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rieuse. Aureng-Zeb vit qu'il était temps de hâter le dénouement de cette tragédie. Pendant la nuit des assassins s'introduisirent dans la prison de Dara, qui succomba après une résistance héroïqué. Nous avons déjà dit que Dara avait cultivé la littérature avec succès; son principal ouvrage est une traduction persane des Oupanishades, livre sanscrit qui contient un résumé de la partie dogmatique des Vedas. Cette traduction persane intitulée Oupnek' hat, a été traduite en latin par Anquetil-Duperron sous le titre de Oupnek hat, id est secretum tegendum; Paris, an ix, in-4°. Ön cite encore de Dara les deux ouvrages suivants : Medjnia ál-bahreïn (Réunion des deux mers), tentative pour réunir le brahmanisme et l'islamisme; - Hadjat-Chékouh (Remède de Chékouh), espèce d'encyclopédie médicale qui fait partie des manuscrits persans de la Bibliothèque impériale de Paris.

Jonatham Scott, History of Dekkan from the first mohummudan conquests..... and the history of Bengal from the accession of Aliverdee-Khan to the year 1780. -F. Bernier, Voyages contenant la description des États du Grand-Mogol, de l'Indoustan, du royaume de Cachemire. D. Jancigny et Xavier Raymond, Inde, dans l'Univers pittoresque.

sort de l'empire mogol, est racontée par les historiens d'une manière très-confuse et avec des détails évidemment empreints de l'exagération orientale. Ils disent qu'après de longues alternatives de victoire et de défaite, les deux armées s'enfuirent en même temps, ne laissant l'une que mille cavaliers auprès de Dara, et l'autre cent seulement autour d'Aureng-Zeb. Celuici avait déjà perdu toute espérance, lorsqu'un mouvement rétrograde de l'éléphant de Dara et la malheureuse idée qu'eut ce prince de mettre pied à terre jeta le découragement parmi les troupes impériales et causa leur défaite définitive. Ce qui semble le plus probable, c'est que l'armée des princes révoltés était partagée en deux divisions. Celle qui était commandée par Murad, et qui avait à combattre Dara, fut attaquée avec tant d'impétuosité, que, malgré tout le courage de son chef, elle fut mise en désordre, lui-même blessé et en danger d'être pris. Mais son allié, après un combat acharné, avait mis en fuite les troupes qui lui étaient opposées, et alors, faisant un mouvement de flanc, il vint dégager Murad, rétablit la bataille, et remporta une victoire complète. Dara s'enfuit, et pendant que ses frères marchaient sur Delhi, lui-même se réfugia à Lahore, où il rassembla une nouvelle armée. Peu confiant dans le courage de ses soldats, il se retira au delà de l'Indus; mais la retraite dans sa position et avec des soldats comme les siens n'était pas moins désastreuse qu'une défaite réelle. Les rangs de son armée s'éclaircirent rapidement. Arrivé à Tatta, il n'avait plus autour de lui qu'une poignée de fidèles serviteurs. Repassant alors l'Indus, et traversant le grand désert, il se jeta dans la province de Gouzerate, détermina le gouverneur à embrasser sa cause, et parvint ainsi à réunir des forces nombreuses. Mais il se laissa prendre à un piége que lui tendait Aureng-Zeb; il fut vaincu de nouveau et chassé du Gouzerate. Il n'eut plus d'autre ressource que de se jeter dans le désert. La plupart de ses serviteurs y périrent. Avec les survivants il gagna Tatta. Au lieu de passer aussitôt en Perse, comme il en avait l'intention, il s'arrêta chez Dsihan-Khan, chef du voisinage, pour rendre les derniers devoirs à Nadica Bana, sa femme favorite. Djihan-Khan, qui avait deux fois été condamné à mort par Shah-Jehan, et qui deux fois avait dû la vie à l'intervention de Dara, livra cependant ce malheureux prince à AurengZeb. Voyant que son destin était inévitable, Dara se résigna noblement; pendant tout son voyage, son attitude fut aussi calme que digne, et il conserva assez de sérénité d'esprit pour composer alors un poëme sur sa lamentable histoire. Arrivé à Delhi, on lui fit traverser la ville sur un âne et couvert de haillons. Ce cruel spectacle émut la multitude, qui se répandit en imprécations contre le tyran. Le traître Djihan fut tué sur la route lorsqu'il retournait chez lui, et la capitale sembla menacée d'une insurrection sé

*DARAB. Voyez DARIUS OCHUS.

