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vivre, à l'âge de cinquante-trois ans dix mois.

La reine Christine pleura sincèrement celui qu'elle aimait à appeler son illustre maître (i); elle voulait le faire déposer dans la sépulture des rois de Suède; mais Chanut, exécutant sans doute les dernières volontés du défunt, le fit inhumer sans pompe dans le cimetière de l'hôpital des Orphelins, où l'on enterrait les étrangers catholiques. Quelques années après, ses cendres furent transportées en France et solennellement déposées dans l'église Saint-Étienne du Mont à Paris. En 1793, la Convention, sur la proposition de Jos. Chénier, décréta la translation des cendres de Descartes au Panthéon. En 1800 elles furent portées au Musée des Monuments français, dans l'ancien couvent des Petits-Augustins; enfin, lors de la fermeture de cet établissement, elles furem déposées, le 26 février 1819, dans l'église de Saint-Germain-des-Prés, où on les voit encore avec l'inscription latine de Chanut. D'après le portrait tracé par son disciple et biographe, Baillet, Descartes avait la taille petite, mais bien prise, la tête grosse, le front large et couvert de cheveux noirs jusqu'aux sourcils (2), la lèvre inférieure un peu proéminante. Sa barbe, peu garnie, commença à blanchir vers quarantetrois ans. A la même époque il commença à faire usage de la perruque: on lui en trouva quatre à sa mort. Il se servait de la perruque comme d'un préservatif contre les rhumes et autres maux de tête. La sobriété lui était naturelle; il buvait très-peu de vin, et se contentait d'un repas frugal; il préférait les légumes aux viandes, comme plus faciles à digérer, et aimait particulièrement l'omelette frite avec des œufs couvés depuis huit ou dix jours. Il restait longtemps au lit, et dormait beaucoup en toute saison et en tout lieu. A son réveil, il méditait couché, et ne se relevait qu'à demi-corps par intervalles pour écrire ses pensées. Lorsque ses amis lui parlaient des honneurs et des richesses qu'on pouvait se procurer par le moyen de l'esprit et du savoir, il leur disait que pour ce qui le regardait en particulier,« son genre d'étude n'était propre qu'à faire des gueux et à s'attirer des ennemis ; et que pour travailler à sa fortune il fallait écrire et parler selon les préjugés du vulgaire, et non pas entreprendre de les combattre (3) ».

Descartes ne s'était jamais marié ; mais il eut d'une dame hollandaise une fille naturelle, appelée Francine (née à Deventer, le 9 juillet 1635); il songeait à la faire élever avec soin en France sous la direction de madame du Tronchet, lorsqu'elle mourut de la scarlatine, à l'âge de cinq

(1) On sait que douze ans plus tard la reine Christine abjura à Rome le protestantisme. Dans un certificat signé de sa main, et portant la date de 1666, elle reconnait que Descartes a beaucoup contribué à sa glorieuse conver sion. Baillet, t. II, p. 433.

(2) Cette mode de porter les cheveux aplatis sur le front se voit encore aujourd'hui chez les paysans basbretons.

(3) Baillet, t. II, p. 466.

ans; il la pleura avec tendresse, et répéta à ses amis que la perte de cette enfant lui avait causé le plus grand regret qu'il eût jamais senti de sa vie (1). L'ambassadeur français à Stockolm fit l'inventaire des papiers de Descartes, et les envoya en France à Clerselier, son beau-frère. Le bateau qui les apportait de Rouen chavira près du port de l'École à Paris (dans le voisinage du Louvre): ces papiers, enfermés dans une caisse, restèrent trois jours au fond de l'eau, au bout desquels on les retrouva à quelque distance de l'endroit où le bateau avait péri. Pour les faire sécher, on les étendit dans des chambres aérées, et ce travail, confié à des domestiques, ne put se faire sans beaucoup de désordre. Ce désordre est surtout sensible dans les Lettres, qui furent publiées par Clerselier, Paris, 1657-1667, 3 vol. in-4°; nouv. édit., 1724, 6 vol. in-12.

