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des successeurs d'Alexandre; car ils possédoient presque tous les états de Darius, à l'Égypte près; mais il étoit arrivé des choses qui avoient fait que leur puissance s'étoit beaucoup affoiblie.

Séleucus, qui avoit fondé l'empire de Syrie, avoit, à la fin de sa vie, détruit le royaume de Lysimaque. Dans la confusion des choses, plusieurs provinces se soulevèrent les royaumes de Pergame, de Cappadoce et de Bithynie, se formèrent. Mais ces petits états timides regardèrent toujours l'humiliation de leurs anciens maîtres comme une fortune. pour eux.

Comme les rois de Syrie virent toujours avec une envie extrême la félicité du royaume d'Égypte, ils ne songèrent qu'à le conquérir; ce qui fit que, négligeant l'Orient, ils y perdirent plusieurs provinces, et furent fort mal obéis dans les autres.

Enfin les rois de Syrie tenoient la haute et basse Asie Mais l'expérience a fait voir que, dans ce cas, lorsque la capitale et les principales forces sont dans les provinces basses de l'Asie, on ne peut pas conserver les hautes; et que, quand le siége de l'empire est dans les hautes, on s'affoiblit en voulant garder les basses. L'empire des Perses et celui de Syrie ne furent jamais si forts que celui des Parthes, qui n'avoit qu'une partie des provinces des deux premiers. Si Cyrus n'avoit pas conquis le royaume de Lydie, si Séleucus étoit resté à Babylone, et avoit laissé les provinces maritimes aux successeurs d'Antigone,

l'empire des Perses auroit été invincible pour les Grecs, et celui de Séleucus pour les Romains. Il y a de certaines bornes que la nature a données aux états pour mortifier l'ambition des hommes. Lorsque les Romains les passèrent, les Parthes les firent presque tous périr': quand les Parthes osèrent les passer, ils furent d'abord obligés de revenir; et, de nos jours, les Turcs, qui ont avancé au-delà de ces limites, ont été contraints d'y rentrer.

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Les rois de Syrie et d'Égypte avoient dans leur pays deux sortes de sujets les peuples conquérants et les peuples conquis. Ces premiers, encore pleins de l'idée de leur origine, étoient très-difficilement gouvernés; ils n'avoient point cet esprit d'indépendance qui nous porte à secouer le joug, mais cette impatience qui nous fait désirer de changer de maître.

Mais la foiblesse principale du royaume de Syrie venoit de celle de la cour, où régnoient des successeurs de Darius, et non pas d'Alexandre. Le luxe, la vanité, la mollesse, qui en aucun siècle n'ont quitté les cours d'Asie, régnoient surtout dans celle-ci. Le mal passa au peuple et aux soldats, et devint contagieux pour les Romains mêmes, puisque la guerre qu'ils firent contre Antiochus est la vraie époque de leur corruption.

'J'en dirai les raisons au Chap. xv. Elles sont tirées en partie de la disposition géographique des deux empires.

Telle étoit la situation du royaume de Syrie, lorsque Antiochus, qui avoit fait de grandes choses, entreprit la guerre contre les Romains : mais il ne se conduisit pas même avec la sagesse que l'on emploie dans les affaires ordinaires. Annibal vouloit qu'on renouvelât la guerre en Italie, et qu'on gagnât Philippe, ou qu'on le rendit neutre. Antiochus ne fit rien de tout cela il se montra dans la Grèce avec une petite partie de ses forces; et, comme s'il avoit voulu y voir la guerre, et non pas la faire, il ne fut occupé que de ses plaisirs. Il fut battu, et s'enfuit en Asie plus effrayé que vaincu.

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Philippe, dans cette guerre, entraîné par les Romains comme par un torrent, les servit de tout son pouvoir, et devint l'instrument de leurs victoires. Le plaisir de se venger et de ravager l'Étolie, la promesse qu'on lui diminueroit le tribut, et qu'on lui laisseroit quelques villes, des jalousies qu'il eut d'Antiochus, enfin de petits motifs le déterminèrent; et, n'osant concevoir la pensée de secouer le joug, il ne songea qu'à l'adoucir.

Antiochus jugea si mal des affaires, qu'il s'imagina que les Romains le laisseroient tranquille en Asie. Mais ils l'y suivirent : il fut vaincu encore; et, dans sa consternation, il consentit au traité le plus infâme qu'un grand prince ait jamais fait.

Je ne sache rien de si magnanime que la résolution que prit un monarque qui a régné de nos

jours, de s'ensevelir plutôt sous les débris du trône que d'accepter des propositions qu'un roi ne doit pas entendre; il avoit l'âme trop fière pour descendre plus bas que ses malheurs ne l'avoient mis; et il savoit bien que le courage peut raffermir une couronne, et que l'infamie ne le fait jamais.

C'est une chose commune de voir des princes qui savent donner une bataille. Il y en a bien peu qui sachent faire une guerre, qui soient également capables de se servir de la fortune et de l'attendre, et qui, avec cette disposition d'esprit qui donne de la méfiance avant que d'entreprendre, aient celle de ne craindre plus rien après avoir entrepris.

Après l'abaissement d'Antiochus, il ne lui restoit plus que de petites puissances, si l'on en excepte l'Égypte, qui, par sa situation, sa fécondité, son commerce, le nombre de ses habitants, ses forces de mer et de terre, auroit pu être formidable mais la cruauté de ses rois, leur lâcheté, leur avarice, leur imbécillité, leurs affreuses voluptés les rendirent si odieux à leurs sujets, qu'ils ne se soutinrent la plupart du temps que par la protection des Romains.

C'étoit, en quelque façon, une loi fondamentale de la couronne d'Égypte, que les sœurs succédoient avec les frères; et afin de maintenir l'unité dans le gouvernement, on marioit le frère

Louis XIV.

avec la sœur. Or, il est difficile de rien imaginer de plus pernicieux dans la politique qu'un pareil ordre de succession: car tous les petits démêlés domestiques devenant des désordres dans l'état, celui des deux qui avoit le moindre chagrin soulevoit d'abord contre l'autre le peuple d'Alexandrie; populace immense, toujours prête à se joindre au premier de ses rois qui vouloit l'agiter. De plus, les royaumes de Cyrène et de Chypre étant ordinairement entre les mains d'autres princes de cette maison avec des droits réciproques sur le tout, il arrivoit qu'il y avoit presque toujours des princes régnants, et des prétendants à la couronne; que ces rois étoient sur un trône chancelant, et que, mal établis au dedans, ils étoient sans pouvoir au dehors.

Les forces des rois d'Égypte, comme celles des autres rois d'Asie, consistoient dans leurs auxiliaires grecs. Outre l'esprit de liberté, d'honneur et de gloire, qui animoit les Grecs, ils s'occupoient sans cesse à toutes sortes d'exercices du corps ils avoient dans leurs principales villes des jeux établis où les vainqueurs obtenoient des couronnes aux yeux de toute la Grèce; ce qui donnoit une émulation générale. Or, dans un temps où l'on combattoit avec des armes dont le succès dépendoit de la force et de l'adresse de celui qui s'en servoit, on ne peut douter que des gens ainsi exercés n'eussent de grands avantages sur cette foule de barbares pris indifféremment,

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