DARAN (Jacques), chirurgien français, né à Saint-Frajon, en Gascogne, le 6 mars 1701, mort à Paris, en 1784. Il s'appliqua de bonne heure à la chirurgie, et ses progrès furent tels que, jeune encore, il occupa des places importantes, dans lesquelles il se signala. Il fut chirurgien-major dans les troupes autrichiennes, séjourna en Lombardie, à Milan, et à Turin, où il avait été appelé par Victor-Amédée II, qui lui fit les offres les plus avantageuses pour qu'il se fixât dans ses États. Mais Daran ne voulait pas renoncer à sa patrie. Il continua de voyager pour son instruction. A Messine, le prince de Villefranche lui conféra, en quelque sorte malgré lui, l'emploi de chirurgien-major de son régiment. A cette époque, une peste affreuse qui se déclara dans Messine lui fournit l'occasion de mettre son talent et son humanité à l'épreuve. Il prodigua ses soins aux malheureux habitants avec un zèle infatigable. Sa sollicitude se porta particulièrement sur le consul de France et ses autres compatriotes qui se trouvaient dans la ville. Il se chargea de les arracher au fléau destructeur et de les conduire sur un vaisseau dans leur patrie. Un seul mourut dans la traversée, malgré la maladie et la famine qui s'étaient réunies pour décimer l'équipage. Son> entrée à Marseille fut un vrai triomphe, et les instances pour l'y retenir furent si vives, qu'il s'établit dans cette ville, où il se fit une réputation brillante. Sans négliger les autres parties de son art, il s'attacha surtout aux maladies de la vessie. Dans le traitement des rétrécissements de l'urètre, il propagea l'emploi des bougies, connu avant lui, mais négligé par la plupart des praticiens. Il fit quelque temps un secret de leur composition, en les présentant comme

un moyen nouveau, et acquit ainsi une grande renommée non-seulement dans le monde profane, mais même parmi les médecins. J.-J. Rousseau raconte dans ses Confessions (liv. I, ch. 8) qu'il eut recours à lui; Daran, sans le guérir, le soulagea: c'est tout ce qu'il pouvait faire pour le vice d'organisation que Jean-Jacques avait dans la vessie. Bientôt Daran fut appelé à Paris en qualité de chirurgien ordinaire du roi. Sa vogue s'étendit; de toutes parts on sollicitait ses soins; des princes étrangers même vinrent le consulter; sa maison ne désemplissait pas; des gens de toutes les classes y affluaient, et il faut remarquer, à la louange de Daran, que les pauvres étaient traités par lui avec autant d'égards que les riches; qu'il leur donnait gratuitement les remèdes dont ils avaient besoin et souvent même de l'argent. On portait si haut l'estime pour ses travaux et ses talents, qu'en 1755 le roi lui conféra des titres de noblesse. Un tel succès ne pouvait manquer de faire sa fortune : on prétend qu'en peu d'années il avait gagné plus de deux millions; mais son extrême facilité, sa confiance aveugle l'ayant engagé dans différentes entreprises, il perdit le fruit de ses travaux, et mourut dans un état voisin de la détresse. On a de lui les ouvrages suivants : Observations chirurgicales sur les maladies de l'urètre; Avignon, 1745, in-12 (réimprimées en 1748, 1751, 1758, 1766); Réponse à la brochure de M. Bayer intitulée: Lettre pour la défense et la conservation des parties les plus essentielles de l'homme; 1750, in-12; - Traité complet de la gonorrhée virulente; 1756, in-12; - Lettre pour servir de réponse à l'article du Traité des Tumeurs; 1759, in-4°; Composition du remède de M. Daran pour la guérison des difficultés d'uriner; 1779, in-12.

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GUYOT DE FÈRE.

Desessarts, Les Siècles littéraires. Biographic medicule.