Ouvrages de Descartes. Ils ont été pour la première fois recueillis et publiés en latin à Amsterdam, 1670-83,8 vol. in-4°; édités en 1692-1701 et 1713, 9 vol. in-4°, et à Paris, 1724-29, 13 vol. in-12. M. Cousin en a donné une nouvelle édition; Paris (Levrault), 1824-26, 11 vol. in-8°. Un choix des œuvres de Descartes par M. Jules Simon a paru en 1843, Paris (Charpentier), et un autre (Euvres morale et philosophiques), par Aimé Martin, réimprimé en 1855, Paris (Firmin Didot). Voici une analyse succincte des écrits les plus connus et le plus souvent réimprimés de Descartes.

Essais de Philosophie ou Discours de la Méthode. Les quatre traités qui composent ces Essais parurent pour la première fois à Leyde, 1637, in-8°, mais sous un autre titre que celui que l'auteur avait envoyé au Père Marsenne pour l'édition qu'on en voulait faire à Paris. Ils furent publiés sous le titre définitif de Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison et rechercher la vérité dans les sciences. Plus, la Dioptrique, les Métérores et la Géométrie, qui sont des essais de cette méthode; in-4°. L'abbé de Courcelles en fit une traduction latine, revue par Descartes; Amsterdam, 1644, in-4°. Le dessein de Descartes n'était pas d'y enseigner toute la méthode, mais « de n'en proposer que ce qu'il estimoit suffisant pour faire juger que les nouvelles opinions qui se verroient dans la Dioptrique et dans les Météores n'étoient point conçues à la légère et qu'elles valoient peut-être la peine d'être examinées (2) ». Le célèbre Discours de la Méthode, qui renferme la logique du cartésianisme, commence par des considérations générales sur les sciences. L'auteur établit ensuite les principales règles qu'il avait cherchées pour son usage dans la conduite de sa raison. Ces règles sont : « 1o de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connoisse évidemment être telle: c'est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne (1) Baillet, t. II, p. 89-90.

(2) Lettres de Descartes, t. I, p. 514.

comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenteroit si clairement et si distinctement à mon esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute; 2o de diviser chacune des difficultés que j'examinerois en autant de parcelles qu'il se pourroit, et qu'il seroit réquis pour les mieux résoudre; 3o de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connoître, pour monter peu à peu,comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne procèdent point naturellement les uns des autres; 4o de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre. >>

C'est peut-être moins le philosophe que le géomètre qui se révèle dans ces règles de conduite appliquées à la recherche de la vérité. L'auteur établit ensuite quelques maximes de morale, qu'il a déduites de sa méthode. Puis, par une série d'arguments puisés à la même source, il s'attache à prouver l'existence de Dieu et de l'âme humaine, qui sont le fondement de la métaphysique. De là il arrive à traiter successivement diverses questions de physique et de physiologie, et essaye de faire ressortir la différence qui existe entre l'âme de l'homme et celle des bêtes. Enfin, il donne quelques indications qu'il croit nécessaires pour aller plus avant dans la recherche de la nature, et il finit en déclarant que toutes ses vues ne tendent qu'à l'utilité du prochain, mais qu'il est « très-éloigné de vouloir jamais s'appliquer à ce qui ne peut être utile aux uns qu'en nuisant aux autres, ne demandant pour toute reconnaissance à ceux qui doivent profiter de ses recherches, que la liberté de jouir de son loisir sans trouble ».

L'apparition du Discours de la Méthode fut un événement. Ce discours a été considéré avec raison comme la logique de la philosophie de Descartes; et les traités qui suivent en sont comme la pierre de touche.

La Dioptrique est le premier essai de la méthode. L'auteur l'a partagée en dix parties, qui sont autant de discours sur la lumière, sur la réfraction, sur l'œil et les sens, sur les images qui se forment au fond de l'œil, sur la vision, sur les lunettes et la taille des verres. Son but était de montrer que par le moyen de sa philosophie on peut facilement arriver à la connaissance des arts qui sont utiles à la vie. C'est dans ce traité que Descartes se sert de ses ovales pour la résolution d'un curieux et difficile problème optique. Ce problème consiste à déterminer quelle forme doit avoir la surface qui sépare deux milieux de différente densité, pour que tous les rayons qui partent d'un même point soient renvoyés par la réfraction dans un autre ou rendus parallèles ou divergents comme s'ils venaient d'un point donné. La solution qu'en donne Descartes est complète : elle va jusqu'à comprendre

