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compagné de ses amis, à qui il était permis alors de faire cortége au mourant, s'avance fièrement vers le lieu du supplice. Arrivé au pied de l'échafaud, il a soif et demande à boire. « Une femme âgée et voilée, qui l'avait suivi tout en pleurs, dit l'historien, lui présente une coupe que le duc reconnut aussitôt : c'était sa propre coupe, celle de ses ancêtres, et cette femme prévoyante et attentive jusqu'à la mort était sa nourrice, la servante de ses châteaux. Elle versa de l'ale dans la coupe, le mourant y trempa ses lèvres. Lorsqu'il rendit la coupe vide à la pauvre femme, elle saisit et baisa en pleurant la main de son maître. « Que <«< Dieu te bénisse! lui dit le duc, et que nos enfants te « vénèrent à cause de ce que tu as fait! » Puis, comme il sentit qu'il s'attendrissait à l'heure où l'homme a besoin de sa force, il monta rapidement les degrés de l'échafaud, appuyé sur le bras du doyen de SaintPaul. »

L'antiquité n'a rien de plus naïf ni rien de plus touchant que cette coupe reconnue à l'heure où on laisse tout sur la terre, et cette main de servante tendant au seigneur la coupe de l'échafaud.

La grotte de Jocelyn.

Mais de ces lieux charmants le chef-d'œuvre est la voûte
Dans le rocher, dont l'aigle a seul trouvé la route;
A l'orient du lac et le long de ses caux,

La montagne en croulant s'est brisée en morceaux,

Et, semant ses rochers en confuses ruines,
A de leurs blocs épars entassé les collines.
Ces rocs accumulés, par leur chute fendus,
L'un sur l'autre au hasard sont restés suspendus;
Les ans ont cimenté leur bizarre structure,

Et recouvert leurs flancs et le sol de verdure.
On y marche partout sur un tertre aplani

Que la feuille tombée et la mousse ont jauni;
Seulement quand on frappe, on peut entendre encore
Résonner sous les pas le terrain plus sonore.
Cinq vieux chênes, germant dans ses concavités,
Y penchent en tous sens leurs troncs creux et voûtés;
De leurs pieds chancelants les bases colossales
Du granit au granit joignent les intervalles,
S'enlacent sur le sol comme de noirs serpents,
Et retiennent les blocs entre leurs nœuds rampants:
Le plus vieux, suspendu sur l'une des ravines,
La couvre comme un pont de ses larges racines;
Puis, aux rayons du jour pour mieux la dérober,
Étend un vaste bras qu'il laisse retomber,
Et, sous ce double abri de rameaux, de verdure,
Il voile à tous les yeux son étroite ouverture.
Il faut, pour découvrir cet antre souterrain,
Ramper en écartant les feuilles de la main.
A peine a-t-on glissé sous l'arche verte et sombre,
Un corridor étroit vous reçoit dans son ombre;
On marche un peu courbé sous d'humides arceaux,
De circuits en circuits, au bruit profond des eaux,
Qui, creusant à vos pieds un canal dans la pierre,
Murmurent jusqu'au lac dans leur solide ornière.
Un jour pâle et lointain, lueur qui part du fond,
Guide déjà les yeux dans ce sentier profond;
La voûte s'agrandit, le rocher se retire;
Le sein plus librement se soulève et respire;
Le sol monte, trois blocs vous servent de degrés,
Et dans la roche vide enfin vous pénétrez.

Vingt quartiers, suspendus sur leur arête vive,
En soutiennent le dome en gigantesque ogive;
Leurs angles de granit en mille angles brisés,
Leurs flancs pris dans leurs flancs, l'un sur l'autre écrasés,
Ont rejailli du poids comme une molle argile;
L'eau que la pierre encor goutte à goutte distille
A poli les contours de ces grands blocs pendants,
De stalactite humide a revêtu leurs dents,

Et, les amincissant en immenses spirales,

Les sculpte comme un lustre au ciel des cathédrales.
Ces gouttes, qu'en tombant leur pente réunit,
Ont creusé dans un angle un bassin de granit,
Où l'on entend pleuvoir de minute en minute
L'eau sonore qui chante et pleure de sa chute :
Toujours quelque hirondelle au vol bas et rasant
Y plane, ou sur le bord s'abreuve en se posant;
Puis, remontant au cintre où l'oiseau frileux niche,
Se pend à l'un des nids qui bordent sa corniche.

