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paré dans votre solitude et dans votre repos. Mon âme court avec le flot d'une vie agitée et bruyante tout ce qui court écume; mais sous cette écume de la surface de ma vie, j'ai gardé cependant, comme ces coupes de rocher au fond de votre ravin, quelques gouttes claires des eaux de mon âme, où j'aime à réfléchir un coin du ciel, à contempler comme vous l'œuvre de Dieu. Je ne le sers pas comme vous de, toutes mes forces; cependant je l'aime et je le prie de tout mon cœur et de toute mon intelligence. Quelquefois même je lui chante des hymnes. Mais mon cantique ne vaut pas le vôtre, Claude; mes cantiques sont des mots qui remplissent l'oreille; les vôtres sont des actes qui servent les hommes. Je ne suis digne de votre entretien que par le goût que j'ai toujours eu pour les âmes où Dieu habite dans la simplicité et dans la vertu. A revoir donc, quand le hasard ou la chasse me ramèneront aux Huttes.

Je sortis de l'enclos; il m'accompagna jusqu'au seuil des Huttes. Son chien, ses moutons, ses chevreaux, les lapins eux-mêmes, le suivirent comme s'il les avait rappelés. Ces animaux apprivoisés avaient l'air de lui faire cortége et de comprendre son amitié pour eux. Je n'aurais pas été étonné de le voir suivre par les abeilles et par les insectes de l'enclos. Cet homme aurait apprivoisé les rochers et les arbres. Toute la nature, animée ou inanimée, et lui, semblaient s'entendre, vivre et s'aimer dans une mystérieuse et pieuse intelligence aux pieds de leur Créateur.

Souvenir de l'hospitalité reçue chez un ami.

O champs de Bienassis, maison, jardin, prairies,
Treilles qui fléchissaient sous leurs grappes mûries,
Ormes qui sur le seuil étendaient leurs rameaux,
Et d'où sortait le soir le chœur des passercaux,
Vergers où de l'été la teinte monotone

Pàlissait jour à jour aux rayons de l'automne,
Où la feuille en tombant sous les pleurs du matin
Dérobait à nos pieds le sentier incertain;

Pas égarés au loin dans les frais paysages,

Heures tièdes du jour coulant sous des ombrages,
Sommeils rafraîchissants goûtés au bord des eaux,
Songes qui descendaient, qui remontaient si beaux;
Pressentiments divins, intimes confidences,
Lectures, rèverie, entretiens, doux silences;
Table riche des dons que l'automne étalait,
Où les fruits du jardin, où le miel et le lait,
Assaisonnés des soins d'une mère attentive,
De leur luxe champêtre enchantaient le convive;
Silencieux réduits où des rayons de bois,
Par l'âge vermoulus et pliant sous le poids,
Nous offraient ces trésors de l'humaine sagesse
Où nos yeux altérés puisaient jusqu'à l'ivresse,
Où la lampe avec nous veillant jusqu'au matin
Nous guidait au hasard, comme un phare incertain,
De volume en volume; hélas! croyant encore
Que le livre savait ce que l'auteur ignore,
Et que la vérité, trésor mystérieux,

Pouvait être cherchée ailleurs que dans les cieux!
Scènes de notre enfance après quinze ans rêvées,
Au plus pur de mon cœur impressions gravées,

Lieux, noms, demeure, et vous, aimables habitants,
Je vous revois encore après un si long temps,
Aussi présents à l'œil que le sont des rivages
A l'onde dont le cours reflète les images,
Aussi frais, aussi doux que si jamais les pleurs
N'en avaient dans mes yeux altéré les couleurs;
Et vos riants tableaux sont à mon âme aimante
Ce qu'au navigateur battu par la tourmente
Sont les songes dorés qui lui montrent de loin
Le rivage chéri de son bonheur témoin,
L'ondoyante moisson que sa main a semée,
Et du toit paternel le seuil ou la fumée.

