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L'HOTEL DE RAMBOUILLET.

MADAME DE SÉVIGNÉ

ET AUTRES FEMMES DE LETTRES DU XVIIe SIECLE.

L'hôtel de Rambouillet date du temps de Henri IV. On sait que ce prince aimait peu les lettres, quoiqu'il les protégeât comme roi. Plus occupé de ses affaires et de ses plaisirs que du soin de tenir une cour, il dérégla les mœurs par ses exemples et ne chercha point à les polir; beaucoup de personnes de distinction, peu édifiées des assemblées du Louvre, cessèrent de les fréquenter. Cependant la paix qui avait suivi les fureurs de la ligue, faisait vivement sentir le besoin des jouissances sociales; il fallait un nouvel aliment pour ces esprits que les passions de la guerre civile ne remplissaient plus. C'est dans ces circonstances qu'une fille du marquis de Pisani, Catherine de Vivonne, qui avait épousé en 1600, à l'âge de douze ans, Charles d'Angennes, marquis de Rambouillet, entreprit de réunir chez elle, dans l'hôtel qu'elle apportait en dot et qui s'appela depuis l'hôtel de Rambouillet, tout ce qu'il y avait de plus aimable, de plus vertueux à la cour, et de plus poli parmi les beaux esprits du siècle. Les réunions avaient lieu dans une grande chambre dont l'ameublement était en velours bleu, rehaussé d'or et d'argent, et qui reçut pour cette raison le nom de chambre bleue, sous lequel elle est devenue si célèbre '.

La marquise présidait elle-même l'assemblée sous le nom romanesque d'Arthénice, par lequel les poëtes avaient remplacé celui de Catherine. Plus tard, une de ses filles, Julie d'Angennes, qu'elle avait eue à seize ans et qui paraissait être sa sœur, vint briller à côté d'elle ou à sa place dans cette charmante présidence, et l'accord parfait de sentiment qui régna toujours entre Mme et Mue de Rambouillet, en prolongeant la durée de cette société littéraire, contribua puissamment à étendre et à faire aimer son influence.

Les premiers écrivains qui fréquentèrent l'hôtel de Rambouillet furent Ogier de Gombauld, Malherbe, Vaugelas,

Mme de Rambouillet, dit Tallemant des Réaux, est la première qui s'est avisée de faire peindre une chambre d'autre couleur que de rouge et de tanné (tan).

Racan. Puis vinrent Voiture, Balzac, Segrais, Chapelain, Costar, Sarrazin, Conrart, Mairet, Patru, Godeau, Rotrou, Scarron, Benserade, Saint-Evremond, Charleval, Ménage, le duc de la Rochefoucauld, le marquis de la Salle, depuis duc de Montausier, Malleville, Desmarets, Bautru, Collin, Colletet, Georges de Scudéry, Corneille, Fléchier, le prince de Condé, et même Bossuet, qui y prononça un sermon à l'âge de seize ans. Trente ans après, Fléchier rappelait en chaire le souvenir de ces réunions, prouvant par là combien il aimait encore, ainsi que ses auditeurs, à s'y reporter par la pensée « Souvenez-vous, disait-il, de ces cabinets que l'on regarde encore avec tant de vénération, où l'esprit se purifiait, où la vertu était révérée sous le nom de l'incomparable Arthénice; où se rendaient tant de personnes de qualité et de mérite, qui composaient une cour choisie, nombreuse sans confusion, modeste sans contrainte, savante sans orgueil, polie sans affectation 2. »

:

Parmi les femmes, on distinguait Mme de Longueville, Mile de Scudéry, Mme de la Suze, Mile Paulet, Mme de la Fayette, Mme de Sévigné, etc.

