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cadence à l'arrivée de Pyrrhus, des Gaulois et d'Annibal; et, par la destinée de presque tous les états du monde, ils auroient passé trop vite de la pauvreté aux richesses, et des richesses à la corruption.

Mais Rome faisant toujours des efforts, et trouvant toujours des obstacles, faisoit sentir sa puissance sans pouvoir l'étendre; et, dans une circonférence très-petite, elle s'exerçoit à des vertus qui devoient être si fatales à l'univers.

Tous les peuples d'Italie n'étoient pas également belliqueux : les Toscans étoient amollis par leurs richesses et par leur luxe; les Tarentins, les Capouans, presque toutes les villes de la Campanie et de la grande Grèce, languissoient dans l'oisiveté et dans les plaisirs. Mais les Latins, les Herniques, les Sabins, les Eques et les Volsques, aimoient passionnément la guerre : ils étoient autour de Rome; ils lui firent une résistance inconcevable, et furent ses maîtres en fait d'opiniâtreté.

Les villes latines étoient des colonies d'Albe, qui furent fondées par Latinus Sylvius. Outre une origine commune avec les Romains, elles avoient encore des rites communs; et Servius Tullius les avoit engagées à faire bâtir un temple dans Rome pour être le centre de l'union

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Comme on le voit dans un traité intitulé, Origo gentis romanæ, qu'on croit être d'Aurélius Victor.

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des deux peuples. Ayant perdu une grande bataille auprès du lac Régille, elles furent soumises à une alliance et une société de guerre avec les Romains.

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On vit manifestement, pendant le peu de temps que dura la tyrannie des décemvirs, à quel point l'agrandissement de Rome,dépendoit de sa liberté. L'état sembla avoir perdu l'âme 2 qui le faisoit mouvoir.

Il n'y eut plus dans la ville que deux sortes de gens: ceux qui souffroient la servitude, et ceux qui, pour leurs intérêts particuliers, cherchoient à la faire souffrir. Les sénateurs se retirèrent de Rome, comme d'une ville étrangère; et les peuples voisins ne trouvèrent de résistance nulle part.

Le sénat ayant eu le moyen de donner une paye aux soldats, le siége de Veïes fut entrepris; il dura dix ans. On vit un nouvel art chez les Romains, et une autre manière de faire la guerre; leurs succès furent plus éclatants; ils profitèrent mieux de leurs victoires; ils firent de plus grandes conquêtes; ils envoyèrent plus de colonies: enfin la prise de Veïes fut une espèce de révolution. Mais les travaux ne furent pas moindres. S'ils

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Voyez, dans Denys d'Halicarnasse, Liv. IV, un des traités faits avec eux.

2 Sous prétexte de donner au peuple des lois écrites, ils se saisirent du gouvernement. Voyez Denys d'Halicarnasse, Liv. XI.

portèrent de plus rudes coups aux Toscans, aux Èques et aux Volsques, cela même fit que les Latins et les Herniques, leurs alliés, qui avoient les mêmes armes et la même discipline qu'eux, les abandonnèrent; que des ligues se formèrent chez les Toscans; et que les Samnites, les plus belliqueux de tous les peuples de l'Italie, leur firent la guerre avec fureur.

paye,

le sénat ne

Depuis l'établissement de la distribua plus aux soldats les terres des peuples vaincus il imposa d'autres conditions; il les obligea, par exemple, de fournir 1à l'armée une solde pendant un certain temps, de lui donner du blé et des habits.

La prise de Rome par les Gaulois ne lui ôta rien de ses forces : l'armée, plus dissipée que vaincue, se retira presque entière à Veïes; le peuple se sauvą dans les villes voisines; et l'incendie de la ville ne fut que l'incendie de quelques cabanes de pasteurs.

CHAPITRE II.

De l'art de la guerre chez les Romains.

LES Romains se destinant à la guerre, et la regardant comme le seul art, ils mirent tout leur esprit et toutes leurs pensées à le perfectionner. C'est sans doute un Dieu, dit Végèce', qui leur inspira la légion.

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Ils jugèrent qu'il falloit donner aux soldats de la légion des armes offensives et défensives plus fortes et plus pesantes que celles de quelque autre peuple que ce fùt.

Mais comme il y a des choses à faire dans la guerre dont un corps pesant n'est pas capable, ils voulurent que la légion contînt dans son sein une troupe légère qui pût en sortir pour engager le combat, et, si la nécessité l'exigeoit, s'y retirer; qu'elle eût encore de la cavalerie, des hommes de trait et des frondeurs, pour poursuivre les fuyards et achever la victoire; qu'elle fût défendue par toute sorte de machines de guerre qu'elle traînoit avec elle; que chaque fois elle se retranchât, et fùt, comme dit Végèce', une espèce de place de guerre.

Pour qu'ils pussent avoir des armes plus pesantes que celles des autres hommes, il falloit qu'ils se rendissent plus qu'hommes; c'est ce qu'ils firent par un travail continuel qui augmentoit leur force, et par des exercices qui leur donnoient de l'adresse, laquelle n'est autre chose

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Voyez, dans Polybe, et dans Josèphe, de Bello judaico, Liv. III, quelles étoient les armes du soldat romain. Il y a peu de différence, dit ce dernier, entre les chevaux chargés et les soldats Romains. « Ils portent, dit Cicéron, >> leur nourriture pour plus de quinze jours, tout ce qui » est à leur usage, tout ce qu'il faut pour se fortifier; et à » l'égard de leurs armes, ils n'en sont pas plus embarrassés » que de leurs mains ». (Tuscul. Liv. II, Chap. xv.) Liv. II, Chap. xxv.

qu'une juste dispensation des forces que l'on a. Nous remarquons aujourd'hui que nos armées périssent beaucoup par le travail' immodéré des soldats; et cependant c'étoit par un travail immense que les Romains se conservoient. La raison en est, je crois, que leurs fatigues étoient continuelles; au lieu que nos soldats passent sans cesse d'un travail extrême à une extrême oisiveté; ce qui est la chose du monde la plus propre à les faire périr.

Il faut que je rapporte ici ce que les auteurs * nous disent de l'éducation des soldats romains. On les accoutumoit à aller le pas militaire, c'està-dire, à faire en cinq heures vingt milles, et quelquefois vingt-quatre. Pendant ces marches, on leur faisoit porter des poids de soixante livres. On les entretenoit dans l'habitude de courir et de sauter tout armés: ils prenoient 3, dans leurs exercices, des épées, des javelots, des flèches d'une pesanteur double des armes ordinaires, et ces exercices étoient continuels.

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1 Surtout le fouillement des terres. par

Voyez Végèce, Livre I. Voyez, dans Tite - Live, Liv. XXVI, les exercices que Scipion l'Africain faisoit faire aux soldats après la prise de Carthage la neuve. Marius, malgré sa vieillesse, alloit tous les jours au champ de Mars. Pompée, à l'âge de cinquante-huit aus, alloit combattre tout armé avec les jeunes gens; il montoit à cheval, couroit à bride abattue, et lançoit ses javelots. (Plutarque, Vies de Marius et de Pompée.)

3 Végèce, Liv. I.

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