* DARARI, fondateur de la secte hérétique des Dararyah (Darariens), était d'origine persane, et vivait vers l'an 1000. Il vint en Égypte sous le règne d'Hakem, et commença à prêcher des doctrines contraires à l'islamisme. Le prince l'écouta avec faveur; mais le peuple, indigné, tua le sectaire. Il eut pour successeur Hamzeh-benAhmed, qui prit le titre de Al-Hady, le directeur. Ces sectaires proscrivaient différents dogmes, différentes pratiques du mahométisme, entre autres la solennité du vendredi, les fêtes du grand et du petit Beyram et même le pèlerinage de La Mekke, qu'ils remplaçaient par celui du temple de Thalab, dans l'Yémen. Ils permettaient le mariage entre les frères et les sœurs, les pères et leurs filles, les mères et leurs fils, et admettaient des principes entièrement opposés à ceux du Koran. Malgré l'appui éclatant que Hakem (voyez ce nom) accorda aux nouveaux sectaires, ceux-ci ne purent pas jeter des racines profondes en Égypte, et après la mort de ce prince ils se

retirèrent dans les montagnes du Liban, où leurs descendants vivent encore aujourd'hui sous le nom de Druses.

D'Herbelot, Bibliothèque orientale. -J. de Sacy, Chrestomathie arabe, t. II.

*DARBEFEUILLE (Jean-Baptiste - Augustin), médecin français, né à Nantes, le 27 août 1756, mort le 17 novembre 1831. Il fut longtemps attaché à l'hôpital de Nantes, et a publié Notice sur les Pansements; Nantes, 1821, br. in-8°; - Programme d'un Cours de Physique chimique appliquée à l'étude de l'anatomie physiologique, Nantes, 18231826, br. in-8°; Un petit Mot sur quelques formules pharmaceutiques, à messieurs les élèves de l'hôpital civil et militaire; Nantes, in-8°; - Réflexions sur la cause ordinaire des incendies, la possibilité de les prévenir et les procédés les plus rationnels pour en arrêter les progrès; Nantes, Mellinet-Malassis, 1826, br. in-8°. P. LEVOT.

Annales de la Société académique de Nantes, t. II, p. 419-429, et t. III, p. 64-67.

DARC ou D'ARC (Jeanne) (1), dite la Pucelle d'Orléans, née le 6 janvier 1412, morte le 31 mai 1431. Elle était fille de Jacques Darc et d'Isabelle Romée, native de Vouton. Jacques Darc, selon Charles du Lis, un de ses descendants, était né à Ceffonds (Haute-Marne), « d'une riche et ancienne famille dudit lieu ». Un drapier de Troyes, mort en 1375, s'appelait J. Darc ce nom patronymique a subsisté et subsiste encore dans le département de l'Aube et ailleurs. Jeanne vit le jour à Domremy, village ou hameau situé sur la Meuse, aujourd'hui canton de Coussey, arrondissement d'Épinal, Vosges. Domremy formait de ce côté l'extrême limite de la Champagne par rapport à la Lorraine. Ce village était même mi-parti. Ainsi le lieu, la chaumière où naquit la Pucelle, relevaient directement du roi de France, et faisaient partie de la prévôté d'Andelot, bailliage de Chaumont en Bassigny, tandis qu'à deux pas de là d'autres habitants et d'autres chaumières étaient d'une autre juridiction. Ces particularités ne sont pas sans intérêt pour expliquer l'attachement passionné que la jeune fille suça, en quelque sorte, avec le lait pour la cause royale.

Jacques Darc exerçait la profession de laboureur. Il possédait une maisonnette avec un jardin et quelque bétail. Mais, chargé de cinq en fants, trois fils et deux filles, et par ce temps de calamités les documents authentiques nous le montrent dans un état voisin de l'indigence. La famille n'était point de condition franche: elle partageait l'état des populations serves de cette contrée, qui avait pour seigneur Jean de Bourlemont, gentilhomme français. La jeune fille reçut au baptême le nom de Jeanne, et fut appelée

(1) DARC est la véritable orthographe de ce nom. Voyez Nouvelles Recherches sur la Famille et le nom de Jeanne Darc, etc.; Paris, Dumoulin, 1854, in-8°.

Jehannette jusqu'au moment où elle quitta son village natal. Tout enfant, elle apprit de sa mère le Pater, l'Ave, le Credo, à coudre et à filer. Elle gardait aussi, à tour de rôle, les bestiaux de son père et ceux de la commune. Le reste du temps elle s'occupait aux travaux du ménage. La chaumière paternelle était située près de l'église. A peu de distance, on voyait de là, sur le coteau, la fontaine des Groseilliers, ombragée d'un hêtre séculaire, qui portait le nom de l'Arbre aux Fées. Plus loin, en montant, s'étendait le Bois Chesnu, ou des Chênes. Jeanne était réfléchie; elle aimait la solitude, et tenait parfois ses yeux fixément attachés au ciel. Elle était trèspieuse et d'une foi fervente.