les cas où la réfraction se change en réflexion. C'est dans le traité d'Optique que Descartes indique, entre autres, le rapport constant qui existe pour le même milieu entre le sinus de l'angle d'incidence et le sinus de l'angle de réfraction. Ce rapport se trouve déjà nettement indiqué dans l'Optica de Kepler, publié en 1604, et bien avant cet homme illustre dans un traité d'Optique de Ptolémée, encore inédit (La Bi bliothèque impériale en possède en manuscrit une traduction latine). Ce n'est donc pas à Descartes que revient, comme on l'a soutenu, l'honneur de cette découverte.

Les Météores forment le second essai de la méthode. Le traité est, comme le précédent, divisé en dix parties ou chapitres. L'auteur y parle des corps terrestres, des vapeurs et exhalaisons, du sel, des vents, des nues, de la pluie, de la neige et de la grêle; des tempêtes, de la foudre, de l'arc-en-ciel, de la couleur des nuages, des cercles ou couronnes qui paraissent quelquefois autour des astres; des parhélies ou apparitions de plusieurs soleils. Ce traité des Météores fut composé à l'occasion des parhélies observées à Rome au mois de mars 1629. L'auteur y donne le premier une explication rationnelle du phénomène de l'arc-en-ciel.

La Géométrie, en trois livres, forme le dernier des trois essais de la méthode de Descartes. L'auteur mit peu de temps à le composer : il l'écrivit, comme il le dit lui-même dans une lettre au P. Mersenne, pendant qu'on imprimait ses Météores. Il s'y proposa de faire comprendre par voie de démonstration qu'il a trouvé beaucoup de choses qui étaient ignorées avant lui; et en insinuant qu'on pouvait en découvrir beaucoup d'autres, il excitait implicitement les hommes à la recherche de la vérité. On lui reprochait, comme à Aristote, d'avoir été obscur à dessein. En effet Descartes lui-même ne cherche pas à s'en excuser : « J'ai omis dans ma Géométrie, dit-il, beaucoup de choses qui pouvoient y être ajoutées pour la facilité de la pratique. Toutefois, je puis assurer que je n'ay rien omis qu'à dessein, excepté le cas de l'asymptote, que j'ay oublié. Mais j'avois prévu que certaines gens qui se vantent de sçavoir tout n'auroient pas manqué de dire que je n'avois rien écrit qu'ils n'eussent sçu auparavant, si je me fusse rendu assez intelligible pour eux (1). » Dans une autre lettre, il ajoute : « J'ai tâché, par La Dioptrique et par Les Météores, de persuader que ma méthode est meilleure que la méthode ordinaire; mais je prétends l'avoir démontré par ma Géométrie. » Ce traité parut, comme les autres essais, d'abord en français; l'auteur se servit de cette langue plutôt que du latin, « parce que ceux, disait-il, qui ne se servent que de leur raison naturelle toute pure jugeront mieux de mes opinions que ceux qui ne croient qu'aux livres anciens ».

(1) Lettre, t. III. p. 400.

Descartes imagina le premier d'appliquer l'algèbre à la géométrie des courbes; et c'est là devant la postérité son plus grand titre de gloire. Il fit ressortir toute l'importance de l'expression algébrique, qui désigne la relation toujours semblable entre chaque ordonnée de la courbe et son abscisse. Jusqu'à Descartes, on avait rangé dans la même catégorie toutes les courbes qu'on ne pouvait pas décrire d'un mouvement continu par la règle et le compas, et on les appelait mécaniques. Il redressa, dans sa Géométrie, cette erreur de l'antiquité, en faisant une distinction plus juste entre les courbes géométriques et les autres mécaniques (1). Les ovales de Descartes sont un des produits les plus remarquables de son génie Inathématique ; ce sont des courbes décrites à l'imitation de l'ellipse et de l'hyperbole rapportées à leurs foyers. Mais de toutes ses découvertes analytiques, celle qui lui fit le plus de plaisir et qui est en effet d'une haute importance, c'est une règle générale pour la détermination des tangentes des courbes. « De tous les problèmes, dit-il, que je connois en géométrie, il n'en est aucun qui soit plus général et plus utile, et c'est de tous celui dont j'ai davantage désiré la solution. » Vers la même époque, Fermat s'occupa du même genre de problème, et l'énonça dans son traité De Maximis et Minimis. La querelle qui s'éleva à cette occasion entre les deux grands géomètres fit dire depuis que si Descartes eût manqué à l'esprit humain, Fermat l'eût remplacé en géométrie.

