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sa constitution aurait été inexpugnable et la reconnaissance de la société sans bornes pour le bien qu'il lui aurait fait.

Quoi qu'il en soit, la méthode papale a été acceptée avec quelques restrictions en France. Ainsi, pour tout ce qui se rattache à l'organisation des fonctions religieuses, à la nomination des titulaires, au casuel, à l'administration des affaires des églises, aux règlements extérieurs du culte catholique, les deux pouvoirs font tout leur possible pour s'entendre; il en est de même de ce qui concerne l'enseignement religieux. Quant aux règlements de la discipline intérieure du clergé, à la distribution des ordres ecclésiastiques, ils sont livrés à la dévotion du sacerdoce; de manière que les canons de l'Eglise et les lois françaises, assez souvent en opposition dans leur texte, s'accordent dans la pratique par des concessions réciproques, non sans de pénibles efforts.

CHAPITRE II.

MÉTHODE DE DESCARTES.

Tout le monde sait qu'il n'y a pas de société possible sans une méthode et une science pour lui servir de base. La société spirituelle avait sa méthode et sa science, dont nous avons essayé de donner une esquisse. Voici à son tour la méthode et la science de la société temporelle; car nous ne pouvons pas considérer l'entente équivoque du pouvoir papal et des souverains français, et les divers concordats qu'elle a enfantés, comme la véritable méthode et la véritable science de la société française.

Descartes a été le premier qui a pris la résolution, dans le XVII siècle et lorsque la France éprouvait vivement le besoin, tout en conservant sa foi religieuse, de donner une

certaine liberté à sa pensée, de se faire une méthode et une science indépendantes de celles qui dominaient.

Ainsi qu'il le raconte lui-même dans son premier discours, commençant par se dépouiller de tout ce qui lui avait été enseigné et dont il n'avait pas une conscience suffisante pour se faire une nouvelle instruction, il réduisit les préceptes nombreux et confus de la vieille logique pour n'en consacrer que quelques-uns des plus simples et des plus précis, « Ainsi, dit-il (1), au lieu de ce grand nombre de » préceptes dont la logique est composée, je crus que j'aurais «assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une fois à les » observer.

» Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose » pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle, » c'est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la

prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes ju»gements que ce qui se présenterait si clairement et si » évidemment à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion » de le mettre en doute.

» Le second, de diviser chacune des difficultés que j'exa» minerais en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.

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» Le troisième, de produire par ordre nos pensées en com>mençant par les objets les plus simples et les plus aisés à » connaître, pour monter peu à peu et par degrés jusqu'à » la connaissance des plus composés, et supposant même » de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturelle»ment les uns les autres.

» Et le dernier, de faire partout des dénombrements si

(1) Discours sur la méthode, page 18.

» entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne

>> rien omettre. »

« Après (1) m'être assuré de ces maximes et les avoir » mises à part avec les vérités de la foi, qui ont toujours été » les premières en ma créance, je jugeai que pour tout le » reste de mes opinions je pourrais librement entreprendre » de m'en défaire... >>

C'est après ce doute presque universel que Descartes arrive à son fameux axiome: Je pensé, donc je suis, qui est le point de départ de sa méthode.

<< Puis, examinant, dit-il (2), avec attention ce que j'étais, » et voyant que je ne pouvais feindre que je n'eusse un corps » et qu'il n'y avait aucun monde ni aucun lieu ou je fusse, » mais que je ne pouvais pas feindre pour cela que je n'étais › point...

» Je jugeai (3) que les choses que nous concevons fort » clairement et fort distinctement, étaient toutes vraies... » Ainsi, la première conviction de Descartes, après avoir formulé sa logique, fut celle-ci: Je pense, donc je suis ; il crut pouvoir affirmer la réalité de son existence parce qu'il était persuadé de sa pensée, et, partant de là, il'imagine qu'il pouvait admettre comme vrai ce que sa pensée lui présentait d'évident et de clair.

Nous reviendrons sur le mérite de la méthode de Descartes que Pascal et Port-Royal ont vulgarisée au point qu'elle est devenue nationale.

Pour le moment, nous remarquerons que cette méthode offre cette particularité de ne reconnaître la pensée et l'existence à l'homme qu'en matière temporelle, et nullement

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dans tout ce qui concernait les objets spirituels: de manière qu'on pouvait dire: Je pense, donc je suis, dans certains travaux intellectuels; je ne pense pas, donc je suis mort, dans d'autres. Ce qui démontre d'une manière péremptoire que la méthode cartésienne n'était point générale, mais seulement relative à certaines sciences.

Que si l'on prétendait que Descartes a été obligé de limiter sa pensée à cause de l'Eglise, que dans sa conviction sa méthode s'appliquait à tout, alors nous prouverions qu'il ne peut en être ainsi, que la méthode relative au raisonnement doit se subordonner à une méthode supérieure qui n'est obligée dans aucune circonstance de s'annihiler ni devant le pouvoir spirituel, ni devant le pouvoir temporel, à une méthode qui n'a rien d'arbitraire et n'exprime que les lois providentielles et les faits accomplis suivant ces lois.

En effet, d'abord reconnaissons que cet axiome: Je pense, donc je suis, ne donne qu'une conviction personnelle, que Descartes aurait été tout aussi fondé à dire : Je sens, donc je suis; j'aime l'équité, donc je suis; je marche, donc je suis. Il est évident que l'homme, dans tous ces cas, peut avoir la conscience de son identité, indépendamment de toute révélation divine.

Mais il s'agit d'établir les conditions de notre existence pour nous-même ou pour autrui : est-ce par le raisonnement et au moyen des axiomes, des définitions et des démonstrations que nous procéderons ?

Il ne s'agit pas de tout cela, mais bien de décrire les diverses faces de notre vie, de constater à nos yeux et aux regards de tous, les appareils qui constituent les organes de notre corps ou notre forme, l'action de nos organes, les propriétés et les rapports de nos organes.

Nous sommes obligés de décrire les facultés et les besoins

dont notre corps est doué, les facultés et les besoins spirituels, comme les facultés et les besoins physiques ou matériels; les moyens de prévenir nos organes, nos facultés et nos besoins légitimes de toute altération, les moyens de constater les atteintes qui les affectent, les moyens d'y porter remède.

Nous sommes contraints de décrire comment nos organes, nos facultés et nos besoins se trouveront consacrés convenablement dans la société.

D'un autre côté, lorsqu'il s'agit de révéler à nos semblables et à nous-même les autres systèmes de l'univers, ne sommesnous pas encore dans la nécessité de les décrire ou d'en faire l'analyse ? Ne sommes-nous pas dans l'obligation, notamment, de décrire les attributs de Dieu, d'après les facultés de sa créature, par excellence, l'homme ?

- Pourquoi donc ne pas reconnaître que la méthode scientifique n'est autre chose que la méthode descriptive ou positive, que rien ne se trouve en dehors de son domaine et que nul n'a le droit de s'en plaindre, parce qu'elle ne consacre que ce qui est par les lois du Créateur, indépendamment de tout système.

On objectera, peut-être, que l'axiome: Je pense, donc je suis, a une double puissance, qu'il nous donne conscience de notre existence, et, en même temps, la faculté de rai

sonner.

Mais cela ne change en aucune sorte notre manière de voir, cár, en matière de méthode, il ne s'agit pas d'établir avant tout que l'homme pense ; c'est par les études physiologiques, dont la psychologie est une branche, qu'on s'occupe des facultés de l'âme. Aucun homme, sain d'esprit, ne doute que l'homme pense, même avant d'avoir compris la physiologie; mais il s'agit de savoir comment nous devons

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