Cette extrémité du pays échappa longtemps à la guerre. Toutefois après la bataille de Verneuil, au mois de septembre 1424, le Barrois fut envahi et désolé par des forces anglo-picardes. Domremy, qui relevait militairement de la châtellenie de Vaucouleurs, résista constamment à ces irruptions, et demeura français. Mais, pressé en quelque sorte entre la Champagne, subjuguée par les Anglais, et la Comté bourguignonne, il subit le choc immédiat des hostilités. Domremy était armagnac ou français; tandis que Maxey, village voisin, était bourguignon. Dans les rixes fréquentes que se livraient les deux communes, Jeanne vit souvent avec larmes revenir sanglants et meurtris les jeunes garçons de sa paroisse. De 1424 à 1428, diverses alertes, éclatant tout à coup, signalèrent l'arrivée des gens d'armes ennemis. Les habitants se réfugièrent alors tantôt au château de l'ile comprise, devant le village, entre deux bras de la Meuse, et tantôt à celui de Neuf-Château. Ils trouvèrent au retour leurs demeures dévastées par le pillage et l'incendie. De telles circonstances exaltèrent l'âme tendre et rêveuse de la jeune fille. Son enthousiasme, attisé des ardeurs de la foi, s'enflamma pour la cause de sa patrie. Elle conçut le dessein héroïque de faire d'elle-même à la fois la victime propitiatoire et l'instrument actif de la justice divine. A l'âge de treize ans, pendant l'été de 1425, se trouvant au jardin de son père, elle entendit une voix qui l'appelait, à droite, du côté de l'église; le bruit de cette voix était accompagné d'une grande clarté. Elle reconnut bientôt cette voix pour celle d'un ange, qui lui prescrivait d'être bonne, pieuse et d'aller en France pour délivrer le royaume. Sainte Catherine, sainte Marguerite et saint Michel lui apparurent ensuite, lui parlant distinctement et lui promettant leur aide. Ces apparitions se renouvelèrent de plus en plus nettes et fréquentes, et fascinèrent son esprit. Dès ce moment elle devint songeuse, concentrée, absorbée dans son unique préoccupation. Elle déclara plus tard qu'alors elle ne pouvait plus durer, et que le temps lui pesait comme à une femme enceinte. Son père, qui l'adorait, accueillit ces ouvertures, d'abord timides, avec une inquiétude qu'il finit par

exprimer sur le ton de l'autorité, puis de la colère. Il réva la nuit que sa fille partait en France avec les gens d'armes du roi. Dès lors il retint Jeanne sous une étroite discipline, et dit à ses fils: « Si je savois que votre sœur partist, je voudrois que la noyessiez; et si vous ne le faisiez, je la noyerois moy-mesme. » Jeanne se soumit à tout pour temporiser; mais elle tenta de se concilier l'intervention de son oncle, nommé Laxart, qui habitait un village voisin. La femme de ce dernier était en couches : Jeanne se fit demander, et obtint le consentement de ses parents pour se rendre auprès de sa tante et l'assister. Arrivée là, elle sut persuader à Laxart d'aller annoncer à Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, qu'elle voulait aller porter secours à Charles VII. Baudricourt répondit à cet avis qu'il fallait donner à Jeanne de bons soufflets, et la ramener chez ses parents. Ces derniers voulurent aussi, vis-à-vis de leur fille, déjouer par un stratagème le dessein qu'elle avait formé. Un jeune homme recherchait Jeanne en mariage. D'intelligence avec la famille de celle-ci, ce jeune homme cita par-devant l'official de Toul sa fiancée ou prétendue telle, affirmant qu'il avait d'elle promesse de mariage et la sommant de l'accomplir. Mais Jeanne avait dévoué à la mission qui l'appelait sa virginité comme sa vie. Elle comparut, fit connaître qu'elle n'avait rien promis, plaida son procès, et le gagna. Deux fois elle s'échappa de nouveau, se fit conduire à Vaucouleurs auprès du capitaine, et le fatigua vainement de ses interpellations.