de là le fameux axiome de cogito, ergo sum, qui lui sert à distinguer les choses qui relèvent de l'esprit de celles qui appartiennent au corps. Et pour suivre l'ordre des géomètres, il essaye d'abord de donner une idée bien nette de la nature de l'esprit humain, distincte de celle du corps.

Dans la troisième Méditation, il explique assez au long son principal argument pour prouver l'existence de Dieu. Il la déduit de l'idée d'un être infini et souverainement parfait. Dans la quatrième Méditation, il montre que toutes les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies. Il explique comment par la nature de l'erreur il n'entend point le péché qui se commet dans la poursuite du bien et du mal, mais seulement l'erreur qui se trouve dans le discernement du vrai et du faux. Ainsi, l'auteur a soin d'avertir qu'il ne faut point appliquer ses raisonnements à la foi ou à la conduite de la vie, mais seulement à celles qui regardent les vérités spéculatives, et qui peuvent être connues à l'aide de la seule lumière naturelle. Cette distinction sauva le philosophe des foudres de l'Église. - Dans la cinquième Méditation, il explique la nature corporelle, et revient sur l'existence de Dieu par un nouvel argument, dont la difficulté se trouve levée dans ses réponses aux premières objections. Il essaye d'y faire voir comment la certitude même des démonstrations géométriques dépend de la connaissance de Dieu.

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Dans la sixième et dernière Méditation, il distingue l'action de l'entendement de celle de l'imagination, et en indique les caractères essentiels. Il montre que si l'âme est distincte du corps, elle lui est néanmoins si étroitement unie qu'elle ne forme avec lui qu'une même chose (unum quid). Il expose ensuite les erreurs qui proviennent des sens, avec les moyens de les éviter; enfin, il examine les raisons desquelles on peut conclure l'existence des choses matérielles, non pas qu'il jugeât ces raisons fort utiles pour prouver ce qu'aucun des sens n'a jamais nié, savoir qu'il y a un monde, que les hommes ont un corps, etc., mais parce qu'en les considérant de près on arrive à se convaincre qu'elles sont moins évidentes que celles qui nous conduisent à la connaissance de Dieu et de notre âme : celles-ci sont les plus certaines de toutes les connaissances de l'esprit humain.

Si le Discours de la Méthode est la logique du système philosophique de Descartes, les Méditations en sont pour ainsi dire la dialectique. Elles parurent d'abord en latin, sous le titre: Meditationes de prima philosophia, ubi de Dei existentia et animæ immortalitate, etc.; Paris (Michel Joly), 1641, in-8°. En 1647, le duc de Luynes en donna une traduction française, revue et corrigée par l'auteur, qui fit au texte plusieurs additions. Descartes avait travaillé à cet ouvrage pendant dix ans, et il ne se décida à le publier que sur l'insistance de quelques théologiens de ses amis, notamment du P. Mersenne et du P. Gibieuf (2). Il le divisa en six méditations. Dans la première, il indique comment nous pouvons douter de toutes choses, jusqu'à ce que nous ayons de meilleurs fondements dans les sciences que ceux que nous connaissons jusqu'à présent. Il montre que l'utilité de ce doute consiste à nous délivrer de toutes sortes de pré-jections qu'on lui avait faites ou qu'il s'était fait

jugés, à détacher notre esprit des sens, et à faire que nous ne puissions plus douter des choses que nous avons reconnues être véritables. Dans la seconde Méditation, il fait voir que l'esprit, usant de la liberté de douter de toutes choses, ne peut cependant point douter de sa propre existence;

(1) Cette division des courbes fut plus tard modifiée par Leibnitz, qui appela les unes algébriques, les autres transcendantes.

(2) Voyez Baillet, t. I, p. 103 et suiv.