Le rocher vif et nud enclot de toutes parts
La grotte enveloppée en ces sombres remparts;
Mais du côté du lac une secrète issue,

Fente entre deux grands blocs, étroite, inaperçue,
En renouvelant l'air sous la terre attiédi,
Laisse entrer le rayon et le jour du midi.
On ne peut du dehors découvrir l'interstice;
Le rocher pend ici sur l'onde en précipice,
Son flanc rapide et creux par le lac est miné.
Au-dessus de la grotte un lierre enraciné,
Laissant flotter en bas ses festons et ses nappes,
Étend comme un rideau ses feuilles et ses grappes,
Et, se tressant en grille et croisant ses barreaux,
Sur la fenêtre oblongue épaissit ses réseaux.
Je puis, en écartant ce vert rideau de lierre,
Mesurer à mes yeux la nuit ou la lumière,
Adoucir la chaleur ou l'éclat du rayon,

Ou, m'ouvrant de la main un immense horizon,
Du fond de ma retraite à ces monts suspendue,
Laisser fuir mon regard jusqu'à perte de vuc.
Auprès de l'ouverture est un banc de rocher
Où je puis à mon gré m'asseoir ou me coucher,
Lire aux rayons flottants qui tremblent sur ma Bible,
Ou, contemplant de Dieu l'ombre ici plus visible,
Les yeux sur la nature, élever au Seigneur,

Dans des transports muets, l'hymne ardent de mon cœur.
Un air égal et doux, tiède haleine de l'onde,
Règne ici quand la bise ailleurs transit ou gronde;
Aucun vent n'y pénètre, et, le jour et la nuit,
Dans ce nid de mon âme on n'entend d'autre bruit
Que les gazouillements des becs des hirondelles,
Le vol de quelque mouche aux invisibles ailes,
Le doux bruissement du lierre sur le mur,
Ou les coups sourds du lac, dont les lames d'azur,
Montant presque au niveau de ma verte fenêtre,
Renaissent pour tomber et tombent pour renaître,
Et suspendent du bord qu'elles viennent lécher
Leurs guirlandes d'écume aux parois du rocher.

L'oiseau mort de Reine Garde.

« Vous êtes donc quelquefois triste? demandai-je à Mlle Reine avec un véritable intérêt.

- Pas souvent, monsieur, grâce à Dieu; je suis de bonne humeur, mais enfin tout le monde a ses peines, surtout quand on n'a ni parents, ni famille, ni mari, ni enfants, ni nièce autour de soi, et qu'on remonte le soir toute seule dans sa chambre pour se réveiller toute seule

le matin, et n'entendre que les pattes de son oiseau sur les bâtons de sa cage!

<< Encore s'ils ne mouraient pas, monsieur, s'ils étaient comme les perruches et les perroquets qu'on voit sur le quai du port à Marseille, et qui vivent, à ce qu'on dit, cent et un ans! on serait sûr de ne pas manquer de compagnie jusqu'à la fin de ses jours! Mais vous vous y attachez, et puis cela meurt; un beau matin vous vous réveillez, et vous n'entendez plus chanter votre ami près de la fenêtre; vous l'appelez des lèvres, il ne répond pas; vous sortez du lit, vous courez pieds nus vers la cage, et qu'est-ce que vous voyez? Une pauvre petite bête, la tête couchée sur la planche, le bec ouvert, les yeux fermés, les pattes roides, et les ailes étendues dans sa pauvre prison! Adieu, tout est fini! Plus de joie, plus de chanson, plus d'amitié dans la chambre; plus personne qui vous fête quand vous rentrez!

« Ah! c'est bien triste, monsieur, croyez-moi! »> Et elle refoula deux larmes qui se formaient sous sa paupière.

« Vous pensez à votre chardonneret, mademoiselle Reine? lui dis-je.

-Hélas! oui, monsieur, dit-elle avec honte, j'y pense toujours depuis que je l'ai perdu comme cela. Quand on n'a pas beaucoup d'amis, voyez-vous, on tient au peu que le bon Dieu nous en laisse! Celui-là m'aimait tant! Nous nous parlions tant, nous nous fêtions tant tous les deux! Ah! on dit que les bêtes n'ont pas d'âme ! Je ne veux pas offenser le bon Dieu; mais si mon pauvre oiseau n'avait pas d'âme, avec quoi donc qu'il m'aurait tant aimée? Avec les plumes ou avec les pattes peut

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