Cependant la force surnaturelle que portait en elle la sublime enfant se communiquait peu à peu au dehors. De vagues prophéties couraient parmi le peuple, qui leur donnait de jour en jour un sens plus précis. Depuis plusieurs années déjà, Robert Blondel (1), gentilhomme normand, proscrit pour la cause nationale, dans un poëme brûlant de patriotisme, adressé à Charles VII, faisait luire aux yeux de ses contemporains consternés la victoire comme prix final de tant de sang, de tant de larmes, et leur montrait l'ange protecteur de la France sous les traits d'une vierge pudique et tutélaire. Des pronostics accrédités sous le nom merveilleux de Merlin annonçaient que des marches de Lorraine, proche du Bois Chesnu, sortirait une jeune fille qui foulerait aux pieds les archers bretons et délivrerait la France. On a vu que Domremy avait son Bois Chesnu. Jeanne elle-même répétait tout haut << qu'une femme (Isabeau de Bavière) avait perdu le royaume, qu'une fille le sauverait». L'invasion du village natal, suivie de l'émigration à Neufchâteau (juin, juillet 1428); plus tard, la nouvelle de la situation des affaires et du siége d'Orléans mirent le comble à son exaltation. Au carême de 1429, elle retourna une troisième fois à Vaucouleurs, au risque de laisser son père et

(1) Voy. ce nom.

sa mère consternés de son départ clandestin. Elle vint trouver Baudricourt, et lui dit qu'il fallait absolument qu'elle partit pour faire lever le siége d'Orléans, et qu'elle irait, dussé-je, ajoutait-elle, user mes jambes jusqu'aux genoux ! » Avant de s'éloigner définitivement, elle se rendit à Nancy en passant par Saint-Nicolas, lieu de pèlerinage, où elle fit ardemment ses dévotions. Le duc de Lorraine l'avait mandée, et lui avait envoyé, dit-on, un cheval et un sauf-conduit. Malade et troublé dans sa conscience (1), il voulut la voir, et lui recommanda l'état de sa santé, mortellement atteinte. La Pucelle, sur cet article, lui conseilla de reprendre son épouse légitime, ajoutant qu'elle, Jeanne, n'avait pas la puissance de le guérir. Elle l'exhorta du reste à l'aider dans l'entreprise qu'elle avait formée. Le duc lui fit remettre quatre francs d'or, et Jeanne revint à Vaucouleurs. Cependant le capitaine, vaincu par l'ascendant de la jeune inspirée, ou peut-être obéissant à une réponse de la cour, avait fini par céder à ses instances. Elle était venue avec ses pauvres habits rouges de son village. Jean de Novelonpont, officier pour le service du roi à Vaucouleurs, lorsque la Pucelle le requérait de la conduire, lui demanda si elle entendait se mettre aux champs dans cet équipage. Jeanne répondit que volontiers elle s'habillerait en homme. Là-dessus Jean de Novelonpont la vêtit et la chaussa des dépouilles d'un de ses valets.

Quelques jours après, les habitants de Vaucouleurs, suivant l'exemple donné par le capitaine, se cotisèrent pour l'habiller de neuf et en homme. On lui fournit aussi un cheval, une épée, une dague, un hanbert, une lance; en un mot l'équipement complet du cavalier militaire. Elle partit ainsi, escortée de Jean de Novelonpont, dit de Metz, chevalier; de Bertrand de Poulengy, écuyer; de deux sergents d'armes ou coustiliers, au service de ces militaires; de Colet de Vienne, messager royal, et d'un archer, nommé Richard. Baudricourt leur fit jurer de bien et sûrement la conduire; sa foi cependant n'était pas bien vive, car, au moment où s'éloignait l'héroïne, il la salua, pour tout adieu, de ces paroles « Va donc, Jeanne, et advienne que pourra! »

Le petit cortége quitta Vaucouleurs vers le 25 février 1429. Pour arriver jusqu'au roi, qui résidait alors au château de Chinon, il fallait traverser un espace d'environ cent-vingt lieues, y compris les détours, sur un territoire coupé de rivières, semé de garnisons, et la moitié en pays ennemi. Jean de Novelonpont, chef de l'escorte, ainsi que ses compagnons, étaient des jeunes gens. Jeanne venait d'atteindre sa dixseptième année. Brune, assez grande, forte, bien prise, la voix un peu grêle, très-féminine