Tu n'as donc pas quitté ce port de ton bonheur?
Ce soleil du matin qui réjouit ton cœur,
Comme un arbre au rocher fixé par sa racine,
Te retrouve toujours sur la même colline;
Nul adieu n'attrista le seuil de ta maison;
Jamais, jamais tes yeux n'ont changé d'horizon;
L'arbre de ton aïeul, l'arbre qui t'a vu naître
N'a jamais reverdi sans ombrager son maître;
Jamais le voyageur, en voyant, du chemin,
Ta demeure fermée aux rayons du matin,
Trouvant l'herbe grandie ou le sentier plus rude,
N'a demandé, surpris de cette solitude,

Sur quels bords étrangers, dans quels lointains séjours
Le vent de l'inconstance avait poussé tes jours.
Ton verger ne voit pas une main mercenaire
Cueillir ces fruits greffés par ta main tutélaire,
Et ton ruisseau, content de son lit de gazon,
Comme un hôte fidèle à la même maison,
Vient murmurer toujours au seuil de ta demeure,
Et de la même voix t'endort à la même heure.
Ainsi tu vieilliras sans que tes jours pareils
Soient comptés autrement que par leurs doux soleils,
Sans que les souvenirs de ton heureuse histoire
Laissent d'autres sillons gravés dans ta mémoire

Que le cercle inégal des diverses saisons,

Des printemps plus tardifs, de plus riches moissons,
Tes pampres moins chargés, tes ruches plus fécondes,
Ou ta source sevrant ton jardin de ses ondes;
Sans avoir dissipé des jours trop tôt comptés,
Dans la poudre, ou le bruit, ou l'ombre des cités,
Et sans avoir semé, de distance en distance,
A tous les vents du ciel ta stérile espérance!

Ah! rends grâce à ton sort de ce flot lent et doux
Qui te porte en silence où nous arrivons tous,
Et, comme ton destin si borné dans sa course,
Dans son lit ignoré s'endort près de sa source!
Ne porte point envie à ceux qu'un autre vent
Sur les routes du monde a conduits plus avant,
Mème à ces noms frappés d'un peu de renommée !
Du feu qu'elle répand toute àme est consumée;
Notre vie est semblable au fleuve de cristal

Qui sort, humble et sans nom, de son rocher natal;
Tant qu'au fond du bassin que lui fit la nature,
Il dort, comme au berceau, dans un lit sans murmure,
Toutes les fleurs des champs parfument son sentier,
Et l'azur d'un beau ciel y descend tout entier ;
Mais à peine, échappés des bras de ses collines,
Ses flots s'épanchent-ils sur les plaines voisines,
Que, du limon des eaux dont il enfle son lit,
Son onde, en grossissant, se corrompt et pâlit;
L'ombre qui les couvrait s'écarte de ses rives;
Le rocher nu contient ses vagues fugitives;

Il dédaigne de suivre, en se creusant son cours,
Des vallons paternels les gracieux détours;
Mais, fier de s'engouffrer sous des arches profondes,
Il y reçoit un nom bruyant comme ses ondes;
Il emporte, en fuyant à bonds précipités,
Les barques, les rumeurs, les fanges des cités;
Chaque ruisseau qui l'enfle est un flot qui l'altère,

Jusqu'au terme où, grossi de tant d'onde adultère,
Il va, grand mais troublé, déposant un vain nom,
Rouler au sein des mers sa gloire et son limon.
Heureuse au fond des bois la source pauvre et pure!
Heureux le sort caché dans une vie obscure!

Nous parlions autrement, à l'âge où l'avenir
Dans nos seins palpitants ne pouvait contenir,
Et débordait pour nous de la coupe de vie,
Comme un jus écumant d'une urne trop remplie.
A cet âge enivré, la gloire est à nos yeux
Ce qu'à l'œil des enfants qui regardent les cieux
Est l'astre de la nuit, dont l'orbe, près d'éclore,
Au sommet qu'il franchit semble toucher encore.
L'un d'eux, quittant ses jeux pour la douce splendeur,
Croit que pour s'emparer du disque tentateur,
Et pour se revêtir de la lueur divine,

Il n'a qu'à faire un pas sur la sombre colline :
Il s'avance, l'œil fixe et les bras entr'ouverts;
Et le globe de feu suspendu dans les airs,
Comme pour prolonger sa crédule espérance,
A hauteur de la main un moment se balance.
Il monte; mais déjà dans l'azur étoilé,
Quand il touche au sommet, l'astre s'est envolé,
Et, fuyant dans le ciel de nuage en nuage,
Est aussi loin déjà des monts que de la plage.
Confus de son erreur, il revient sur ses pas;
Et les fils du hameau qui sont restés en bas,
Occupés à choisir des fleurs au sein des plaines,
Ou des cailloux polis dans le lit des fontaines,
Sans songer à cet astre objet de ses regrets,
Au fond de la vallée en étaient aussi près !...

Mais quand ce feu céleste éblouirait ton âme,
Quand tu le poursuivrais sur un désir de flamme,
Dans ces vieux jours du monde avares de vertu,

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