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Dont tous les sentiments coulent en mélodies,
Que l'on aime à porter avec soi dans les bois,
Comme on aime un écho qui répond à nos voix !
'Ou bien c'était encor quelque touchante histoire
D'amour et de malheur, triste et bien dure à croire :
Virginie arrachée à son frère, et partant,

Et la mer la jetant morte au cœur qui l'attend!
Je la mouillais de pleurs et je marquais le livre,
Et je fermais les yeux et je m'écoutais vivre;
Je sentais dans mon sein monter comme une mer
De sentiment doux, fort, triste, amoureux, amer,
D'images de la vie et de vagues pensées
Dans les flots de mon âme indolemment bercées,
Doux fantômes d'espoir dont j'étais créateur,
Drames mystérieux, et dont l'étais l'acteur.
Puis, comme des brouillards après une tempète,
Tous ces drames conçus et joués dans ma tète
Se brouillaient, se croisaient, l'un l'autre s'effaçaient;
Mes pensers soulevés comme un flot s'affaissaient;
Les gouttes se séchaient au bord de ma paupière,
Mon âme transparente absorbait la lumière,
Et, sereine et brillante avec l'heure et le lieu,
D'un élan naturel se soulevait à Dieu.

Tout finissait en lui comme tout y commence,
Et mon cœur apaisé s'y perdait en silence;
Et je passais ainsi, sans m'en apercevoir,
Tout un long jour d'été, de l'aube jusqu'au soir,
Sans que la moindre chose intime, extérieure,
M'en indiquât la fuite, et sans connaître l'heure
Qu'au soleil qui changeait de pente dans les cieux,
Au soir plus pâlissant sur mon livre ou mes yeux,
Au serein qui de l'herbe humectait les calices :
Car un long jour n'était qu'une heure de délices!

Prière d'une servante.

Mon Dieu! faites-moi la grâce de trouver la servitude douce et de l'accepter sans murmure, comme la condition que vous nous avez imposée à tous en nous envoyant dans ce monde. Si nous ne nous servons pas les uns les autres, nous ne servons pas Dieu, car la vie humaine n'est qu'un service réciproque. Les plus heureux sont ceux qui servent leur prochain sans gages, pour l'amour de vous. Mais nous autres, pauvres servantes, il faut bien gagner le pain que vous ne nous avez pas donné en naissant. Nous sommes peut-être plus agréables encore à vos yeux pour cela, si nous savons comprendre notre état; car, outre la peine, nous avons l'humiliation du salaire que nous sommes forcées de recevoir pour servir souvent ceux que nous aimons.

Nous sommes de toutes les maisons, et les maisons peuvent nous fermer leurs portes; nous sommes de toutes les familles, et toutes les familles peuvent nous rejeter; nous élevons les enfants comme s'ils étaient à nous, et, quand nous les avons élevés, ils ne nous reconnaissent plus pour leurs mères; nous épargnons le bien des maîtres, et le bien que nous leur avons épargné s'en va à d'autres qu'à nous! Nous nous attachons au foyer, à l'arbre, au puits, au chien de la cour, et le foyer, l'arbre, le puits, le chien, nous sont enlevés quand il plaît à nos maîtres; le maître meurt, et nous n'avons pas le droit d'être en deuil! Parentes sans parenté, familières sans familles, filles sans mères, mères sans

enfants, cœurs qui se donnent sans être reçus; voilà le sort des servantes devant vous! Accordez-moi de connaître les devoirs, les peines et les consolations de mon état; et, après avoir été ici-bas une bonne servante des hommes, d'être là-haut une heureuse servante du maître parfait !

La paix.

Roule, libre et superbe entre tes larges rives,
Rhin, Nil de l'Occident, coupe des nations!
Et des peuples assis qui boivent tes eaux vives
Emporte les défis et les ambitions!

