Revenez, revenez, ô mes tristes pensées ! Je veux rèver, et non pleurer.
Un arbuste épineux, à la pâle verdure, Est le seul monument que lui fit la nature : Battu des vents de mer, du soleil calciné, Comme un regret funèbre au cœur enraciné, Il vit dans le rocher sans lui donner d'ombrage; La poudre du chemin y blanchit son feuillage; Il rampe près de terre, où ses rameaux penchés Par la dent des chevreaux sont toujours retranchés : Une fleur au printemps, comme un flocon de neige, Y flotte un jour ou deux ; mais le vent qui l'assiége L'effeuille avant qu'elle ait répandu son odeur, Comme la vie avant qu'elle ait charmé le cœur ! Un oiseau de tendresse et de mélancolie
S'y pose pour chanter sur le rameau qui plie! Oh! dis, fleur que la vie a fait sitôt flétrir, N'est-il pas une terre où tout doit refleurir?
Remontez, remontez à ces heures passées! Vos tristes souvenirs m'aident à soupirer. Allez où va mon âme, allez, ô mes pensées ! Mon cœur est plein, je veux pleurer.
Voilà les feuilles sans séve Qui tombent sur le gazon; Voilà le vent qui s'élève Et gémit dans le vallon; Voilà l'errante hirondelle
Qui rase du bout de l'aile L'eau dormante des marais; Voilà l'enfant des chaumières Qui glane sur les bruyères Le bois tombé des forêts.
L'onde n'a plus le murmure Dont elle enchantait les bois; Sous des rameaux sans verdure Les oiseaux n'ont plus de voix; Le soir est près de l'aurore; L'astre à peine vient d'éclore, Qu'il va terminer son tour; Il jette par intervalle Une lueur, clarté pâle Qu'on appelle encore un jour.
L'aube n'a plus de zéphyre Sous ses nuages dorés ; La pourpre du soir expire Sous les flots décolorés; La mer solitaire et vide N'est plus qu'un désert aride Où l'œil cherche en vain l'esquif; Et sur la grève plus sourde La vague orageuse et lourde N'a qu'un murmure plaintif.
La brebis sur les collines Ne trouve plus le gazon; Son agneau laisse aux épines Les débris de sa toison;
La flûte aux accords champêtres
Ne réjouit plus les hêtres
Des airs de joie ou d'amours,
Toute herbe aux champs est glanée :
Ainsi finit une année,
Ainsi finissent nos jours!
C'est la saison où tout tombe. Aux coups redoublés des vents; Un vent qui vient de la tombe Moissonne aussi les vivants: lls tombent alors par mille, Comme la plume inutile Que l'aigle abandonne aux airs, Lorsque des plumes nouvelles Viennent réchauffer ses ailes A l'approche des hivers.
C'est alors que ma paupière Vous vit pâlir et mourir, Tendres fruits qu'à la lumière Dieu n'a pas laissé mûrir! Quoique jeune sur la terre, Je suis déjà solitaire Parmi ceux de ma saison;
Et quand je dis en moi-même :
«Où sont ceux que ton cœur aime?»> Je regarde le gazon.
Leur tombe est sur la colline,
Mon pied le sait : la voilà!
Mais leur essence divine, Mais eux, Seigneur, sont-ils là? Jusqu'à l'indien rivage
Le ramier porte un message Qu'il rapporte à nos climats ; La voile passe et repasse: Mais de son étroit espace Leur âme ne revient pas.
Ah! quand les vents de l'automne Sifflent dans les rameaux morts, Quand le brin d'herbe frissonne, Quand le pin rend ses accords, Quand la cloche des ténèbres Balance ses glas funèbres, La nuit, à travers les bois, A chaque vent qui s'élève, A chaque flot sur la grève, Je dis: «N'es-tu pas leur voix? »
Du moins, si leur voix si pure Est trop vague pour nos sens, Leur âme en secret murmure De plus intimes accents;
Au fond des cœurs qui sommeillent, Leurs souvenirs qui s'éveillent Se pressent de tous côtés, Comme d'arides feuillages Que rapportent les orages Au tronc qui les a portés.
C'est une mère ravie A ses enfants dispersés, Qui leur tend, de l'autre vie, Ces bras qui les ont bercés; Des baisers sont sur sa bouche; Sur ce sein qui fut leur couche Son cœur les rappelle à soi; Des pleurs voilent son sourire, Et son regard semble dire:
« Vous aime-t-on comme moi ? »
C'est une jeune fiancée Qui, le front ceint du bandeau, N'emporta qu'une pensée
De sa jeunesse au tombeau :
Triste, hélas! dans le ciel mème, Pour revoir celui qu'elle aime Elle revient sur ses pas,
Et lui dit : «Ma tombe est verte! Sur cette terre déserte
Qu'attends-tu? Je n'y suis pas ! »
C'est un ami de l'enfance, Qu'aux jours sombres du malheur Nous préta la Providence
Pour appuyer notre cœur.
Il n'est plus; notre àme est veuve, Il nous suit dans notre épreuve, Et nous dit avec pitié :
« Ami, si ton âme est pleine, De ta joie ou de ta peine Qui portera la moitié ? »
C'est l'ombre pâle d'un père Qui mourut en nous nommant; C'est une sœur, c'est un frère Qui nous devance un moment. Sous notre heureuse demeure, Avec celui qui les pleure, Hélas! ils dormaient hier! Et notre cœur doute encore, Que le ver déjà dévore Cette chair de notre chair!
L'enfant dont la mort cruelle Vient de vider le berceau, Qui tomba de la mamelle Au lit glacé du tombeau; Tous ceux enfin dont la vie, Un jour ou l'autre ravie, Emporte une part de nous,
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