Vers improvisés sur un album. Le livre de la vie est le livre suprême La mer. O Dieu, vois sur les mers! le regard de l'aurore Qui, comme un cœur d'amour ou de joie oppressé, Et dans ses lames garde encore Le sombre azur du ciel que la nuit a laissé. Il roule sur lui-même, il s'allonge, il s'abime; Où va-t-il? Il revient, revomi par l'abîme; Puis enfin, chancelant comme une vaste tour, Ou comme un char fumant brisé dans la carrière, En flocons de lumière Roule, et disperse au loin tous ces fragments du jour. La barque du pêcheur tend son aile sonore, Le frein qui semble l'irriter. Le navire, enfant des étoiles, Luit comme une colline aux bords de l'horizon, Léviathan bondit sur ses traces profondes; L'eau berce, le mât secoue L'adoration. L'homme porte en soi deux instincts quand il pense à Dieu, le mystère et l'adoration. Le mystère, c'est l'œuvre de la raison humaine de l'élargir, de l'éclairer, de l'écarter toujours davantage, sans le dissiper complétement jamais. La prière, c'est le besoin du cœur de répandre sans cesse l'imploration utile ou inutile, entendue ou non, comme le parfum sur les pas de Dieu. Que ce parfum tombe sur les pieds de Dieu, ou qu'il tombe à terre, n'importe, il tombe toujours en tribut de faiblesse, d'humiliation et d'adoration!... Mais qui sait s'il est perdu? qui sait si la prière, cette communication sensible avec la toute-puissance invisible, n'est pas, en effet, la plus grande des forces naturelles ou surnaturelles de l'homme? Qui sait si la volonté suprême n'a pas voulu, de toute éternité, l'inspirer et l'exaucer dans celui qui prie, et faire participer ainsi l'homme lui-même par l'invocation au mécanisme de sa propre destinée? Qui sait enfin si Dieu, dans sa sollicitude éternelle pour les êtres émanés de lui, n'a pas voulu leur laisser ce rapport avec lui-même, comme la chaîne invisible qui suspend la pensée des mondes à la sienne? Qui sait si, dans la solitude majestueuse peuplée de lui seul, il n'a pas voulu que ce vivant murmure, que cette conversation inextinguible avec sa nature s'élevât et redescendit sans cesse, sur tous les points de l'infini, de lui à tous les êtres qu'il vivifie, qu'il embrasse et qu'il aime, et de tous ces êtres jusqu'à lui? Dans tous les cas, la prière est le plus sublime des priviléges de l'homme, puisque c'est celui qui permet de parler à Dieu; et Dieu fût-il sourd, nous le prierions encore; car si sa grandeur était de ne pas nous entendre, notre grandeur à nous serait de le prier. Les amis disparus. Ainsi nous mourons feuille à feuille, Ces contemporains de nos âmes, A ce chœur joyeux de la route Chaque jour l'hymne recommence, Ainsi dans la forêt voisine, Si l'homme, jaloux de leur cime, Il en reste un ou deux encore : L'écho, décimé d'arbre en arbre, Adieu les voix de notre enfance, Le narguilé. Quand la nuit fut venue, on nous servit un souper à l'européenne, dans un kiosque dont les larges fenêtres grillées ouvraient sur le port, et où le vent rafraîchissant du soir jouait dans la flamme des bougies. Je fis défoncer une caisse de vins de France que j'ajoutai à ce festin de l'hospitalité, et nous passâmes ainsi notre première soirée à causer des deux patries que nous quittions et que nous venions chercher : une question sur la France répondait à une question sur l'Asie. Julia jouait |