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ladite salle estoit tendue, en douze pieces, ou environ, sembloit estre moderne, et faicte expres, » c'est-à-dire qu'elle parlait avant que les orateurs eussent ouvert la bouche, et racontait d'avance la fureur de la guerre; ici on lisait : Si aqua non possum, ruina extinguam;

Ailleurs :

Super te, et super sanguinem tuum;

Plus loin encore :

State in galeis, polite lanceas,

Et induite vos loricis.

Enfin les États de la ligue viennent de s'ouvrir; chaque ligueur y prend place selon son rang, et les discours commencent; c'est le développement des indiscrètes révélations de la tapisserie; là on conspire tout haut et au grand jour; là on se vante ouvertement de ce que l'on cache et dissimule d'ordinaire avec tant de soin; là on expose sans détour, on explique, on met à nu les motifs intéressés de sa conduite; tout le monde se trahit avec une curieuse ingénuité. Et ce qui rend la chose plus piquante, c'est que cette confession que tous ont intérêt à ne point faire, mais qui leur échappe malgré eux et qu'ils font à leur insu, affecte le style et les allures habituelles des orateurs. La parole est d'abord à Monsieur le Lieutenant pour débiter sa harangue. Le duc de Mayenne, car c'est lui, ne saurait dire les choses simplement; son langage se développe dans des circonlocutions sans fin; il mêle le ton de la dévotion avec celui du spadassin; met ensemble, par un odieux amalgame, la sainteté et l'ambition, et rappelant ses exploits avec forfanterie, il croit pouvoir dire <«< comme un César catholique: Je suis venu, j'ay veu, j'ay vaincu.» Malgré ses grands mots, il avoue très-clairement qu'il a peur des armes de Henri IV, et de la paix qui lui semble possible; il s'y prend très-mal enfin pour devenir roi, ce que la tapisserie avait déjà fait entendre par cet écriteau proverbial:

Gardez-vous de faire le veau.

Monsieur le Légat succède à monsieur le lieutenant; sa harangue, dont Jacques Gillot est l'auteur, se compose de latin

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et d'italien, et peut se résumer en ces mots : guerra, guerra. Le cardinal de Pelvé prend ensuite la parole; il commence en français et continue en latin: «ut vobis, dit-il, intelligere faciam multa quæ gallica lingua non possunt exprimari. Fautes de français et de latin, quiproquo vulgaires, vérités cruelles exprimées dans une éloquence burlesque, voilà son discours. Cette spirituelle caricature est due au savant Florent-Chrestien et vaut mieux à elle seule que toutes ses traductions et tous les vers français qu'il a commis.

Monsieur de Lyon avait en son temps la réputation d'homme éloquent : l'emphase, la véhémence, avec la singulière naïveté que nous avons déjà trouvée dans Mayenne, tels sont les caractères que prête à sa harangue Nicolas Rapin. C'est encore Rapin qui fait parler Guillaume Roze, que ses amis, dans des vers latins composés en son honneur, appelaient « la rose des rois, la rose des princes, la rose des théologiens, etc., et que Bayle appelle « le plus enragé ligueur de France. » Le recteur Roze n'avait pas, dit-on, la tête trèssaine, et n'était pas toujours de l'avis général des chefs de la ligue; il osait même parfois leur résister en face; de là ces invectives et ces injures qu'il adresse à ceux de son parti; piquante diversion qui tourne au profit de la satire.

De Rieux se montre à son tour; de Rieux, sieur de Pierrefont, parle pour la noblesse de l'union, pour ces hommes qui ont toujours la main sur leur épée et sont prêts à la tirer au premier signal, pourvu qu'on veuille les payer. La tradition ne nomme point l'auteur de cette harangue; quelquesuns la croient de Pierre Le Roy; ne serait-elle pas plutôt de Passerat, qui avait relu Plaute plus de quarante fois, et qui retrouvait dans de Rieux le soldat fanfaron du comique latin?

Jusqu'ici la Ménippée n'est que satirique et bouffonne; elle va devenir noble et éloquente sous la plume de Pierre Pithou, auteur de la harangue de d'Aubray. Claude d'Aubray, ancien prévôt des marchands et secrétaire du roi, était regardé comme le chef des Politiques à Paris; rien ne lui coûtait pour fortifier son parti; aussi les zélés de l'union voyaientils en lui leur ennemi le plus dangereux; ils l'appelaient, par dépit, un homme perfide, couard et cruel; il était, au

contraire, habile, actif et courageux. Orateur du tiers-état, il dévoile les sophismes de ceux qui ont parlé avant lui, et c'est lui principalement qui fait ressortir les véritables intentions de la satire. Sa harangue, qui donne parfois dans les longueurs et la déclamation, est souvent vive et nerveuse, et s'élève jusqu'au pathétique de Démosthène et de Cicéron, lorsqu'il s'écrie: «O France! Paris qui n'es plus Paris, mais une véritable caverne de bêtes farouches, asile de meurtriers et d'assassins étrangers, ne veux-tu plus te souvenir de ta dignité?.... Tu endures qu'on pille tes maisons, qu'on te rançonne jusqu'au sang, qu'on massacre tes magistrats! tu le vois et tu l'endures tu le vois et tu l'approuves! et tu n'oserais pas même ne pas l'approuver! » L'assemblée consternée se sépare et descend par un escalier orné de tableaux dont on attribue la description à Pierre Leroy. Les épigrammes latines et françaises qui suivent sont de Passerat, de Rapin et de Giles Durand. Ce dernier est l'auteur du spirituel badinage intitulé Complainte de l'âne ligueur, où le nez camus du duc de Guise n'est pas épargné. Du reste, le plus profond secret fut gardé sur le nom de ces auteurs au temps de la ligue; ce n'est que dans le courant du XVIIe siècle qu'on les connut avec certitude.

