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idées creuses sans application possible, et, de même que dans l'ouvrage précédent il fallait dévorer périodiquement des allusions à la gloire de Louis XIII, on ne cessait pas dans celui-ci d'entrevoir Richelieu, dont les louanges reviennent à tout propos et aux dépens de tous les autres personnages qui figurent dans le livre.

Ces traités furent suivis du Socrate chrétien. L'ignorance théologique, dont le Père Goulu avait déjà accusé Balzac, s'y fait trop souvent remarquer; d'ailleurs c'est encore, comme toujours, de la déclamation et non de l'éloquence. Cette fois pourtant nous trouvons un passage remarquable; c'est que l'idée est grande et peut comporter une forme oratoire; il s'agit de l'action de la Providence dans les événements humains : « Il est très-vrai qu'il y a quelque chose de divin, disons davantage, il n'y a rien que de divin dans les maladies qui travaillent les États. Ces dispositions et ces humeurs dont nous venons de parler, cette fièvre chaude de rébellion, cette léthargie de servitude viennent de plus haut qu'on ne s'imagine. Dieu est le poëte, et les hommes ne sont que les acteurs ; ces grandes pièces qui se jouent sur la terre ont été composées dans le ciel, et c'est souvent un faquin qui en doit être l'Atrée et l'Agamemnon. Quand la Providence a quelque dessein, il ne lui importe guère de quels instruments et de quels moyens elle se serve. Entre ses mains, tout est foudre, tout est tempête, tout est déluge, tout est Alexandre, tout est César elle peut faire par un enfant, par un nain, par un eunuque, ce qu'elle a fait par les géants et par les héros, par les hommes extraordinaires... Cette main invisible, ce bras qui ne paraît pas donnent les coups que le monde sent. Il y a bien je ne sais quelle hardiesse qui menace de la part de l'homme, mais la force qui accable est toute de Dieu. »

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Malgré l'emphase, qui ne disparaît jamais dans Balzac, cette page est belle; il n'y en a pas deux semblables dans le Socrate chrétien ni ailleurs.

Voiture est encore une gloire malheureuse, élevée bien haut en son temps, et entièrement tombée aujourd'hui. Voiture est un bel esprit. C'est le titre qu'il se donne dans ses ouvrages. Voici le portrait que fait de lui son neveu

Pinchesne, éditeur de ses lettres : « Il avoit plusieurs talents avantageux dans le commerce du monde, et entr'autres ceux de réussir admirablement en conversation familière, et d'accompagner d'une grâce qui n'estoit pas ordinaire tout ce qu'il vouloit faire ou qu'il vouloit dire. Il avoit la parole agréable, la rencontre heureuse, la contenance bien composée; et quoy qu'il fust petit et d'une complexion délicate, il estoit fort bien faict et extrêmement propre sur soy. Encore qu'il ait passé la meilleure partie de sa vie dans les divertissements de la cour, il ne laissoit pas d'avoir beaucoup d'étude et de connoissance des bons auteurs. Il possédoit bien ce qu'on appelle les belles-lettres et ce qui l'a fait valoir davantage est qu'il en sçavoit, autant que personne, le droit usage, et avoit une grande adresse à s'en servir. Quand il traittoit de quelque point de science, ou qu'il donnoit son jugement de quelque opinion, il le faisoit avec beaucoup de plaisir de ceux qui l'écoutoient, d'autant plus qu'il s'y prenoit toujours d'une façon galante, enjouée, et qui ne sentoit point le chagrin et la contention de l'escole. Il entendoit la belle raillerie, et tournoit agréablement en jeu les entretiens les plus sérieux. Cette merveilleuse adresse l'a fait bien accueillir des premiers seigneurs de la cour et des princes mesmes. » C'était un avantage sur Balzac que de voir de près la cour et les princes de son époque, que d'être << introducteur des ambassadeurs près son altesse royale, » que « d'avoir été longtemps à la cour d'Espagne par l'ordre et pour les affaires de son maistre Monseigneur le duc d'Orléans, où il a entretenu familièrement le comte-duc d'Olivarès, etc. » « Il aurait pu, dit M. Nisard, employer sa finesse d'esprit à pénétrer le fond de tant d'intrigues politiques, et sa plume à en écrire gravement; il aima mieux le plaisir que les affaires, et la vogue d'un bel-esprit que la considération d'un moraliste. » Le fond des lettres de Voiture n'est guère que de la galanterie, quand elles sont à l'adresse des femmes; ou de la flatterie, quand il écrit à des hommes. Aussi la lecture en est-elle à peine supportable. Il faut du courage pour aller chercher quelques traits heureux et naïfs dans cette multitude de lettres « toutes pures d'amour, pleines de feux, de flèches et de cœurs

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navrés, dont l'auteur, selon Mile de Bourbon, 'l'une des plus agréables précieuses de la cour, « devroit être conservé dans du sucre.» « Je trouve l'avis de Mlle de Bourbon excellent, écrit à ce propos Voiture (lettre 24), de me conserver dans du sucre; mais il en faudroit beaucoup pour adoucir tant d'amertumes: et j'aurois, après cela, le goût des petits citrons confits. » Ailleurs il écrit à Costar (lettre 125): « Si on fait de beaux discours à Balzac, on y fait aussi de bons disnez et je ne doute pas que vous n'ayez su goûter admirablement l'un et l'autre. Monsieur de Balzac n'est pas moins élégant dans ses festins que dans ses livres. Il est magister dicendi et cœnandi. Il a un certain air de faire bonne chère, qui n'est guères moins à estimer que sa rhétorique; et, entr'autres choses, il a inventé une sorte de potage que j'estime plus que le panégyrique de Pline et que la plus longue harangue d'Isocrate. » C'est partout ce genre d'esprit. Voilà ce que Pinchesne admirait, et ce qui lui faisait dire des lettres de son oncle : « Tu n'y trouveras pas une uniformité de style lassante et ennuyeuse; tu y verras les inventions, les figures et les paroles mesmes extrêmement variées, et tout y est écrit facilement et nettement avec un air et un agrément particuliers. » Malheureusement ce que Pinchesne prend pour de « l'agrément, » n'est presque toujours que de la prétention, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus déplacé dans le genre épistolaire.

