IMPRESSIONS FUNEBRES. La mort d'une Fiancée. Un soir des premiers jours de novembre, on me remit, au retour d'un bal, un billet et un paquet qu'un voyageur venant de Naples avait apportés pour moi de la poste en changeant de chevaux. Le voyageur inconnu me disait que, chargé pour moi d'un message important par un de ses amis, directeur d'une fabrique de corail de Naples, il s'acquittait en passant de sa commission; mais que, les nouvelles qu'il m'apportait étant tristes et funèbres, il ne demandait pas à me voir; il me priait seulement de lui accuser réception du paquet à Paris. J'ouvris en tremblant le paquet. Il renfermait, sous la première enveloppe, une dernière lettre de la fiancée; cette lettre ne contenait que ces mots : « Le docteur dit que je mourrai avant trois jours. Je veux te dire adieu avant de perdre mes forces. Oh! si tu étais là, je vivrais! Mais c'est la volonté de Dieu. Je te parlerai bientôt et toujours du haut du ciel. Aime mon âme! Elle sera avec toi toute ta vie. Je te laisse mes cheveux. Consacre-les à Dieu dans une chapelle de ton pays, pour que quelque chose de moi soit auprès de toi! >> Je restai anéanti, sa lettre dans les mains, jusqu'au jour. Ce n'est qu'alors que j'eus la force d'ouvrir la seconde enveloppe. Toute sa belle chevelure y était, telle qu'elle me l'avait montrée dans la cabane. Elle était encore mêlée avec quelques feuilles de bruyère. Je fis ce qu'elle avait ordonné dans son dernier vœu. Une ombre de sa mort se répandit dès ce jour-là sur mon visage et sur ma jeunesse. Douze ans plus tard je revins à Naples. Je cherchai ses traces. Il n'y en avait plus ni à la Margellina ni à Procida. La petite maison sur la falaise de l'île était tombée en ruines; elle n'offrait plus qu'un monceau de pierres grises au-dessus d'un cellier où les chevriers abritaient leurs chèvres pendant les pluies. Le temps efface vite sur la terre, mais il n'efface jamais les traces d'un premier regret dans le cœur qui l'a traversé. Pauvre Graziella! Bien des jours ont passé depuis ces jours. D'autres rayons de beauté et de tendresse ont illuminé ma sombre route. D'autres âmes se sont ouvertes à moi pour me révéler dans des cœurs de femme les plus mystérieux trésors de bonté, de sainteté, de pureté que Dieu ait animés sur cette terre, afin de nous faire comprendre, pressentir et désirer le ciel; mais rien n'a terni ta première apparition dans mon cœur. Plus j'ai vécu, plus je me suis rapproché de toi par la pensée. Ton souvenir est comme ces feux de la barque de ton père, que la distance dégage de toute fumée et qui brillent d'autant plus qu'ils s'éloignent davantage de nous. Je ne sais pas où dort ta dépouille mortelle, ni si quelqu'un te pleure encore dans ton pays; mais ton véritable sépulcre est dans mon âme. C'est là que tu es recueillie et ensevelie tout entière. Ton nom ne me frappe jamais en vain. J'aime la langue où il est prononcé. Il y a tou jours au fond de mon cœur une larme qui filtre goutte à goutte et qui tombe en secret sur ta mémoire pour la rafraîchir et pour l'embaumer en moi. Le premier regret. Sur la plage sonore où la mer de Sorrente Aux pas distraits de l'étranger. La giroflée y cache un seul nom sous ses gerbes, Lisant l'âge et la date en écartant les herbes, Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ? Je veux rêver, et non pleurer. Dit : « Elle avait seize ans ! » Oui, seize ans ! et cet âge Et jamais tout l'éclat de ce brûlant rivage Dans cette âme, avant elle, on voyait ses pensées ; Elle se confiait à la douce Nature Qui souriait sur nous, à la prière pure Qu'elle allait, le cœur plein de joie, et non de pleurs, Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées? Voyez, dans son bassin, l'eau d'une source vive Et s'y berce au milieu des étoiles du soir; De sa mort sur les flots avait semé la trace; Et l'azur éclatant de ce lac enchanté N'est plus qu'une onde obscure où le sable a monté. Ainsi, quand je partis, tout trembla dans cette âme ; Elle ne languit pas de doute en espérance, Et, semblable à l'oiseau, moins pur et moins beau qu'elle, Qui le soir pour dormir met son cou sous son aile, Elle s'enveloppa d'un muet désespoir, Et s'endormit aussi, mais, hélas ! loin du soir! Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ? Je veux rèver, et non pleurer. s; Elle a dormi quinze ans dans sa couche d'argile, D'un jour pieux et tendre éclaire encor mon cœur. Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ? |