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relatives à l'esprit ou à la pratique de la vie religieuse, et qui ont de plus l'avantage d'être applicables aux personnes qui, bien que retenues dans les embarras du siècle, ont néanmoins à cœur leur salut éternel.

L'Etendard de la sainte Croix nous montre l'esprit de saint François de Sales sous un nouveau jour. Ce n'est plus à de pieux fidèles, à des âmes dévotes qu'il s'adresse ici; c'est à des hérétiques qui accusent d'idolâtrie l'adoration que les catholiques rendent à la croix; il ne faut pas espérer de les toucher, c'est par la conviction qu'il faut triompher. Saint François de Sales saura prendre cette nouvelle manière. Il fera voir au ministre protestant qu'il combat, que l'honneur rendu à la croix par les catholiques n'est pas nouveau; que les chrétiens des premiers siècles en ont usé; que l'adoration, dans un certain sens, selon l'Écriture sainte elle-même, peut être rendue aux créatures, mais qu'il y en a un aussi, auquel elle n'est due qu'à Dieu; que c'est celui qui est marqué dans le décalogue; que les catholiques n'usent de l'adoration, prise en ce sens, qu'à l'égard de Dieu; qu'ainsi, ils ne peuvent être idolâtres, comme les calvinistes le leur reprochent; qu'enfin tout le culte que les catholiques rendent à la croix et aux choses saintes n'est que relatif et se rapporte entièrement à Dieu.

Mais en général c'est par le cœur que saint François de Sales emportait l'esprit. Il avait étudié « dans l'Évangile de Jésus-Christ une science lumineuse, à la vérité, mais encore plus ardente; et aussi, quoiqu'il sût convaincre, il savait bien mieux convertir.... Des traits de flamme sortaient de sa bouche, qui allaient pénétrer dans le fond des cœurs. Il savait que la chaleur entre bien plus avant que la lumière : celle-ci ne fait qu'effleurer et dorer légèrement la surface; la chaleur pénètre jusqu'aux entrailles, pour en tirer des fruits merveilleux, et y produire des richesses inestimables '. » C'est particulièrement dans ses sermons que saint François de Sales mit en usage cette douceur simple et touchante qui fait le fond de sa doctrine et de son caractère. On peut dire, sous ce rapport, qu'il opéra dans la chaire une révolution. Depuis l'apparition du lutheranisme, la plupart des prédiBossuet, ibid.

cateurs avaient imaginé de traiter la morale et la piété chrétienne, abstraction faite du dogme et des mystères. De là une éloquence vaine et fausse, roulant sur des phrases vides de sens, et plus remplie de l'esprit de la philosophie païenne que de l'esprit de l'Évangile. Saint François de Sales revint à l'Écriture sainte et aux Pères de l'Église, et sans effort, sans contrainte, il replaça l'éloquence sacrée sur sa véritable base, sur les mystères de la religion. « Il prêchait vraiment et tout à fait à l'apostolique, dit la plus illustre de ses filles en Jésus-Christ, et avec un zèle et désir nonpareil de la conversion et profit des âmes. J'ai reconnu clairement qu'il n'avait point d'autre prétention que celle-là en ses sermons; il ne pensait, en façon quelconque, d'être grand prédicateur, encore qu'il fût tel véritablement, et reconnu pour tel, au jugement de tout le monde, ni n'en prétendait la réputation. Il allait en chaire avec une grande humilité et dépendance du bon plaisir de Dieu; il était particulièrement admiré en la grande facilité et clarté qu'il avait à s'exprimer, et à donner une naïve et solide intelligence aux mystères les plus difficiles de notre sainte foi. »

Nous ne saurions passer sous silence, parmi les œuvres de saint François de Sales, ces confidences intimes de l'amitié qui, après l'auteur, nous feraient connaître l'homme, si l'un avait pu chez lui se distinguer de l'autre, mais qui du moins achèvent son portrait commencé par ses autres écrits. Les lettres de saint François de Sales s'adressent à tous les âges, à tous les états, à toutes les situations de la vie. Elles offrent à l'homme du monde un guide prudent et discret, qui, sans lui faire peur de la société où Dieu veut qu'il soit, le conduit doucement, et comme par la main, partout où son devoir l'appelle; elles enseignent à l'ecclésiastique la science délicate et difficile de la direction des âmes; elles rassurent la piété timorée des mères de famille, en leur montrant que le service de Dieu n'est pas incompatible avec les soins du ménage; elles mènent à la retraite, mais sans précipitation, sans contrainte, sans autre voix que celle d'en haut, les âmes d'élite que le ciel veut pour lui et qu'il se réserve particulièrement; puis, quand elles les ont retirées de la terre, séparées de toutes les affections qu'elles en pouvaient retenir,

détachées et comme ravies hors d'elles-mêmes, elles les élèvent par une sainte indifférence, qui n'est autre chose que le repos en Dieu, jusqu'au sublime degré de la perfection chrétienne. C'est surtout dans ses lettres à Mme de Chantal que saint François de Sales se livre à tous les élans de ces saints ravissements; il s'était fait entre eux une union ineffable, et ces deux cœurs s'étaient comme rencontrés en Dieu. Aussi n'ont-ils plus besoin de la prudence d'ici-bas; écrivant et pensant sous l'œil de Dieu même, toute la tendresse de leurs expressions s'épure au feu céleste de la charité.

LA POÉSIE FRANÇAISE DEPUIS VILLON. - CLÉMENT MAROT.