Descartes fit suivre ses Méditations des Ob

adresser lui-même. Les premières objections avaient pour auteur Caterus, prétre à Alcmaer; les secondes sont du P. Mersenne; les troisièmes de Hobbes, disciple de Descartes; les quatrièmes d'Arnaud; les cinquièmes de Gassendi; les sixièmes de divers théologiens et philosophes; enfin, les septièmes sont de Descartes lui-même, sous forme de Dissertations touchant la philosophie première.

Les Principes de Philosophie parurent en

latin, à Amsterdam (Elzevier), 1644, in-8°. Cet ouvrage, qu'il voulait d'abord intituler Summa Philosophia, et qu'il dédia à la princesse Élisabeth, fille aînée de l'électeur palatin Frédéric V, comprend quatre parties: la première expose les principes de la connaissance humaine, qui ont été déjà développés dans les Méditations. La seconde contient l'explication des premières lois de la nature, les propriétés de la substance, de l'espace, du mouvement, etc.; la troisième traite du système du monde, du ciel et des corps célestes; la quatrième, enfin, renferme ce qui est relatif à la terre. C'est dans cet ouvrage surtout que Descartes expose sa fameuse doctrine des tourbillons; il y montre comment les astres ont pu se former au centre de chaque tourbillon, comment les planètes et les comètes se sont engendrées, comment elles se sont placées dans les tourbillons où elles sont descendues, et quelles sont les raisons des mouvements réguliers et irréguliers, etc. Parmi les autres écrits imprimés de Descartes, on remarque le Traité | des Passions de l'Ame, rédigé en francais, vers 1646, pour madame Elisabeth, princesse palatine, et publié à Amsterdam (Elzevier), 1649, in 8°; et les Règles pour la direction de l'esprit, œuvre posthume, publiée pour la première fois en latin, en 1701, par un anonyme; c'est sur ce texte que M. Cousin et plus récemment M. Aimé Martin l'ont traduit en français.

Le Traité de l'Homme et de la formation du fœtus est un ouvrage également posthume; il fut ¦ publié quatorze ans après la mort de Descartes par les soins de Clerselier; Paris, 1664, in-4°. C'est là que l'anteur expose sa célèbre doctrine sur les esprits animaux, qui sont pour lui un certain vent très-subtil on plutit une flamme très-vive et très-pure. « Ils viennent, ajoute-t-il, du crur, par l'intermédiaire des artères et après s'estre divisés en une infinité de petites branches et avoir composé ces petits tissus, qui sont estenus comme des tapisseries au fond des concavités du cerveau, se rassemblent autour d'une certaine petite glande (1), située environ le milieu de la substance de ce cerveau, tout à l'entrée de ses concavités, et ont en cet endroit un grand nombre de petits trons, par où les plus subtiles parties du sang qu'elles contiennent se peuvent écouler dans cette glande ».

Pour le grand philosophe oni vonlait tout fonder sur l'évidence et la certitude interne, les mouvements de la vie se réduisaient à un mécanisme hydraulique, et il s'explique là-dessus categoriquement : « A mesure, dit-il, que les esprits vitanx entrent dans les concavités du cer▼ean, ils passent de là dans les pores de sa substance, et de ces pores dans les nerfs, où selon qu'ils entrent ou mesme seulement qu'ils tendent A entrer plus ou moins dans les uns que dans les

(1) Onoiqu'on en wit dh et répété depuis, de n'és, point de la plande pinnale, mat de in clande pituitaire, que Desesptes & voulu parler for