Il ne tachera plus le cristal de ton onde,

Le sang rouge du Franc, le sang bleu du Germain;
Ils ne crouleront plus sous le caisson qui gronde,

Ces ponts qu'un peuple à l'autre étend comme une main !
Les bombes et l'obus, arc-en-ciel des batailles,

Ne viendront plus s'éteindre en sifflant sur tes bords;
L'enfant ne verra plus du haut de tes murailles
Flotter ces poitrails blonds qui perdent leurs entrailles,
Ni sortir des flots ces bras morts!

Roule libre et limpide, en répétant l'image
De tes vieux forts verdis sous leurs lierres épais,
Qui froncent tes rochers, comme un dernier nuage
Fronce encor les sourcils sur un visage en paix.

Ces navires vivants dont la vapeur est l'âme
Déploieront sur ton cours la crinière du feu;
L'écume à coups pressés jaillira sous la rame,
La fumée en courant léchera ton ciel bleu.

Le chant des passagers, que ton doux roulis berce,
Des sept langues d'Europe étourdira tes flots,
Les uns tendant leurs mains avides de commerce,
Les autres allant voir, aux monts où Dieu le verse,
Dans quel nid le fleuve est éclos.

Roule libre et béni! Ce Dieu qui fond la voûte
Où la main d'un enfant pourrait la contenir,
Ne grossit pas ainsi ta merveilleuse goutte
Pour diviser ses fils, mais pour les réunir!
Pourquoi nous disputer la montagne ou la plaine?
Notre tente est légère, un vent va l'enlever;

La table où nous rompons le pain est encor pleine,
Que la mort, par nos noms, nous dit de nous lever!
Quand le sillon finit, le soc le multiplie;
Aucun œil du soleil ne tarit les rayons;
Sous le flot des épis la terre inculte plie
Le linceul, pour couvrir la race ensevelic,
Manque-t-il donc aux nations?

Roule libre et splendide à travers nos ruines, Fleuve d'Arminius, du Gaulois, du Germain! Charlemagne et César, campés sur tes collines, T'ont bu sans t'épuiser dans le creux de leur main.

Et pourquoi nous haïr, et mettre entre les races
Ces bornes ou ces eaux qu'abhorre l'œil de Dieu?
De frontières au ciel voyons-nous quelques traces?
Sa voûte a-t-elle un mur, une borne, un milieu?
Nations, mot pompeux pour dire barbarie,
L'amour s'arrête-t-il où s'arrêtent vos pas?
Déchirez ces drapeaux ; une autre voix vous crie
" L'égoïsme et la haine ont seuls une patrie;
La fraternité n'en a pas ! »

Roule libre et royal entre nous tous, ô fleuve!

Et ne t'informe pas, dans ton cours fécondant,
Si ceux que ton flot porte ou que ton urne abreuve
Regardent sur tes bords l'aurore ou l'occident.

Ce ne sont plus des mers, des degrés, des rivières,
Qui bornent l'héritage entre l'humanité :
Les bornes des esprits sont leurs seules frontières;
Le monde en s'éclairant s'élève à l'unité.

Ma patrie est partout où rayonne la France,
Où son génie éclate aux regards éblouis!
Chacun est du climat de son intelligence;
Je suis concitoyen de toute âme qui pense :
La vérité, c'est mon pays!

Roule libre et paisible entre ces fortes races
Dont ton flot frémissant trempa l'âme et l'acier;
Et que leur vieux courroux, dans le lit que tu traces,
Fonde au soleil du siècle avec l'eau du glacier!

Vivent les nobles fils de la grave Allemagne!

Le sang-froid de leur front couvre un foyer ardent ;
Chevaliers tombés rois des mains de Charlemagne,
Leurs chefs sont les Nestors des conseils d'Occident.
Leur langue a les grands plis du manteau d'une reine,
La pensée y descend dans un vague profond;
Leur cœur sûr est semblable au puits de la sirène,
Où tout ce que l'on jette, amour, bienfait ou haine,
Ne remonte jamais du fond.

Roule libre et fidèle entre tes nobles arches,
O fleuve féodal, calme mais indompté !
Verdis le sceptre aimé de tes rois patriarches :
Le joug que l'on choisit est encor liberté!

Amis, voyez là-bas! La terre est grande et plane!
L'Orient délaissé s'y déroule au soleil; ¦

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