avec les longues tresses de quelques femmes arabes ou de quelques esclaves noires qui vinrent nous visiter; elle admirait ces costumes, nouveaux pour elle; sa mère tressait les longues boucles de ses cheveux blonds, Â l'imitation des dames de Bayruth, ou lui arrangeait son châle en turban sur la tête. Je n'ai rien vu de plus ravissant, parmi tous les visages de femmes qui sont gravés dans ma mémoire, que la figure de Julia coiffée ainsi du turban d'Alep, avec la calotte d'or ciselé, d'où tombaient des franges de perles et des chaînes de sequins d'or, avec les tresses de ses cheveux pendantes sur ses deux épaules, et avec ce regard étonné levé sur sa mère et sur moi, et ce sourire qui semblait nous dire : « Jouissez, et voyez comme je suis belle aussi ! >> Après avoir parlé cent fois de la patrie, et nommé tous les noms des lieux et des personnes qu'un souvenir commun pouvait nous rappeler; après que nous nous fumes donné tous les renseignements mutuels qui pouvaient nous intéresser, on parla de poésie: Mme Jorelle me pria de lui faire entendre quelques morceaux de poésie française, et nous traduisit elle-même quelques fragments de poésie d'Alep. Je lui dis que la nature était toujours plus complétement poétique que les poëtes, et qu'elle-même en ce moment, à cette heure, dans ce beau site, à ce clair de lune, dans ce costume étranger, avec cette pipe orientale à la main et ce poignard à manche de diamant à sa ceinture, était un plus beau sujet de poésie que tous ceux que nous avions parcourus par la seule pensée. Et comme elle me répondit qu'il lui serait très-agréable d'avoir un souvenir de notre voyage à envoyer à son père à Alep, dans quelques vers faits pour elle, je me retirai un moment, et je lui rap portai les vers suivants, qui n'ont de mérite que le lieu où ils furent écrits, et le sentiment de reconnaissance qui me les inspira: Qui? toi! me demander l'encens de poésie! Toi, fille d'Orient, née aux vents du désert! Fleur des jardins d'Alep, que Bulbul ' eût choisie Rapporte-t-on l'odeur au baume qui l'exhale ? Non, plus de vers ici! Mais si ton regard aime Dans l'eau de ce bassin 2 contemple--toi toi-même : Quand, le soir, dans le kiosque à l'ogive grillée, Quand, ta main approchant de tes lèvres mi-closes Ta bouche, en aspirant le doux parfum des roses, Quand le nuage ailé qui flotte et te caresse 1. Nom du rossignol en Orient. 2. Toutes les cours des maisons en Orient ont un jet d'eau au milieu et un bassin de marbre. Quand de l'Arabe errant tu dépeins la cavale Quand ton bras arrondi, comme l'anse de l'urne, Il n'est rien dans les sons que la langue murmure, Nous ne pouvions nous arracher à cette première scène de la vie arabe. Enfin nous allâmes, pour la première fois après trois mois, nous reposer dans nos lits et dormir sans craindre la vague. Un vent impétueux mugissait sur la mer, ébranlait les murs de la haute terrasse sous laquelle nous étions couchés, et nous faisait sentir plus délicieusement le prix d'un séjour tranquille après tant de secousses. La vérité. Avez-vous vu, le soir d'un jour mêlé d'orage, L'œil les voit s'enflammer sous son disque qui passe, Et dans ce voile ardent croit adorer sa trace: Voile impuissant! le jour sous l'obstacle étincelle! La nue à vos regards fond et se décolore; Et, le suivant en vain de nuage en nuage, L'infini. J'ai roulé des milliers de fois la pensée de l'infini dans mes yeux et dans mon esprit, en regardant du haut d'un promontoire ou du pont d'un vaisseau le soleil se coucher sur la mer; et plus encore en voyant l'armée des étoiles commencer, sous un beau firmament, sa revue et ses évolutions devant Dieu. Quand on pense que le télescope d'Herschell a compté déjà plus de cinq millions d'étoiles; que chacune de ces étoiles est un monde plus grand et plus important que ce globe de la terre; que ces cinq millions de mondes ne sont que les bords de cette création; que si nous parvenions sur le plus éloi gné, nous apercevrions de là d'autres abîmes d'espace infini comblés d'autres mondes incalculables, et que ce voyage durerait des myriades de siècles, sans que nous pussions atteindre jamais les limites entre le néant et Dieu, on ne compte plus, on ne chante plus: on reste frappé de vertige et de silence, on adore, et l'on se tait. Le ciel. Mais tandis, ô mon Dieu, qu'aux yeux de ton aurore Oui, sans cesse un monde se noie |