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ces fonctions ne font pas leur travail suivant leur volonté et leur responsabilité.

C'est l'entreprise qui a affranchi successivement les fonctions du service ordinaire. Nous l'avons dit ailleurs, les maisons meublées, les grandes sociétés de transport, les entreprises de construction ont fait entrer le service dans une autre condition. Le service spécialise de plus en plus ses fonctions et règle par lui-même leur travail; c'est là un acheminement vers leur organisation par arrondissement ou district.

Les fonctions du service libéral jouissaient d'une plus grande considération. Cependant il n'était pas rare de voir comprendre parmi le personnel servile d'une grande maison des médecins et des hommes d'affaires. Quoi qu'il en soit, il n'est pas douteux que lorsque les médecins et les défenseurs judiciaires seront organisés de manière à intervenir spontanément toutes les fois que leur ministère l'exigera, les maladies invétérées que, par esprit d'économie ou faute de moyens, nous traînons après nous de génération en génération, les haines que les vieux procès propagent indéfiniment, disparaîtront, parce qu'on les anéantira à leur

source.

Les fonctions dont il nous reste à parler représentent principalement la politique. La souveraineté a été dans le passé une puissance factice qui s'est établie et s'est exercée principalement par la force et la ruse. C'était un monarque héréditaire ou une assemblée de privilégiés, avec ou sans le concours d'un sacerdoce, qui disposaient de tous les emplois publics de la société; tandis que les emplois particuliers formaient le domaine des chefs de famille, surtout des premières castes, classes ou maisons.

On nommait les directeurs ou sous-directeurs de toutes

les fonctions sans s'enquérir s'ils convenaient ou s'ils ne convenaient pas à ceux auxquels ils devaient donner des ordres, suivant ce principe que les souverains doivent s'imposer aux sujets bon gré mal gré.

Sans nous arrêter à chercher par quel motif les anciens s'en rapportaient plus ou moins volontairement à un pouvoir arbitraire du soin de disposer non-seulement des emplois publics, mais encore de leurs fortunes, nous ferons remarquer que ce qui légitime la souveraineté, c'est la vocation de ceux qui la représentent et l'emploi de cette vocation en faveur de tous.

Or, ces deux conditions manquaient à la souveraineté des sociétés passées, puisqu'elle se transmettait en général par droit de naissance, et qu'alors, le plus souvent, l'incapacité disposaît des emplois. De plus, comme les castes ou classes supérieures étaient seules souveraines, elles se servaient de ce privilége pour leur avantage propre. Aussi, pour venir en aide à la faiblesse de la souveraineté du monde qui nous a précédé, était-on obligé de l'entourer d'une auréole plus ou moins sacrée ou d'un appareil formidable. Les souverains s'arrogeaient volontiers les attributs de la Divinité. Les chefs de famille, de leur côté, s'octroyaient une certaine infaillibilité.

Il y a loin de là à la souveraineté qui résulte de la science positive et qui fait nommer les directeurs et sous-directeurs de toutes les fonctions par les travailleurs eux-mêmes, comme étant les plus intéressés et les plus capables de faire de bons choix.

Il ne faut pas en douter, c'est la faiblesse de l'homme, c'est son peu d'empressement à exercer ses droits, qui a donné naissance à cette souveraineté qui s'appuyait avant tout sur des préjugés et sur la force si favorable aux priviléges et si contraire à la vraie justice.

Dans les Etats-Unis, il est vrai, la souveraineté publique repose, dans les Etats qui n'ont point d'esclaves, sur le suffrage de tous. Mais le défaut de spécialisation des fonctions rend l'exercice de l'élection très-difficile. D'un autre côté, la puissance des chefs de famille, qui est dans ces républiques aussi arbitraire que partout ailleurs, enlève la majeure partie des emplois au suffrage universel.