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« Les cinquante-quatre années qui séparent le Grand Testament de Villon des premières productions de Clément Marot (1461-1515), semblent avoir été aussi fertiles en faiseurs de vers que pauvres en véritables talents. Les imitateurs se partageaient désormais entre le genre du Roman de la Rose et celui des Repues franches. De jour en jour plus répandue et plus familière, sans devenir plus rigoureuse, la versification se prêtait à tout. Faute d'idées, on l'appliquait aux faits, comme dans l'enfance des nations: Guillaume Crétin chantait les Chroniques de France; Martial d'Auvergne psalmodiait le règne de Charles VII année par année; George Chastelain et Jean Molinet rimaient les choses merveilleuses arrivées de leur temps. Pour relever des vers que la pensée ne soutenait pas, on s'imposait de nouvelles entraves qui, loin d'être commandées par la nature de notre prosodie, en retardaient la réforme et ne laissaient place à nul agrément. Jean Molinet écrivait en tête d'un huitain: « Les huit vers ci-dessous se peuvent lire et retourner en trente-huit manières. » Si la rime avait longtemps été l'unique condition des vers, du moins nos anciens poetes l'avaient assez soignée; dans Villon surtout elle est fort riche. On ne s'en tint pas Molinet imagina de finir chaque vers par la même syllabe deux fois répétée, et rimer en son son, en ton ton, en bon bon; c'était proprement ramener la poésie à balbutier..... Dans le mauvais goût général, quelques auteurs conservaient

là:

encore un peu de naturel et de simplicité. De ce nombre est le moine Guillaume Alexis, que La Fontaine a honoré d'une imitation... Vers ce temps, Guillaume Coquillart, prêtre de Reims, se distingue par l'abondance de son style et le jeu facile de ses rimes redoublées. Jean Marot, grâce à quelques rondeaux et à deux ou trois chansons qu'on lit dans ses Voyages de Gênes et de Venise, ne semble pas indigne de son fils. Jean le Maire, historien érudit pour son temps et rimeur assez soutenu, a mérité aussi d'avoir Clément Marot pour élève, ou du moins de lui donner des conseils utiles de versification. C'est ainsi que la poésie atteignit, en se traînant, la fin du règne de Louis XII '. » Il appartenait au règne de François Ier de lui rendre son essor; à Marot était réservé l'honneur de représenter cette nouvelle ère de notre poésie.

Clément Marot, fils de Jean Marot, naquit à Cahors, en 1495.

A bref parler, c'est Cahors en Quercy,
Que je laissay pour venir querre icy
Mille malheurs 2.

il nous a tracé lui-même assez longuement, dans une églogue où il se donne le nom de Robin, les premières années de sa vie :

Sur le printemps de ma jeunesse folle.
Je ressemblois l'arondelle qui volle
Puis çà, puis là : l'aage me conduisoit,
Sans peur, ne soing, où le cueur me disoit.

Ces vers sont charmants; il n'en est pas de même de ceux qui suivent; nous y apprenons que le jeune Robin faisait gluz à prendre oyseaux ramages, ou bien qu'il allait abbatre des noix, desnicher la pie ou le geay, trouver les gistes des fouines, etc., toutes choses intéressantes peut-être, mais assez platement dites. Virgile a de pareils détails que son goût et sa sobriété ont su rendre poétiques; mais Marot n'avait de ressemblance avec Virgile que par le nom :

Maro s'appelle, et Marot je me nomme;

Marot je suis, et Maro ne suis pas

3

Quoi qu'il en soit, il paraît que Marot sentit de bonne

Sainte-Beuve, Poésie française au XVIe siècle. -2 L'Enfer.

-

3 lbid.

heure du goût pour la poésie; c'est encore lui qui nous le dit, il allait toujours cherchant les nids des chardonnets, etc., lorsque, continue-t-il :

Déjà pourtant je faisois quelques nottes

De chant rustique, et dessous les ormeaux
Quasi enfant sonnois des chalumeaux.

Jean Marot, heureux de trouver dans son fils ces dispositions précoces qui lui promettaient un digne héritier de ses talents poétiques, le mena à Paris dès l'âge de dix ans pour le faire étudier :

N'ayant dix ans, fus en France mené.

Marot regrette quelque part le temps qu'il perdit à ces études, et fait d'assez vilains compliments à ses maîtres à qui il s'en prend de son peu de succès :

En effet c'estoyent de grands bestes
Que les régens du temps jadis;
Jamais je n'entre en paradis

S'ils ne m'ont perdu ma jeunesse

Il ne faut pas toujours croire les poëtes; les régents d'alors n'étaient pas de si grands bestes que le prétend leur élève; il y avait des maîtres illustres; mais Marot, tout occupé déjà de poésie et de plaisir, n'était pas d'humeur à écouter patiem⚫ment leurs leçons trop sérieuses pour son caractère; il laissa là leur enseignement, en fit autant d'un bureau de chicane où son père l'avait mis au sortir des écoles, et entra comme page chez Nicolas de Neuville, seigneur de Villeroi. C'était la vie qui lui convenait; léger, jovial, railleur, plein de vanité, d'esprit, d'étourderie, il avait tout ce qu'il fallait pour réussir. Il ne tarda pas à passer en qualité de valet de chambre au service de Marguerite de Valois, duchesse d'Alençon et de Berri. Ce commerce des grands et des dames lui fit oublier vite son patois du Quercy; ce fut là, dit-il,

Que j'oubliay ma langue maternelle,

Et grossement apprins la paternelle,
Langue françoise es grands cours estimée,
Laquelle enfin quelque peu s'est limée 2.

Sa qualité de domestique d'une grande princesse, son
Epitre XL. II. 2 L'Enfer.

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