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Le temps, qui toujours vire,
Riant de nos ennuis,

Bande son arc qui tire

Et noz jours, et noz nuicts.

Ses fleches empennees

Des siecles revolus

Emportent noz annees

Qui ne retournent plus.

Plusieurs de ces strophes sont très-belles, et il n'est pas impossible qu'elles aient inspiré Malherbe dans ses stances à Duperrier.

Du Bellay était revenu sourd d'Italie. Il adressa, à cette occasion, un Hymne de la Surdité à Ronsard :

Tout ce que j'ai de bon, tout ce qu'en moy je prise,
C'est d'estre, comme toy, sans fraude et sans feintise,
D'estre bon compaignon, d'estre à la bonne foy,
Et d'estre, mon Ronsard, demi-sourd comme toy:
Demi-sourd, o quel heur! pleust aux bons Dieux que j'eusse
Ce bonheur si entier, que du tout je le fusse!

En 1555, Eustache du Bellay, évêque de Paris et cousin du poëte, lui procura un canonicat de son église qu'il garda un an seulement. Il mourut d'apoplexie dans la nuit du 1er janvier 1560.

Joachim du Bellay a exercé sur la poésie française une influence heureuse; il a imprimé le mouvement de la réforme qui devait détrôner Marot, ou plutôt les médiocrités de son école; et quand les réformateurs sont allés trop loin, il a eu le courage de s'arrêter. En cédant à un autre le premier rang, il s'est fait une gloire moins brillante, mais peut-être plus pure et plus solide.

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Le retour violent du xvIe siècle vers le passé ne pouvait manquer d'entraîner le théâtre. La scène française ne connaissait encore d'autres pièces que les mystères et les moralités; Jodelle entreprit le premier de s'élever contre ces spectacles grossiers accrédités par une longue habitude. Ronsard était l'Homère et le Pindare de la Pléiade; du Bellay en était l'Ovide; Jodelle voulut en être le Sophocle et le Ménandre.

Jodelle (né à Paris en 1532) se fit connaître de bonne heure par des sonnets et quelques poésies lyriques; mais il ne tarda pas à se tourner tout entier vers le genre dramatique. Restaurer ou plutôt créer le théâtre sur le modèle de celui des Grecs, calquer les formes des anciens en les appliquant à un autre fond, répondre enfin aux besoins littéraires de la classe éclairée, c'était le projet d'un homme qui avait des vues élevées. Le jeune poëte commença par donner une tragédie d'après le système d'Aristote, et intitulée Cléopâtre captive. Cette tragédie n'est pas bonne; le style en est à la fois vulgaire et emphatique, et le langage négligé même pour le temps; mais on y trouve çà et là des morceaux énergiques, et surtout la progression de l'intérêt dramatique, chose jusque alors inconnue en France. Cette nouveauté fut accueillie avec enthousiasme. Elle fut d'abord représentée par les amis de l'auteur à l'hôtel de Reims; puis une seconde fois au collége de Boncour, « où toutes les fenêtres, dit Pasquier, estoient tapissées d'une infinité de personnages d'honneur, et la cour si pleine d'escoliers que les portes en regorgeoient. Je le dis, continue-t-il, comme celuy qui y estois présent avec le grand Tournebus (Turnèbe) en une mesme chambre; et les entre-parleurs estoient tous hommes de nom; car mesme Remy Belleau et Jean de la Péruse jouaient les principaux roullets. » Henri II donna à Jodelle «< cinq cens escus de son espargne, et lui fit tout plein d'autres grâces, d'autant que c'estoit chose nouvelle et très belle et très rare.»> Le poëte, encouragé par ce premier succès, fit la comédie d'Eugène ou la Rencontre. Il n'y eut plus alors assez de louanges pour lui; Ronsard s'écria des premiers:

Et lors Jodelle heureusement sonna
D'une voix humble et d'une voix hardie

La comédie avec la tragédie;

Et d'un ton double, ores bas, ores hault,
Remplit premier le françois eschaffault.

La tragédie de Didon se sacrifiant suivit de près. Si l'on en croit Charles de la Mothe, ami de Jodelle, celui-ci avait une grande facilité. « La plus longue et difficile tragédie ou comédie, ne l'a jamais occupé à la composer et escrire plus de dix matinées: même la comédie d'Eugène fut faite en

quatre traites. >> Malgré cette fécondité et ces succès qui semblaient devoir l'encourager, Jodelle n'a donné que ces trois pièces. « J'avois, dit-il, des tragédies et des comédies, les unes achevées, les autres pendues au croc, dont la pluspart m'avoient esté commandées par la reine et par Madame sœur duroy, sans que les troubles du temps eussent permis d'en rien voir, et j'attendois une meilleure occasion. » Il persista dans cet éloignement du théâtre, et lorsqu'en 1558 on vint lui demander quelque pièce pour représenter devant Henri II qui devait aller souper à l'hôtel de ville, il refusa, en ajoutant «< ce petit mot assez poétiquement dit, que cette année la fortune avoit trop tragiquement joué dedans ce grant échafaut de la Gaule, sans faire encore, par de faux spectacles. resaigner les véritables playes. » Il proposa seulement qu'ou lui permit d'inventer quelques mascarades ou muettes ou parlantes, accommodées aux circonstances, ce qu'on s'empressa d'accepter. En conséquence, on vit une représentation du navire des Argonautes, où Jodelle joua lui-même le personnage de Jason. Son dessein était que le vaisseau fût porté sur les épaules, que Minerve accompagnât les porteurs, qu'Orphée, l'un des Argonautes, marchât devant eux, sonnant et chantant, à la louange du roy, une petite chanson en vers françois, et que comme Orphée attiroit à lui les rochers, deux rochers le suivissent en effet avec musique au dedans. Mais tout fut mal exécuté; les acteurs ne savaient pas leurs rôles; lui-même se troubla, et la risée fit place aux applaudissements.