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autres, ils ont la force de changer la figure des muscles en qui ces nerfs sont insérés, et par ce moyen de faire mouvoir tous les membres; ainsi que vous pouvez l'avoir vu dans les grottes et les fontaines qui sont aux jardins de nos roys, que la seule force dont l'eau se meut en sortant de la source est suffisante pour y mouvoir diverses machines et même pour les y faire jouer de quelques instruments ou prononcer quelques paroles, selon la diverse disposition des tuyaux qui la conduisent. Et véritablement l'on peut fort bien comparer les nerfs de la machine humaine aux tuyaux des machines de ces fontaines; ses muscles et ses tendons aux autres divers engins et ressorts qui servent à les mouvoir, ses esprits animaux à l'eau qui les remue, dont le cœur est la source et les concavités du cerveau sont les regards. De plus, la respiration et autres belles actions qui lui sont naturelles et ordinaires, et qui dépendent du cours des esprits, sont comme les mouvements d'une horloge ou d'un moulin que le cours ordinaire de l'eau peut rendre continu. Les objets extérieurs qui par leur seule présence agissent contre les organes de ses sens, et qui par ce moyen la déterminent à se mouvoir en plusieurs diverses façons selon que les parties de son cerveau sont disposés, sont comme les étrangers qui, entrant dans quelquesunes des grottes de ces fontaines, causent euxmêmes sans y penser les mouvements qui s'y font en leur présence; car ils n'y peuvent entrer qu'en marchant sur certains carreaux tellement disposés que, par exemple, s'ils approchent d'une Diane qui se baigne, ils la feront cacher dans des roseaux, et s'ils passent outre pour la poursuivre, ils feront venir vers eux un Neptune qui les menacera de son trident; ou s'ils vont de quelque autre costé, ils en feront sortir un monstre marin qui leur vomira de l'eau contre la face, ou choses semblables, selon le caprice des ingénieurs qui les ont faites ; et enfin, quand l'áme raisonnable sera en cette machine, elle y aura son siége principal dans le cerveau, et sera la comme le fontainier qui doit être dans les regards où se vont rendre tous les tuyaux de ces machines, quand il veut exciter, ou empescher ou changer en quelque façon leurs mouvements (1) ».

Tout cela n'est pas sérieux personne ne croit plus aux esprits vitaux de Descartes, pas plus qu'à ses tourbillons. Quel démenti donné à ses règles pour la recherche de la vérité! Si Descartes, grâce à son dédain pour ses prédécesseurs, n'avait pas ignoré l'histoire des sciences, il se serait rappele que ce qui paraît aujourd'hui très-evident peut n'être plus demain qu'une grande erreur.

Un mot en terminant sur la philosophie de Descartes, qui eut dès son apparition autant de partisans que de détracteurs. Ce qui caractérise,

(1) L'homme de Descartes, p. 13-18 ( Paris 1668).

selon moi, essentiellement l'esprit de Descartes, c'est une foi opiniâtre en lui-même, une forte individualisation qui cherche par une vigoureuse dialectique, par la puissance des raisonnements, quelquefois même par les charmes de l'imagination, à se substituer à toute autre autorité. C'était bien là cet esprit breton, qui déjà avant Descartes s'était incarné dans Abeilard, comme depuis dans Lamennais et Châteaubriand.

Ce fut sans doute un spectacle saisissant que celui de la raison humaine aux prises avec le doute universel; mais ce spectacle ne dura pas longtemps. Quand Descartes dit au commencement de son Discours de la Méthode : « Je savois que la philosophie donne moyen de parler vraisemblablement de toutes choses, et de se faire admirer des moins savants», il s'annonce, dans un langage dédaigneux et satirique comme le destructeur des systèmes anciens et le fondateur d'une philosophie nouvelle. Mais, hélas! cette philosophie eut bientôt le sort de ses aînées. Quo qu'en aient dit ses partisans, Descartes n'a point tracé aux sciences leurs méthodes, et s'il a établi en principe de ne jamais recevoir aucune chose pour vraie, à moins qu'elle ne soit connue comme évidente, il a émis en même temps sur les esprits animaux sur toute la physique du corps humain, une série de doctrines reconnues depuis longtemps erronées.

Que dirai-je de son fameux axiome: « Je pense, donc je suis... » C'est une formule qui donne de l'existence humaine une idée évidemment fausse d'abord elle isole l'homme dans l'immensisté, dont lui-même fait partie; elle le sépare des conditions qui l'environnent, milieu permanent, nécessaire, inséparable. Puis, la pensée abstraite, de quelque façon qu'on la retourne, ne pourra jamais donner à elle-même une valeur réelle : elle ne la reçoit que du monde extérieur, en se complétant comme la fraction qui devient unité par l'addition de ce qui lui manque. Il faut que la pensée prenne pour ainsi dire corps par les mouvements multipliés de l'acte et de la parole, pour que l'homme marque son existence dans l'espace et dans le temps.

