontrent, et combien ceux de l'Europe leur sont inférieurs. Il se vante dans une autre occasion d'une lettre qu'il a reçue d'Antipater, qui apprend que lui troisième est entré dans la Macédoine. Il dit une autre fois que, bien que les magistrats lui aient permis tels transports de bois3 qu'il lui plairoit sans payer de tribut, pour éviter néanmoins l'envie du peuple, il n'a point voulu user de ce privilége. Il ajoute que, pendant une grande cherté de vivres, il a distribué aux pauvres citoyens d'Athènes jusqu'à la somme de cinq talents", et s'il parle à des gens qu'il ne connoît point, et dont il n'est pas mieux connu, il leur fait prendre des jetons, compter le nombre de ceux à qui il a fait ces largesses, et quoiqu'il monte à plus de six cents personnes, il leur donne à tous des noms convenables, et après avoir supputé les sommes particulières qu'il a données à chacun d'eux, il se trouve qu'il en résulte le double de ce qu'il pensoit, et que dix talents y sont employés. Sans compter, poursuit-il, les galères que j'ai armées à mes dépens, et les charges publiques que j'ai exercées à mes frais et sans récompense. Cet homme fastueux va chez un fameux marchand de chevaux, fait sortir de l'écurie les plus beaux et les meilleurs, fait ses offres comme s'il vouloit les acheter. De même, il visite les foires les plus célèbres, entre sous les tentes des marchands, se fait déployer une riche robe, et qui vaut jusqu'à deux talents, et il sort en querellant son valet de ce qu'il ose le suivre sans porter de l'or

1 C'étoit l'opinion commune de toute la Grèce.

2 L'un des capitaines d'Alexandre le Grand, et dont la famille régna quelque temps dans la Macédoine.

3 Parce que les pins, les sapins, les cyprès, et tout autre bois propre à construire des vaisseaux, étoient rares dans le pays attique, l'on n'en permettoit le transport en d'autres pays qu'en payant un fort gros tribut.

* Un talent attique, dont il s'agit, valoit soixante mines attiques; une mine, cent drachmes; une drachme, six oboles. Le talent attique valoit quelque six cents écus de notre monnoie.

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sur lui pour les besoins où l'on se trouve1. Enfin, s'il habite une maison dont il paie le loyer, il dit hardiment à quelqu'un qui l'ignore que c'est une maison de famille, et qu'il a héritée de son père; mais qu'il veut s'en défaire, seulement parce qu'elle est trop petite pour le grand nombre d'étrangers qu'il retire chez lui 2.

De l'orgueil.

IL faut définir l'orgueil, une passion qui fait que de tout ce qui est au monde l'on n'estime que soi. Un homme fier et su-perbe n'écoute pas celui qui l'aborde dans la place pour lui parler de quelque affaire; mais, sans s'arrêter, et se faisant suivre quelque temps, il lui dit enfin qu'on peut le voir après son souper. Si l'on a reçu de lui le moindre bienfait, il ne veut pas qu'on en perde jamais le souvenir; il le reprochera en pleine rue, à la vue de tout le monde. N'attendez pas de lui qu'en quelque endroit qu'il vous rencontre il s'approche de vous, et qu'il vous parle le premier; de même, au lieu d'expédier sur-le-champ des marchands ou des ouvriers, il ne feint point de les renvoyer au lendemain matin, et à l'heure de son lever. Vous le voyez marcher, dans les rues de la ville, la tête baissée, sans daigner parler à personne de ceux qui vont et viennent. S'il se familiarise quelquefois jusqu'à inviter ses amis à un repas, il prétexte des raisons pour ne pas se mettre à table et manger avec eux, et il charge ses principaux domestiques du soin de les régaler. Il ne lui arrive point de rendre visite à personne sans prendre la précaution d'envoyer quelqu'un des siens pour avertir qu'il va venir3. On ne le voit point chez lui lorsqu'il mange ou qu'il se parfume*. Il ne se donne pas la peine de régler lui-même des parties; mais il dit négligemment à un valet de les calculer, de les arrêter, et les passer à compte. Il ne sait point écrire dans une lettre : Je vous prie de me faire ce plaisir, ou : De me rendre ce service; mais: J'entends que cela soit ainsi ; j'envoie un homme vers vous pour recevoir une telle chose; je ne veux pas que l'affaire se passe autrement; faites ce que je vous dis promptement et sans différer. Voilà son style.

1 Coutume des anciens.

2 Par droit d'hospitalité.

3 Voyez le chap. De la flatterie.

Avec des huiles de senteur.

De la peur, ou du défaut de courage.

CETTE crainte est un mouvement de l'âme qui s'ébranle, ou qui cède en vue d'un péril vrai ou imaginaire; et l'homme timide est celui dont je vais faire la peinture. S'il lui arrive d'être sur la mer, et s'il aperçoit de loin des dunes ou des promontoires, la peur lui fait croire que c'est le débris de quelques vaisseaux qui ont fait naufrage sur cette côte; aussi tremble-t-il au moindre flot qui s'élève, et il s'informe avec soin si tous ceux qui naviguent avec lui sont initiés'; s'il vient à remarquer que le pilote fait une nouvelle manœuvre, ou semble se détourner comme pour éviter un écueil, il l'interroge, il lui demande avec inquiétude s'il ne croit pas s'être écarté de sa route, s'il tient toujours la haute mer, et si les dieux sont propices2; après cela il se met à raconter une vision qu'il a eue pendant la nuit, dont il est encore tout épouvanté et qu'il prend pour un mauvais présage. Ensuite, ses frayeurs venant à croître, il se déshabille et ôte jusqu'à sa chemise, pour pouvoir mieux se sauver à la nage; et après cette précaution, il ne laisse pas de prier les nautonniers de le mettre à terre. Que si cet homme foible, dans une expédition militaire où il s'est engagé, entend dire que les ennemis sont proches, il appelle ses compagnons de guerre, observe leur contenance sur ce bruit qui court, leur dit qu'il est sans fondement, et que les coureurs n'ont pu discerner si ce qu'ils ont découvert à la campagne sont amis ou ennemis; mais si l'on n'en peut plus douter par les clameurs que l'on entend, et s'il a vu luimême de loin le commencement du combat, et que quelques hommes aient paru tomber à ses yeux, alors, feignant que la précipitation et le tumulte lui ont fait oublier ses armes, il court les quérir dans sa tente, où il cache son épée sous le chevet de son lit, et emploie beaucoup de temps à la chercher, pendant que, d'un autre côté, son valet va, par ses ordres, savoir des nouvelles des ennemis, observe quelle route ils ont

1 Les anciens naviguoient rarement avec ceux qui passoient pour impies, et ils se faisoient initier avant de partir, c'est-à-dire instruire des mystères de quelque divinité, pour se la rendre propice dans leur voyage. Voyez le chap. De la superstition.

2 Ils consultoient les dieux par les sacrifices ou par les augures, c'est-àdire par le vol, le chant et le manger des oiseaux, et encore par les entrailles des bêtes.

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