Jodelle, homme de plaisir et dissipateur, mourut de misère et d'infirmités en 1573, à l'âge de 41 ans.

Considérées en elles-mêmes, les œuvres de Jodelle sont au-dessous du médiocre; considérées dans leurs résultats, elles ont le mérite d'avoir ouvert, aux poëtes dramatiques qui suivirent, la véritable route du théâtre. Jodelle, au reste, avait conscience de son talent et ne craignait pas de se comparer à Ronsard. « Il me souvient, écrit Pasquier, que le gouvernant un jour sur sa poësie (ainsi vouloit-il estre chatouillé), il lui advint de me dire que si un Ronsard avoit le dessus d'un Jodelle le matin, l'après-dinée Jodelle l'emporteroit de Ronsard. >>

Il faut remarquer encore, au XVIe siècle, Larivey pour la fécondité de ses plans, la complication de ses imbroglios, ses saillies vives et franches, et une certaine verve rapide, abondante, parfois épaisse, qui tient à la fois de Plaute et de Rabelais. Il rebute souvent par ses obscénités. Quoi qu'il en soit, Larivey mérite, après l'auteur de Patelin, d'être regardé comme le plus comique et le plus facétieux de notre vieux théâtre. On peut citer surtout sa comédie des Esprits.

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Boileau, parlant de la chute de Ronsard, continue ainsi :
Ce poëte orgueilleux, trébuché de si haut,
Rendit plus retenus Desportes et Bertaut.

Cette retenue porte sur deux points. Premièrement, au lieu d'embrasser, comme Ronsard, tous les genres de poésies, depuis l'ode et l'épopée jusqu'à l'églogue et aux gaietés, ils firent choix de quelques genres auxquels ils se bornèrent; secondement, dans ce grand nombre de mots indiscrètement créés par le chef de la Pléiade, et étonnés de se trouver ensemble, ils eurent le bon goût de ne prendre que ceux qui leur parurent conformes au génie de notre langue. Au reste, c'est la tradition de Ronsard qui se continue en eux; Desportes surtout lui emprunte franchement le fond et le cadre de toutes ses poésies. Comme lui, il écrit des amours, des sonnets, des chansons, etc.; comme lui, il célèbre des passions de commande et des Iris en l'air; comme lui aussi, trop souvent il tombe dans des fadeurs insupportables, que rachètent un peu, mais que ne sauraient faire oublier un assez grand nombre de vers pleins de gràce, de douceur et de délicatesse.

Desportes avait fait dans sa jeunesse un voyage à Rome, où il prit même une connaissance parfaite de la langue ita– lienne. Il est probable que cette étude contribua pour quelque chose à sa vocation poétique; elle dut au moins la hâter. Ce fut, en effet, à son retour d'Italie qu'il publia ses premiers vers. Ils lui firent en peu de temps une grande réputation, et lui assurèrent de puissantes protections. Dès

Né à Chartres en 1546.

1570, nous le trouvons attaché au duc d'Anjou, qu'il suivit trois ans après en Pologne, lorsque le prince fut appelé à la couronne de ce royaume. Au bout de neuf mois, Desportes revint en France, laissant à la Pologne cet adieu peu flatteur: Adieu Pologne, adieu plaines désertes

Toujours de neige ou de glaces couvertes;
Adieu pays d'un éternel adieu.

Ton air, tes mœurs m'ont si fort sçeu déplaire,

Qu'il faudra bien que tout me soit contraire

Si jamais plus je retourne en ce lieu.

Il ajoutait, en terminant, ces vœux pour le nouveau roi de Pologne.

Fasse le ciel que ce valeureux prince

Soit bientôt roi de quelque autre province,

Riche de gens, de cités et d'avoir;

Que quelque jour à l'empire il parvienne,

Et que jamais ici je ne revienne,

Bien que mon cœur soit brûlant de le voir.

Ses souhaits ne tardèrent pas à s'accomplir; en 1574, le duc d'Anjou devenait roi de France, sous le nom d'Henri III. Il combla le poëte de biens. Il lui donna successivement l'abbaye de Tiron, au diocèse de Chartres, celle de Josaphat, au même diocèse, celle de Bonport, de l'ordre de Citeaux, au diocèse d'Evreux', etc. Desportes avait de ses bénéfices seuls dix mille écus de revenu, sans compter les libéralités particulières que lui valait sa muse. On dit qu'il reçut de Charles IX huit cents écus d'or pour sa pièce intitulée la Mort de Rodomont et sa Descente aux enfers, partie imitée de l'Arioste, partie de l'invention de l'auteur, et que Henri III le gratifia de dix mille écus pour le mettre en état de publier ses premiers ouvrages. « Mais, remarque Balzac dans un de ses entretiens, c'est un dangereux exemple; il a bien causé du mal à la nation des poëtes; il a bien fait faire des sonnets et des élégies à faux, bien fait perdre des rimes et des mesures. Ce loisir de dix mille écus de rente est un écueil contre lequel les espérances de dix mille poëtes se sont brisées. C'est un prodige de ce temps-là; c'est un miracle de Henri III, et vous m'avouerez que les miracles ne doivent pas être tirés en exemple >>

I mourut dans cette dernière abbaye, le 5 octobre 1606.

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