Omettant ainsi un élément essentiel du problème, l'axiome de Descartes devait conduire à des résultats inexacts. Mais il trouvera tonjours des partisans nombreux et passionnés, parce qu'il flatte l'instinct de nos aberrations, cet orgueil inné qui faisant, de l'homme le centre du monde, rapetisse Dieu et rétrécit l'univers. F. H.

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Baillet, Vie de monsieur Descartes; Paris, 1691, 2 vol. in-4°. - Borel, Vitæ Ren. Cartesii Compendium; Paris, 1656, in-8°. Brucker, Hist. Philosoph. Tennemann, Gesch. der Philosophie. - Thomas, Eloge de Descartes; 1765, in-8°. -- Gaillard, Eloge de Descartes; 1765, in-8°. Mazarelli de Saint Chamond, Eloge de Descartes. — Mercier, Éloge de Descartes. Bordas-Dumoulin, Le Cartesianisme; Paris, 1843, 2 vol. in-8° (couronné par Pinstitut); Bouillet, Sur la Philosophie castésienne; Paris, 1854, in-89. D. Nizard, Descartes et son influence

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sur la littérature française, dans la Revue des DeuxMondes, 1er décembre 1844.

DESCAURRES. Voyez CAURRES (DES).

DESCEMET (Jean), médecin français, né à Paris, le 20 avril 1732, mort le 17 octobre 1810. Il s'adonna de bonne heure à l'étude des végétaux, et profita des savantes leçons de Duhamel-Dumonceau. A dix-huit ans, il embrassa la profession médicale, et l'exerça toute sa vie avec distinction, sans négliger ses études favorites. On lui doit dans l'anatomie de l'œil, la découverte importante de la membrane qui contient l'humeur aqueuse et qui revêt la partie intérieure de la cornée transparente. Sa modestie égalait son savoir. On a de lui: Catalogue des plantes du jardin de MM. les apothicaires de Paris, suivant la méthode de Tournefort; Paris, 1759, in-8°. On a encore de Descemet des Observations sur la Choroïde, imprimées dans le tome V des Savants étrangers de l'Académie des Sciences. Il a fourni de nombreuses observations pour l'édition du Traité des arbres et arbustes qui se cultivent en pleine terre, par Duhamel-Dumonceau; Paris, 1800-19, in-4°.

Barbier, Examen des Dictionnaires. Rabbe Boisjolin, etc. Biogr, univ, et port. des Contemporains.

* DESCHAMPS (Eustache), dit MOREL, poëte français, né vers 1320, mort au commencement du quinzième siècle (1). Eustache naquit à Vertus en Champagne, sur les États du duc d'Orléans. Il possédait aux environs de sa ville natale un domaine appelé Les Champs, qui fut brûlé par les Anglais. Il tira de là et conserva le nom de Deschamps. Il dut à son teint noir et hallez le surnom ou sobriquet de Morel, qui équivalait alors à l'expression populaire de moricaud (petit maure). Notre poëte fit ses études à l'université d'Orléans, et s'y instruisit dans les arts libéraux ainsi que dans le droit civil. Il prit vraisemblablement dans ces deux facultés le grade de licencié, qui était dès lors exigé pour remplir des fonctions judiciaires, dont nous le verrons bientôt revêtu. C'est d'après ses écrits qu'on a pu déterminer quelques points de sa biographie. Il parcourut l'Égypte et la Syrie; il demeura quelque temps en captivité chez les Sarrasins; il fut attaché à la personne de Charles V et de Charles VI en qualité d'huissier d'armes; il devint gouverneur du château de Fismes et bailli de Senlis; il servit dans les guerres contre les Flamands et les Anglais, mais sans avoir beaucoup à se louer des faveurs de la fortune. Ses

(1) Quatre lignie et généracion

Ay ven de roys depuis que je fus nez:
Philippe, Jehan, Charle en succession
Le cinquiesme; Charles, son fils ainsnez,
Régna après.

Ainsi s'exprime Eustache Deschamps, parlant de luimême. Les rois qu'il désigne ici sont Philippe VI, qui monta sur le trône en 1328, Jean II, Charles V et Charles VI. La dernière trace directe et précise que l'on ait de son existence est une épître adressée à Eustache par Christine de Pisan, en date du 10 février 1403 (1404 nouveau style). - V.

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