Pour la poésie, Pinchesne reconnaît à son oncle « un beau génie, des passions tendres et bien couchées, et partout des grâces naturelles et naïves. » Le sonnet d'Uranie a eu autrefois une grande célébrité; mais Voiture n'est pourtant qu'un poëte médiocre à qui il arrive quelquefois de faire de jolis

vers.

Le bon côté de cet écrivain, c'est sa préoccupation de la langue. « Pour ce qui est des mots sur lesquels vous me consultez, écrit-il à Costar, je vous dirai ce que j'en ai appris, après m'en être informé. On dit : C'est un cordon bleu, et non pas il est cordon bleu. Procure et donaison ne valent rien. Recouvert et recouvré se disent... Croiriez-vous que cordonniers viennent de ce qu'ils donnent des cors? Je le fis l'autre jour croire à un bien honnête homme, etc.......... »

On sentait le besoin de fixer la langue, d'introduire des règles positives dans les ouvrages d'esprit, d'avoir une doctrine en littérature; l'Académie française vint faire, avec l'autorité d'une raison collective et générale, ce que les individus tentaient vainement de faire avec leur raison particulière; elle commence réellement pour nous le xvije siècle.

XVIIE SIÈCLE. FONDATION DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE. VAUGELAS; INFLUENCE DE SON LIVRE.

Une sorte d'académie avait été fondée, au XVIe siècle, par Antoine de Baïf. Dès les premières années du règne de Louis XIII, quelques esprits reprirent ce projet; et un littérateur, David Rivault, publia, en 1612, une petite brochure intitulée : le Dessein d'une académie et de l'introduction d'icelle en la cour. L'auteur proposait d'établir une académie qui s'étendrait à toutes les sciences, la théologie exceptée.

Vers 1630, un conseiller secrétaire du roi, Valentin Conrart, forma chez lui une réunion de littérateurs plus ou moins estimés. C'étaient Godeau, Gombauld, Chapelain, Géry, Habert, l'abbé de Cerisy, Serizay et Malleville. Introduit dans cette société par Malleville, Faret, à son tour, y amena Desmarets et l'abbé de Bois-Robert; celui-ci parla à son protecteur, le cardinal de Richelieu, qui, en 1634, fit offrir sa protection aux membres de l'assemblée, et proposa de la constituer en société publique. Malgré la résistance de Serizay, de Malleville et de plusieurs autres, qui voulaient que l'on refusât respectueusement le ministre, il fut décidé que l'abbé de Bois-Robert serait prié de remercier très-humblement M. le cardinal de l'honneur qu'il leur faisait, et de l'assurer qu'encore qu'ils n'eussent jamais eu une si haute pensée, et qu'ils fussent fort surpris du dessein de Son Éminence, ils étaient résolus de suivre sa volonté.

D'après les ordres de Richelieu, la société rédigea ellemême ses statuts, et prit le titre d'Académie française; auparavant elle était désignée indifféremment par les noms d'Académie des beaux - esprits, d'Académie d'éloquence, d'Académie éminente. Elle annonça clairement le but qu'elle

se proposait, dans un discours où l'on trouve plusieurs passages remarquables sur les destinées de la langue française. Il y est dit : « Qu'il semblait ne plus rien manquer à la félicité du royaume que de tirer du nombre des langues barbares cette langue que nous parlons... Que notre langue, déjà plus parfaite que pas une des autres vivantes, pourrait bien enfin succéder à la latine, comme la latine à la grecque, si on prenait plus de soin qu'on n'avait fait jusqu'ici de l'élocution; que les fonctions des académiciens seraient de nettoyer la langue des ordures qu'elle avait contractées, ou dans la bouche du peuple, ou dans la foule du palais et dans les impuretés de la chicane, ou par les mauvais usages des courtisans ignorants, ou par l'abus de ceux qui la corrompent en l'écrivant, et de ceux qui disent bien dans les chaires ce qu'il faut dire, mais autrement qu'il ne faut, etc. » Les lettres patentes de la fondation de l'Académie française furent signées le 2 janvier 1635. Pierre Séguier, alors garde des sceaux, y apposa le grand sceau en demandant à être inscrit sur le tableau des académiciens. Son exemple fut suivi par Montmort, maître des requêtes, par du Chastelet et Bautru, conseillers d'État, et par Servien, secrétaire d'État. Quelque temps après, Richelieu, auquel le roi avait accordé plein pouvoir, signa les statuts, en effaçant seulement l'article portant que chacun des académiciens promettait « de révérer la vertu et la mémoire de monseigneur leur protecteur. » L'Académie fut constituée d'une manière plus régulière sous Louis XIV, qu'elle eut pour protecteur et qui assigna quarante jetons de présence pour les quarante membres. Il lui fit en outre présent de six cents volumes, qui furent le commencement de la bibliothèque actuelle de l'Institut.

Grâce à la faveur royale, le titre d'académicien fut recherché par les grands seigneurs. « L'Académie devint alors, dit l'abbé de la Chambre, une académie glorieuse et triomphante... revêtue de la pourpre des cardinaux et des chanceliers, protégée par le plus grand roi de la terre.... remplie de princes de l'Église et du sénat, de ducs et de pairs, de ministres et de conseillers d'État... qui, se dépouillant tous de leur grandeur, se trouvaient heureusement confondus

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