Que pouvaient être les fonctions gouvernementales chez des peuples de souveraineté arbitraire ? Des délégations dépourvues de liberté et de responsabilité: presque toujours, du reste, la fonction gouvernementale se confondait avec la fonction souveraine, et l'on voyait le monarque ou l'assemblée souveraine prendre directement les mesures les plus graves, en sorte que les gouvernants n'avaient pour mission que de faire exécuter leurs ordres. Cependant la confusion de la fonction souveraine avec la fonction gouvernementale a plusieurs inconvénients. Elle ôte d'abord toute dignité et toute responsabilité aux administrateurs qni ne sont alors que de simples agents. D'un autre côté, les mauvaises mesures, les fraudes, les exactions que les administrations confuses entraînent toujours après elles, paraissant autorisées par le souverain, déshonorent son règne, affaiblissent son pouvoir et amènent les grandes catastrophes; parce que les sujets n'ayant point le recours suprême contre les oppressions gouvernementales, repoussent avec la même violence le gouvernant et le souverain qui pèsent sur eux.

Malgré ces inconvénients incontestables, les nations se sont passionnées pour ces gouvernements confus, qui résument en même temps la méthode ou l'autorité, la souveraineté et l'administration. De façon qu'encore aujourd'hui, du moment qu'une révolution éclate quelque part, les révolutionnaires n'ont rien de plus pressé à faire qué de

former, sous le nom de gouvernement provisoire, un pouvoir composé de vieilles illustrations qui n'ont aucun rapport avec les divers ordres de fonctions, comme si les ministres ou directeurs de chaque département ne pourraient pas constituer ce gouvernement. Aussi, ces sortes de pouvoirs parviennent-ils rarement à donner leur véritable sens aux révolutions, et leur impuissance ramène petit à petità l'ancien ordre de choses.

Cette manie des gouvernements artificiels se manifeste encore dans l'organisation des sociétés industrielles. Quand est-ce que les ingénieurs auront assez de crédit par euxmêmes pour mener à bonne fin avec le concours des travailleurs qui se rattachent à leur ordre de fonctions, les entreprises des ouvrages de construction. Ce ne sera pas en se donnant une direction titrée. Il s'agit plutôt de dégager l'inconnu, de mettre en relief les véritables travailleurs.

Nous nous dispenserons de caractériser les inconvénients de ces espèces de gouvernements privés que présente chaque famille, ni toutes les vexations qui en résultent pour les travailleurs.

Les fonctions de la surveillance ont été dans le passé plus ou moins confondues avec le gouvernement et dépendantes du souverain. L'inspection se faisait souvent moins en vue de constater l'infidélité des fonctionnaires que pour s'assurer de leur dévouement au souverain ou à son gouvernement. D'ailleurs, l'inspection était très-incomplète et laissait en dehors de son action les fonctions privées relatives soit à l'industrie, soit au commerce, etc., qui étaient livrées au bon vouloir des chefs de famille. Le contrôle des fonctions sera dans l'avenir une des plus puissantes garanties de l'ordre social, et il ne se fera plus par des délégués du souverain ou de son gouvernement et pour leur compte seule

ment, mais bien par une association fonctionnelle indépendante, placée au point de vue de l'inspection des directeurs de tous les travaux de la société.

Il en sera de même de la police; dans le passé encore, ce service a été gouvernemental; il suffisait quelquefois d'être soupçonné de peu de sympathie à l'égard du chef de l'Etat ou de ses ministres pour se trouver en butte à ses vexations. Ces fonctions, livrées à leur spontanéité propre suivant la loi générale, distinctes de l'inspection quoique leurs associées n'auront d'autre passion que celle de faire respecter les personnes et les biens de tous.

Les fonctions de la force armée complètent la série fonctionnelle. Il n'est que trop vrai encore que la force armée a été un instrument des souverains ou de leurs gouvernements; elle a servi dans presque tous les Etats jusqu'ici à faire prévaloir la volonté plus ou moins arbitraire qui était loin de traiter avec une égale faveur tous les organes de la société. La force armée a été partiale comme les souverains et leurs gouvernements, et a frappé leurs ennemis récalcitrants, souvent fort innocents devant la loi. Il n'en sera plus ainsi dans un monde où chaque ordre de fonctions est responsable de ses faits. C'est au nom de la loi que la force armée pourra être invoquée non-seulement par le souverain ou le gouvernement, mais encore par tous les autres ordres de fonctions qui se croiront lésés dans leurs droits, et ce sera le juge qui appréciera l'emploi légitime ou illégitime de la force armée.

La force armée cessera donc d'être un organe passif sous les ordres d'autrui, elle sera elle-même l'arbitre responsable de son action. Du reste, il est évident que la force armée ne sera plus une charge excessive pour chaque nation; car les peuples étant associés entre eux, l'esprit de conquête ne

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