L'hôtel de Rambouillet eut pour effet d'abord, en rapprochant les uns des autres les écrivains et les grands seigneurs, d'apprendre aux premiers à vivre dans le beau monde, et de faire sentir aux seconds qu'il y a d'autre noblesse que celle de la naissance, d'autre illustration que celle des armes, d'autres jouissances que les plaisirs sensuels. « Ce fut là que naquit réellement la conversation, cet art charmant dont les règles ne peuvent se dire, qui s'apprend à la fois par la tradition et par un sentiment inné de l'exquis et de l'agréable, où la bienveillance, la simplicité, la politesse nuancée, l'étiquette même et la science des usages, la variété de tons et de sujets, le choc des idées différentes, les récits piquants et animés, une certaine façon de dire et de conter, les bons mots qui se répètent, la finesse, la grâce, la malice, l'aban

« Un soir que M. Arnauld avait mené le petit Bossuet de Dijon, aujourd'hui l'abbé Bossuet, qui a de la réputation pour la chaire, pour donner à Madame la marquise de Rambouillet le divertissement de le voir prêcher, car il a préchotté dès l'âge de douze ans, Voiture dit : « Je n'ai jamais vu prêcher de si bonne heure, ni si tard. »> (Tallemant des Réaux, Historielle de Voiture.)

2 Oraison funèbre de Mme de Montausier.

don, l'imprévu se trouvent sans cesse mêlés et forment un des plaisirs les plus vifs que des esprits délicats puissent goûter 1. »

Figurons-nous un de ces rendez-vous intellectuels qui se donnaient dans la chambre bleue, à une époque où la langue n'était pas encore fixée, où les chefs-d'œuvre de nos grands maîtres en littérature n'avaient pas encore paru. Un jour, Voiture Ꭹ vient lire un rondeau, Sarrazin une ode, Benserade un sonnet, l'abbé de Montreuil un madrigal; un autre jour, Corneille y récitera sa tragédie de Polyeucte, elle n'y sera pas appréciée peut-être, et la France donnera un éclatant démenti à la condamnation de ce chef-d'œuvre; mais cette sévérité même erronée de la critique est un progrès; sans entraver le génie, elle forcera chacun de s'observer davantage en lui imposant le devoir de plaire à une société élégante et polie. De là, pour tous ceux qui fréquentaient l'hôtel de Rambouillet, des qualités qu'on ne trouvait point ailleurs à cette époque, un ton plus mesuré, des manières plus nobles, un langage plus épuré et exempt de tout accent provincial; les femmes surtout contrôlaient le sens et le son de tous les mots avec une exquise délicatesse qui n'était pas encore un scrupule superstitieux. On les appelait, et elles faisaient gloire de s'appeler elles-mêmes les précieuses, les illustres; et ce nom exprimait, dans son acception primitive, l'honnêteté du cœur et le talent de l'esprit, la grâce, la dignité, le bon goût, une sorte de décence, de courtoisie. intellectuelle et morale, tout ce qui pouvait, dans les hauts rangs de la société, donner l'idée d'une femme accomplie. La guerre civile interrompit ces brillantes réunions. Après avoir exercé près d'un demi-siècle la plus puissante influence, l'hôtel de Rambouillet, « ce palais d'honneur, » comme l'appelle Bayle, se dispersa vers 1650, et de ses débris il se forma plusieurs sociétés qui ne méritent guère que le nom de coteries. On s'assemblait chez Mme la comtesse de la Suze et surtout chez Me de Scudéry, dont la réputation était alors à son apogée. C'est dans ces salons, c'est dans ces ruelles que prit naissance cette littérature froidement galante ou grossièrement burlesque, semée de pointes, de jeux de mots ou

M. de Noailles, Histoire de Mme de Maintenon.

de sentiments exagérés; c'est alors que les précieuses deviennent ridicules. Dans une satire intitulée le Cercle, voici comme Saint-Evremond trace le portrait de la précieuse sentimentale :

Dans un lieu plus secret, on tient la précieuse
Occupée aux leçons de morale amoureuse.
Là se font distinguer les fiertés des rigueurs,

Les dédains des mépris, les tourments des langueurs;
On y sait démêler la crainte et les alarmes;

Discerner les attraits, les appas et les charmes ;

On y parle du temps que forme le désir
(Mouvement incertain de peine et de plaisir).

Des premiers maux d'amour on connaît la science.....
Et toujours on ajuste à l'ordre des douleurs

Et le temps de la plainte, et la saison des pleurs.