Qui dit satire dit exagération; la Ménippée en est une preuve, et ses inventions n'ont pas toujours le mérite de la vraisemblance. Un autre défaut aussi grave, c'est la grossièreté où se laisse emporter la verve caustique des auteurs. Ce n'est pas sans doute par ce motif que Voltaire appelle quelque part la Satire Ménippée «un ouvrage très-médiocre. » Quoi qu'il en soit, ce jugement paraît peu réfléchi: la Ménippée est un ouvrage remarquable; elle a plu en son temps par ses portraits; elle plaît aujourd'hui parce que ces portraits sont des caractères; enfin, comme simple fait historique, elle intéresserait encore par la part qu'elle a eue dans le triomphe de Henri IV; c'est-à-dire, pour employer les termes d'un ingénieux critique, que la Satire Ménippée est tout à la fois «un pamphlet, une comédie et un coup d'État '. »

Nous devons ajouter un mot sur l'histoire au XVIe siècle. Jusqu'au xve siècle, le caractère de l'histoire a été religieux M. Saint-Marc-Girardin, Littérature française au XVIe siècle.

ou féodal; en entrant dans la période moderne, ce caractère change, et la royauté, déjà forte et puissante, y occupe une grande place. Au commencement du xvio, et jusqu'aux progrès de la réforme en France, la scène tout entière lui appartient; car elle règne sans rivale. Mais les guerres religieuses donnent alors à l'histoire une direction nouvelle; elle sera tour à tour catholique ou protestante, et par conséquent pleine de variété, mais souvent aussi empreinte d'un caractère passionné qui ne permettra pas toujours aux auteurs de voir les événements sous leur jour véritable.

L'histoire du chevalier Bayard, écrite par son secrétaire, qui prend le nom de loyal serviteur, rappelle, à quelques égards, l'énergie et la naïve simplicité de Comines. L'histoire des choses mémorables advenues au règne de Louis XII et de François Ier, par le maréchal de Fleurange, se recommande également par la simplicité et la naïveté du style; elle s'étend de 1449 à 1521. Les Discours politiques et militaires de Francois de la Noue, nous offrent l'un des premiers exemples d'une histoire écrite sous l'influence des passions religieuses. On y retrouve le gentilhomme protestant qui consacre sa plume au service de la cause qu'a soutenue son épée. Puis viennent les Commentaires de Blaise de Montluc, maréchal de France, ouvrage plein de jactance et de vanité, mais qui est une sorte de manuel indispensable aux gens de guerre, et qui a mérité d'être appelé par Henri IV la Bible des soldats. Les Mémoires de Pierre de Bourdeilles, plus connu sous le nom de Brantôme, se font remarquer par la piquante variété du récit et la naïveté du style; malheureusement l'auteur y oublie trop souvent le respect que tout historien doit à la vérité et à la pudeur. Sully figure aussi au nombre des auteurs de mémoires par ses Economies. C'est le livre d'un protestant zélé, mais d'un ministre intègre et habile. Cet ouvrage n'est d'ailleurs ni bien lié ni bien écrit. Quant à l'Histoire universelle de Théodore Agrippa d'Aubigné, elle porte, comme on l'a dit, l'empreinte de son âme, c'est-àdire qu'elle est écrite avec beaucoup de liberté, d'enthousiasme et de négligence. Le président de Thou avait mieux compris la majesté de l'histoire; il serait à la tête de tous ces écrivains, s'il n'avait eu l'idée de faire son histoire en

latin. On lui a reconnu assez de mérite pour l'appeler quelquefois le Tacite français. Son livre comprend tous les faits qui se sont passés depuis 1565 jusqu'à 1607.

SAINT FRANÇOIS DE SALES '.

Après avoir rencontré trop souvent, au xvre siècle, de ces personnages équivoques qu'on ne saurait estimer quoiqu'on les admire, et qu'on voudrait, s'il était possible, séparer d'eux-mêmes, on est heureux de pouvoir se reposer sur un auteur qui fut à la fois un grand saint, un grand homme et un écrivain distingué. Tous ces titres conviennent à saint François de Sales.

Né d'une famille où la piété n'était pas moins illustre que la noblesse, François de Sales suça avec le lait toutes les vertus chrétiennes, et la première langue qu'il apprit à parler fut celle de la charité. Il édifia dès son enfance. Sa jeunesse s'écoula comme un de ces beaux jours dont aucun nuage ne vient troubler la sérénité. L'étude des belles-lettres, funeste aux mœurs et mortelle pour la foi quand on en abuse et qu'on veut rendre son esprit complice de son cœur, ne fit que fortifier en lui les germes d'une sainteté précoce. Lorsqu'il eut achevé ses humanités au collége d'Annecy, il alla faire sa philosophie et sa théologie dans l'université de Paris; et en approfondissant également ces deux sciences qui devraient toujours rester sœurs et marcher ensemble, il se prépara, pour les luttes qui l'attendaient plus tard, des armes puissantes; puis, afin de suivre la justice éternelle de Dieu dans l'application qu'en font les hommes, il se rendit à Padoue où il s'appliqua avec un succès remarquable à la science du droit. Ses études terminées, il partit pour Rome. Il trouva dans la capitale du monde chrétien ce qu'il était venu y chercher, les vestiges subsistants de la piété primitive dont il voulait faire désormais la règle de sa conduite.

François de Sales rapporta donc dans sa patrie des connaissances étendues et des vertus éprouvées. Son retour réjouit l'Église. Granier, alors évêque de Genève, s'écria,

Saint François de Sales naquit le 21 du mois d'août 1567, au château de Sales, dans le duché de Savoie, au diocese de Genève.

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