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décence. Il ne changea rien dans la langue, il perfectionna, en sorte qu'il semble avoir écrit depuis Ronsard'. Il fit de même pour la versification. La sienne est encore vicieuse à bien des égards: souvent il emploie jusqu'à douze rimes masculines ou féminines de suite; il n'évite point l'hiatus; il n'élide pas les voyelles muettes dans le courant du vers et les compte pour un pied. Mais le tour de ses vers est facile et élégant; il y a un art merveilleux dans la coupe et le rejet de son vers de dix syllabes et dans la composition de sa phrase poétique. Enfin il n'a pas inventé de genres nouveaux, mais il a fait fleurir, comme le dit Boileau, et porté au plus haut point de perfection plusieurs des genres connus: l'épître familière, la satire, l'épigramme, le madrigal confondu à cette époque avec l'épigramme. L'épître à François Ier sur un valet qui l'a dérobé, est un modèle qu'on n'a point surpassé; nous la citerons ici pour terminer:

EPITRE AU ROY

POUR LUI DEMANDER DE L'ARGENT A EMPRUNTER.
J'avais un jour un vallet de Gascongne,
Gourmant, yvrongne, et asseuré menteur,
Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart de cent pas à la ronde,
Au demeurant, le meilleur filz du monde.

Ce vénérable hillot fut adverti

De quelque argent, que m'aviez desparty,
Et que ma bourse avait grosse apostume:

Si se leva plus tost que de coutume,

Et me va prendre en tapinois icelle :

Puis la vous meit tres bien soubz son esselle,

Argent et tout (cela se doibt entendre

Et ne croy point que ce fust pour le rendre,
Car oneques puis n'en ay ouy parler.

Bref, le vilain ne s'en voulut aller

Pour si petit: mais encore il me happe

Saye et bonnet, chausses, pourpoint et cappe:

De mes habits en effect il pilla

Tous les plus beaux: et puis s'en habilla

Si justement qu'à le voir ainsi estre,

Vous l'eussiez prins (en plein jour) pour son maistre.

Finalement, de ma chambre il s'en va

Droit à l'estable, où deux chevaulx trouva:
Laisse le pire, et sur le meilleur monte,

La Bruyère.

Pique, et s'en va. Pour abreger le conte,
Soyez certain qu'au partir dudit lieu
N'oublia rien, fors à me dire adieu.

Ainsi s'en va chatouilleux de la gorge,
Ledit vallet, monté comme un sainct George,
Et vous laissa monsieur dormir son saoul:
Qui au réveil, n'eust sceu finer d'un soul:
Ce monsieur là (Sire) c'estoit moy mesme:
Qui sans mentir fuz au matin bien blesme,
Quand je me vy sans honneste vesture,
Et fort fasché de perdre ma monture:
Mais pour l'argent que vous m'aviez donné,
Je ne fuz point de le perdre estonné;
Car vostre argent (tres débonnaire prince)
Sans point de faulte est subject à la pince.
Bien tost apres ceste fortune là,
Une aultre pire encores se mêla

De m'assaillir, et chacun jour m'assault,
Me menaçant de me donner le sault,
Et de ce sault m'envoyer à l'envers,
Rithmer soubz terre, et y faire des vers.
C'est une longue et lourde maladie

De trois bons moys, qui m'ha toute estourdie
La povre teste, et ne veult terminer,
Ains me contraint d'apprendre à cheminer,
Tant foible suis.

Au miserable corps

(Dont je vous parle) il n'est demouré fors,
Le povre esprit qui lamente et soupire,
Et en pleurant tasche à vous faire rire.

Voilà comment depuis neuf moys en çà
Je suis traité. Or ce que me laissa

Mon larronneau, longtemps jà, l'ay vendu,
Et en sirops, et juleps despendu:

Ce neantmoins, ce que je vous en mande,
N'est pour vous faire ou requeste ou demande:
Je ne veulx point tant de gens ressembler,
Qui n'ont soucy aultre que d'assembler,
Tant qu'ilz vivront, ilz demanderont eulx;
Mais je commence à devenir honteux,
Et ne veulx plus à vos dons m'arrester.
Je ne dy pas, si voulez rien prester,
Que ne le prenne: il n'est point de presteur
(S'il veult prester) qui ne fasse un debteur.
Et sçavez vous (Sire) comment je paye?
Nul ne le sçait, si premier ne l'essaye.
Vous me debvrez ( si je puis) du retour,
Et vous feray encores un bon tour,
A celle fin, qu'il n'y ayt faulte nulle,

Je vous feray une belle cedule,

A vous payer (sans usure il s'entend)
Quand on verra tout le monde content:
Ou, si voulez, à payer ce sera
Quand vostre loz et renom cessera.

Je sçay assez, que vous n'avez pas peur,
Que je m'enfuye, ou que je sois trompeur;
Mais il fait bon asseurer ce qu'on preste.
Bref, vostre paye, ainsi que je l'arreste,
Est aussi seure, advenant mon trespas,
Comme advenant que je ne meure pas.

Advisez donc, si vous avez désir
De rien prester, vous me ferez plaisir.
Car puis un peu, j'ay basti à Clément,
Là où j'ai fait un grand desboursement:
Et à Marot, qui est un peu plus loing;
Tout tombera, qui n'en aura le soing.

Voilà le poinct principal de ma lettre
Vous savez tout, n'y faut plus rien mettre.
Rien mettre, las? Certes, et si feray,
Et ce faisant, mon style j'enfleray,
Disant, ô roy amoureux des neuf Muses,
Roy, en qui sont leurs sciences infuses,
Roy, plus que Mars d'honneur environné,
Roy, le plus roy qui fut onc coronné,
Dieu tout-puissant te doint pour t'estrener,
Les quatre coings du monde à gouverner,
Tant pour le bien de la ronde machine,
Que pour autant que sur tous en es digne.

