les visite; que les cimes indomptées du mont Blanc, du Saint-Gothard, du Rigi, s'élancent à ses yeux dans le firmament, comme le drapeau teint par le ciel de la liberté ; que le lac des Quatre-Cantons montre une barque chancelante sur la cime bleue de ses vagues; que la cascade s'écroule en poussière du haut du Splughen, et se brise sur les rocs comme la tyrannie sur des cœurs libres; que les ruines d'une forteresse de l'Autriche assombrissent de leurs pans de murailles un mamelon d'Uri ou de Glaris, et qu'un rayon de soleil serein dore, au penchant d'un village, le velours vert d'une prairie où paissent les troupeaux, au son des clochettes et au ranz des vaches, l'imagination voit, à l'origine et au centre de toutes ces scènes, le chapeau élevé au sommet du sapin, l'archer condamné à viser la pomme sur la tête de son enfant, la pomme qui tombe traversée par la flèche; le père enchaîné au fond de la barque, domptant, la nuit, la tempête et sa propre colère pour sauver son bourreau; puis, quand le bourreau ingrat menace sa femme et ses trois fils d'une mort cruelle, cédant enfin à la nature, et frappant à mort le meurtrier. La naïveté de cette histoire ressemble à un poëme : c'est une idylle, où une seule goutte de sang brille parmi la rosée sur une feuille d'arbre et sur une touffe d'herbe. La Providence semble ainsi se complaire à donner à chaque peuple libre, pour fondateur de son indépendance, un héros fabuleux ou réel, conforme aux sites, aux meurs, au caractère de ces peuples: à un peuple rustique et pastoral comme les Suisses, un paysan héroïque; à un peuple fier et soulevé comme les Américains, un soldat honnête homme; deux symboles debout au berceau des deux libertés modernes pour personnifier leurs deux natures: ici, Tell avec sa flè che et sa pomme; là, Washington avec son épée et ses lois ! L'hiver. Des aiguilles de glace où s'éclairent ces monts Qui brise jour et nuit contre ces hautes plages, Les vagues de brouillards n'y reposent jamais; C'est l'apre craquement de la branche flétrie D'un souffle souterrain, continu, monotone, Plus de fètes du ciel sur ces cimes voilées, De l'oiseau dans son nid près de l'antre abrité, Que sous un ciel de pluie ou sur la plaine blanche Le vain courroux des vents berce au chaud sur sa branche. Plus l'avalanche gronde et roule de débris, Effleure par hasard la fenêtre au réveil, Formant des murs, des tours, de transparents châteaux, Des arches de saphir, des grottes où l'aurore Nous nous lançons la neige où nos doigts s'engourdissent; La mendiante. I J'étais partie par un beau soleil d'hiver d'une grange bien haut, bien haut, dans les montagnes, et je montais encore, sans savoir où, entre des gorges séparées par des torrents que je traversais sans les voir, parce qu'ils étaient recouverts d'une croûte de glace, et que les avalanches en tombant étaient venues se coucher sur la croûte de glace. On m'avait dit qu'il y avait beaucoup de chalets dispersés du côté de la Savoie, et que le monde y était doux et humain. Je pensais que je pourrais y gagner mon pain à filer de la laine noire ou à tiller du chanvre pendant l'hiver. Je marchais donc pieds nus avec confiance en Dieu, et avec espérance que ma vie de mendiante pourrait s'arrêter là; car j'avais toujours bien honte de manger, comme un chien sans maître, le pain d'autrui sans le gagner. Il était déjà trois ou quatre heures après midi : je le connaissais au soleil, que j'entrevoyais par moments à travers des nuages bas, lourds et gris, qui couraient, comme des troupeaux effarouchés, chassés par un grand vent. Les montagnes craquaient comme un pain chaud dont on brise la croûte; les sapins sifflaient, pliaient, cassaient par instants, et roulaient, les racines en l'air, la tête en bas, avec les avalanches de neige et de pierres, dans les profondeurs des ravins, dont je n'osais pas seulement regarder le fond. Je montais toujours sur le bord des abîmes, me retenant aux branches glacées contre le vent qui m'avait emporté mon chapeau, ma coiffe, mon peigne, qui me faisait fouetter mes cheveux sur le visage tout en sang, et qui semblait vouloir m'arracher ma robe et me jeter, nue comme la main, dans cette mer de neige en écume. Je criais, mais je n'entendais pas ma propre voix, tant la rafale emportait le son à mesure qu'il sortait des lèvres; c'était si fort, monsieur, qu'elle me faisait retourner les cils dans les yeux. En même temps ce vent enlevait de tels tourbillons de neige en la laissant retomber ensuite, que le ciel, la terre, l'air, la lumière, la neige, étaient confondus et ne formaient plus qu'un seul élément, moitié transparent, moitié ténébreux, moitié étouffant, moitié respirable, à travers lequel je m'avançais les bras tendus en avant, comme quand je vais au grenier ou à la cave sans lu |