(1) Le duc Charles délaissant Marguerite de Bavière, son épouse, lui avait substitué une concubine nommée Alison du Mai,

et d'une grande douceur, Jeanne avait reçu de la nature tous les attraits propres à séduire. Mais de véritables priviléges physiques, et surtout une force inouïe de pudique volonté la protégérent contre ce péril. Habituellement la nuit elle partageait la couche de quelque prude (respec table) femme de la localité. En cas de bivouac, ou lorsqu'elle se désarmait au milieu de ses compagnons de guerre, ce qui lui arrivait rarement, elle dormait ou demeurait toute vêtue de ses habits d'homme, les chausses et le gippon (1) étroitement liés « à foison d'aiguillettes ». D'ailleurs, le sentiment qu'elle inspirait tout d'abord était celui d'un profond respect sa puissance, insinuante, était irrésistible. Jeanne, bien que conduite par ces hommes, n'en prit pas moins dès le principe l'autorité réelle, comme l'initiative de l'expédition. La petite troupe se dirigea par Saint-Urbain, abbaye où elle passa la première nuit. Puis elle se remit en marche, presque sans débrider, évitant les grands chemins, s'avançant le moins en vue possible, et de préférence après le jour. La Pucelle, ayant traversé Auxerre, gagna Gien, et là toucha le premier poste français; puis, côtoyant la Loire, elle se rendit à Sainte-Catherine de Fierbois, en Touraine, où elle entendit trois messes consécutives. Enfin, le 6 mars le cortége, sain et sauf, mit pied à terre sous les murs de la résidence royale à Chinon : le trajet avait été franchi en onze jours.

Le conseil mit en délibération, et le roi balança pendant deux jours, si on ne la renverrait pas sans lui donner audience. Elle fut admise le troisième. C'était dans l'après-midi, par les jours bas

on venait d'allumer les torches de cire. Il y avait au château de nombreux assistants. Jeanne fut introduite, par le comte de Vendôme, grand-maître de l'hôtel et grand-chambellan de France. Le roi, pour l'éprouver, s'effaça de manière à ce que d'autres seigneurs, plus richement vêtus que lui, pussent donner le change à la nouvelle venue. Mais Jeanne, sans se méprendre ni se troubler, arriva droit à lui, se prosternant à ses pieds et l'abordant avec les salutations usitées en pareille occurrence. Aux premières questions, elle répondit : « Gentil daulphin, j'ay nom Jeanne la Pucelle; le roy des cieux vous mande, par moy, que vous serez sacré et couronné dans la ville de Reims; et serez lieutenant du roi des cieux, qui est roy de France.» Bientôt Charles VII, s'écartant de nouveau, emmena Jeanne à part, et tous deux s'entretinrent ainsi quelques instants. Le jour de la Toussaint de l'année avant la venue de la Pucelle, c'est-à-dire le 1er novembre 1428, un mois après le siége posé devant Orléans, le roi se trouvait au château de Loches, dans son oratoire : il fit mentalement cette prière, que s'il n'était pas l'héritier légitime de la couronne, la pitié divine

(1) Sortes de pantalon et de gilet.

lut accordât du moins une retraite auprès de ses alliés, les rois d'Écosse ou d'Espagne, en le sauvant de mort ou de prison. - Jeanne, d'après divers témoignages, dans son entretien secret avec le roi, relata expressément ces intimes particularités.

Cependant la méfiance du roi l'emporta derechef. Jeanne fut soumise à de nouvelles épreuves, sous la forme de longues et minutieuses enquêtes. Charles VII, non content de l'avoir fait questionner pendant plusieurs jours par les gens de son conseil et par des docteurs de facultés diverses, dont il fut toujours entouré, voulut qu'on la conduisit à Poitiers. C'est là qu'avaient été transférés de Paris l'université royale et d'autres grands corps de l'État. La conclusion de cet examen fut que les docteurs n'avaient trouvé dans le fait de Jeanne aucun mal. Il fallut encore que la jeune fille subit une dernière inquisition personnelle et physique, dont l'idée seule révolte aujourd'hui l'esprit et le sens moral. C'était l'opinion du temps que le diable, ou le génie du mal, ne pouvait avoir de prise sur une vierge. Trois semaines ou un mois furent consumés par ces préliminaires, qui irritaient l'impatience de l'héroïne. Enfin, Charles VII se résolut à ordonner que la Pucelle reçût un état ou commandement militaire avec un service attaché à sa personne; préparatifs qui entraînèrent de nouveaux retards. Cet état se composait d'un écuyer, homme considérable, nommé Jean d'Aulon; de deux pages, deux valets, deux hérauts d'armes, un maître d'hôtel et un aumônier. Jeanne se rendit à Tours, où elle fut armée à blanc, c'est-à-dire d'une armure de guerre métallique. Sur la révélation de ses voix, elle envoya chercher une épée marquée de cinq croix, qui était enterrée derrière l'autel, dans l'église de Sainte-Catherine de Fierbois, et qui lui fut en effet apportée. Elle eut aussi une lance et une petite hache de main, qui pendait à la ceinture de sa cuirasse. De plus, Jeanne fit exécuter par Huvé Poulvoir, peintre de Tours', un étendard pour son usage personnel. Cet étendard présentait sur un champ semé de fleurs de lis l'image de Dieu le Père assisté de deux anges et tenant en ses mains le globe du monde.