Après Marot, le poëte le plus remarquable de cette époque est Mellin de Saint-Gelais. On trouve dans ses pièces des traits gracieux ou caustiques, mais souvent aussi de la mignardise et de l'afféterie. Plus versé que Marot dans les littératures italienne et espagnole, dont Catherine de Médicis. avait introduit le goût à la cour, il puise à ces deux sources plus de correction peut-être; mais il est loin d'en égaler le naturel et le laisser-aller. Ce fut lui qui le premier emprunta à l'Italie l'usage des sonnets, inconnus jusque alors en France.

A partir de là jusqu'à Ronsard, on n'a plus à citer que quelques histoires de Brodeau, quelques poésies de Héroet, de la Borderie, de Charles Fontaine, de Louise Labé la belle cordière de Lyon.

Cette période se termine brusquement par l'apparition sou

daine d'un fils impudent de Villon: c'était une protestation de la province contre les goûts plus raffinés de la cour. La légende de Maitre Pierre Faifeu forme le digne pendant des Repues franches, et les surpasse même en licence et en obscénité. Cette scandaleuse chronique est attribuée à Charles Bourdigné '.

RÉFORME POÉTIQUE. - RONSARD. LA PLÉIADE. BELLEAU. DU BELLAY.

Pendant que les faibles successeurs de Marot dissipaient en frivolités quelques talents poétiques, et jouissaient de la gloire et de l'autorité de leur maître plus que de celle qu'ils s'étaient acquise eux-mêmes, une génération nouvelle se préparait à leur enlever leur royauté littéraire. De jeunes poëtes pleins d'ardeur, nourris dans l'admiration des modèles antiques à l'école de Jean Dorat, érudit célèbre à cette époque, se prirent d'un profond dédain pour les œuvres légères de leurs devanciers, qu'ils traitaient d'épiceries. Un des plus intrépides et des plus habiles, Joachim du Bellay, dans son Illustration de la langue française, leva l'étendard de cette réforme littéraire. Le but était de remplacer une école par une autre, et de faire voir que la langue française, qui se prêtait si facilement à l'expression des idées familières, était capable aussi de noblesse et d'élévation. « Je ne puis assez blasmer la sotte arrogance et témérité d'aucuns de nostre nation, qui n'estans rien moins que Grecs ou Latins, desprisent et rejettent d'un sourcil plus que stoïque toutes choses escriptes en françois et ne me puis assez esmerveiller de l'estrange opinion d'aucuns savants, qui pensent que nostre vulgaire soit incapable de toutes bonnes lettres et érudition 2. » Voici maintenant le moyen: c'est de faire pour la langue française ce que les Romains firent autrefois pour le latin. « Que si les anciens Romains eussent esté aussi négligens à la culture de leur langue, quand premièrement elle commença à pulluler, pour certain en si peu de temps elle ne fût devenue si grande. Mais eux, en guise de bons agriculteurs, l'ont premièrement transmuée d'un lieu sauvage en un domestique; puis, afin que plus tost et

1 V. Charpentier. — 2 Ch. 1.

mieux elle peust fructifier, coupant à l'entour les inutiles rameaux, l'ont pour eschange d'iceux restaurée de rameaux francs et domestiques, magistralement tirez de la langue grecque, lesquels soudainement se sont si bien entez et faits semblables à leur tronc, que désormais n'apparoissent plus adoptifs mais naturels '. » Du Bellay ne doute pas qu'ainsi restaurée la langue française ne soit réservée à un brillant avenir: « Le temps viendra peut estre, et je l'espère moïennant la bonne destinée françoise, que ce noble et puissant royaume obtiendra à son tour les resnes de la monarchie, et que nostre langue (si avecques François n'est du tout ensevelie la langue françoise) qui commence encor' à jetter ses racines, sortira de terre, et s'eslevera en telle hauteur et grosseur, qu'elle se pourra egaler aux mesmes Grecques et Romains, produisant comme eux des Homeres, Demosthenes, Virgile et Ciceron, aussi bien que la France a quelquefois produit des Pericles, Nicias, Alcibiades, Themistocles, Cesar et Scipion 2. » La pensée de du Bellay était éminemment nationale; aussi s'élève-t-il contre les traductions : <«< Chacune langue, dit-il, a je ne sçay quoi propre seulement à elle, dont si vous efforcez d'exprimer le naïf en une autre langue, observant la loi de traduire qui est, n'espacier point hors des limites de l'auteur, votre diction sera contrainte, froide et de mauvaise grâce........ Beaucoup de choses, ajoute-t-il ingénieusement, surtout en poésie, se peuvent autant exprimer en traduisant, comme un peintre peut représenter l'ame avec le corps d'iceluy qu'il entreprent tirer au naturel 3. » Plus loin il s'indigne contre ces reblanchisseurs de murailles, qui jour et nuit se rompent la tête à imiter : « Que dy-je imiter! mais transcrire un Virgile et un Ciceron, bastissant leurs poëmes des hémistiches de l'un, et jurant en leurs proses aux mots et sentiments de l'autre, songeant (comme a dict quelqu'un) des peres conscripts, consuls, des tribuns, des comices, et toute l'antique Rome, non autrement qu'Homere, qui en sa Batrachomyomachie, adapte aux rats et grenouilles les magnifiques titres des dieux et déesses *. » Ce que veut du Bellay, ce n'est donc ni une traduction ni une imitation des anciens, c'est l'em

3

Ch. 1.2 Ibid. - -3 Ch. 5. - 4 Ch. 11.

des

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