Voilà les premiers traits de ces fausses précieuses bien différentes des véritables, avec lesquelles on les a trop souvent confondues. Molière viendra plus tard en achever la peinture.

Les beaux temps de l'hôtel de Rambouillet duraient encore, lorsque Mme de Sévigné fit son entrée dans le monde, et cette femme célèbre fut comptée au nombre des précieuses. Son esprit, déjà cultivé, ne fit qu'y gagner en légèreté et en délicatesse; elle s'y raffina sans s'y gâter; elle laissa aux femmes d'un goût moins pur, d'un jugement moins solide que le sien, les subtilités, les fadeurs, le purisme affecté. Il faut bien le dire d'ailleurs, c'est par ces minutieuses distinctions sur les mots et leurs diverses acceptions que la langue s'est fixée: c'est à l'effort des beaux esprits de l'hôtel de Rambouillet qu'elle doit en partie ce sens exquis, cette droite raison, qui distinguent notre littérature au XVIIe siècle.

Mme de Sévigné (Marie de Rabutin-Chantal) reçut dès ses premières années une instruction solide. Née en 1626, elle resta orpheline à six ans; placée sous la tutelle de son aïeul maternel, elle demeura, après la mort de celui-ci (1636), sous la surveillance de l'abbé de Coulanges, son oncle, qu'elle désigne dans ses lettres sous le nom de Bien-bon; elle eut pour précepteur Ménage, qui lui apprit le latin, l'italien, l'espagnol; elle reçut aussi l'enseignement de Chapelain, et aux sérieuses leçons de ces deux maîtres, elle ajouta celles de la cour élégante et polie d'Anne d'Autriche, où elle passa les plus belles années de sa jeunesse.

Mariée à dix-huit ans au marquis de Sévigné, elle resta veuve après sept ans d'union mal assortie avec un homme qu'elle aimait sans pouvoir l'estimer. Elle avait un fils et une fille; tant que dura leur enfance, elle renonça au monde pour remplir ses devoirs de mère. Quand elle y reparut, ce fut pour s'y placer au premier rang par son esprit. Elle trouva l'occasion d'y montrer aussi la noblesse de son caractère. Quand les amis de Fouquet osaient à peine le nommer et se souvenir de lui dans la crainte de s'attirer quelque chose de son malheur, elle associa son dévouement à celui de Pellisson et de La Fontaine; elle eut le courage de plaindre et d'admirer l'accusé, elle fit circuler des réflexions hardies sur son noble sang-froid, aussi bien que sur l'indécent acharnement de ses juges. Elle suivait avec anxiété les débats qui devaient décider du sort de son ami; elle en instruisait M. de Pomponne. Dans toute la correspondance de Mme de Sévigné, il est peu de parties qui offrent plus d'émotion et d'éloquence. Tandis qu'elle ne songe qu'à rendre compte de ce qu'elle a vu et de ce qu'elle a senti, elle trace un tableau dramatique et vivant de cette grande scène judiciaire; elle écrit un admirable plaidoyer. Ces lettres révèlent déjà tout son cœur et toute son imagination. Mais c'est par sa correspondance avec sa fille que Mme de Sévigné s'est fait surtout un nom immortel. Après l'avoir vue quelques années briller dans le monde, elle l'avait mariée en 1669 au comte de Grignan. Elle se réjouissait de cette alliance, qui lui faisait attendre pour sa fille une haute fortune et lui laissait l'espoir de la garder auprès d'elle. Mais quinze ou seize mois après son mariage, M. de Grignan fut obligé de s'éloigner de Paris et de la cour pour aller remplir en Provence les fonctions de gouverneur, et il emmena sa femme avec lui. Mme de Sévigné aimait sa fille avec idolâtrie; elle ressentit de cette séparation une douleur à laquelle elle ne put jamais s'accoutumer. Il n'y avait qu'un remède à son mal, c'était d'écrire; elle multiplia les lettres sans jamais se rassasier de cette douceur; passionnée pour l'étude, elle trouvait toujours du charme dans ses livres aimés; elle en faisait ses confidents les plus intimes. Mais rien ne pouvait la distraire de ses regrets naturels; parler à sa fille, même de si loin, était son unique

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