La Pucelle se rendit ainsi à Blois, où elle se mit en campagne le 25 avril 1429. C'est de là qu'elle partit pour faire lever le siége d'Orléans.

On sait l'immense intérêt qui s'attachait à cette entreprise, par laquelle l'héroïne allait inaugurer sa merveilleuse carrière. Les Anglais, maîtres de la capitale et de toute la France septentrionale, avaient jusque là ménagé les États du duc Charles d'Orléans, prisonnier à Londres depuis la journée d'Azincourt, et dont le caractère doux, le commerce poétique et poli avaient su lui conquérir les bonnes grâces de ses vainqueurs. Orléans était le cœur de la France et la clef de la Loire. Cette barrière franchie, les provinces pau

vres du midi ne pouvaient offrir à l'ennemi qu'une faible résistance, et la perte finale de Charles VII devenait imminente. Les Anglais poussèrent le 7 octobre 1428 une reconnaissance armée jusque sous les murs de cette ville, dont ils formèrent le siége le 12 du même mois. La population tout entière d'Orléans, sans acception de classes, ni même d'âge et de sexe, soldats, écoliers, bourgeois, femmes, vieillards, enfants, rivalisèrent de zèle, d'intelligence et de courage. Le patriotisme, l'intrépidité de ces habitants, suprêmes défenseurs d'une nationalité qui semblait près de périr, furent à la hauteur, de cette lutte grandiose, et méritent une place d'honneur dans l'histoire. Cependant ces nobles efforts, luttant vainement contre la force et le destin, paraissaient devoir succomber. Près de six mois se passèrent en escarmouches et en succès opiniâtrément disputés des deux parts. Le 12 février 1429 eut lieu la journée dite des Harengs. Ils s'agissait pour les Orléanais de faire une sortie par le nord pour arrêter un convoi de vivres de carême, qui, expédié de Paris, arrivait aux assiégeants. La rencontre eut lieu entre Angerville et Rouvray-Saint-Denis. Les Anglais n'avaient que deux mille cinq cents hommes, mais commandés par l'un des premiers capitaines de son temps, sir John Falstaf. Les Français comptaient de leur côté près de cinq mille combattants. Mais trois mille d'entre eux, par une circonstance fatale, ne furent d'aucun secours dans le combat. La funeste indiscipline et la pétulance des Français causèrent dans cette occasion un désastre comparable, eu égard aux conséquences de l'action et par l'analogie des circonstances, aux défaites de Poitiers et d'Azincourt. Les Anglais demeurèrent vainqueurs, et tout ce qui combattit dans les rangs opposés tomba en leur pouvoir ou fut tué sur le champ de bataille. Cet échec fit naître le découragement dans l'âme des Orléanais. Ils envoyèrent alors une ambassade au duc de Bourgogne, pour invoquer sa protection et même reconnaître au besoin son autorité. Le duc fit attendre pendant un grand mois sa réponse, qui du reste était favorable, et les parlementaires de la ville ne purent retourner à Orléans que le 17 avril 1429. Mais au moment où ils rapportaient les paroles bienveillantes du duc et venaient ainsi rendre le courage à leurs compatriotes, une impression bien autrement puissante avait ranimé la force et l'espoir dans le cœur des Orléanais. La Pucelle se dirigeait vers la ville assiégée, où le bruit de sa venue prochaine l'avait précédée. Le 29 avril 1429 était le jour convenu de son arrivée. Jeanne écrivit d'abord une lettre aux Anglais, dans laquelle, au nom de Dieu, elle les sommait de renoncer à une guerre injuste et de retourner immédiatement en Angleterre. Son plan était ensuite de se présenter à l'ennemi, en plein jour, par le chemin le plus direct, et sur le point où les Anglais avaient réuni le plus de forces, pour leur montrer, sans plus de délai, la supériorité de cette puissance

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